nouvelles pratiques, nouvelles demandes

hautes études

par

L’exemple français montre quelles difficultés la réflexion sur la sécurité peut rencontrer, lorsqu’elle prétend déborder le seul savoir policier.

Le savoir sécuritaire est principalement et originellement un savoir policier ; il est secondairement et récemment un savoir universitaire. En France, une institution telle que l’Institut des hautes études de la sécurité intérieure (IHESI), créée par le ministre Pierre Joxe à la fin des années 1980, est un lieu marginal (en termes de budget, d’importance politique et sociale) au sein de la police. Il invite les « acteurs de la sécurité intérieure » à confronter leurs interrogations au savoir des chercheurs et universitaires et, au besoin, à bénéficier d’une formation continue durant une année. Mais, malgré sa petite dimension, il est un lieu privilégié d’affrontements politiques continus. Preuve que les prétentions à participer à la confection du savoir sont sous surveillance : chaque changement gouvernemental, y compris d’une formation de droite à une autre, provoque le « départ » du directeur en place. La capacité et la volonté de ces institutions à résister aux savoirs universitaires sont donc inégales selon les conjonctures politiques et les finesses des uns et des autres. Mais elles ne démentent pas la suprématie des savoirs policiers.

L’IHESI a produit et soutenu des recherches originales, critiques, ambitieuses. Il faudrait examiner au plus près ce que ces travaux sont devenus, s’ils ont emprunté eux aussi les canaux du savoir utile. Il faudrait pour cela comparer, un à un, les thèmes travaillés (ou du moins entendus) par les acteurs et ceux développés par les chercheurs. On constaterait deux sphères de circulation des savoirs : le savoir académique, produit par des chercheurs ou des universitaires ; le savoir policier, produit par des policiers et également soutenu par l’Institut, à destination cette fois des policiers. À cela s’ajoutent des savoirs universitaires travaillés par les policiers à leurs usages, redessinés pour le « terrain », savoirs hybrides auxquels se prêtent le plus souvent les chercheurs concernés, entre bonne et moins bonne fortune. (Je pense notamment aux « concepts » de la sécurité intérieure, produits pour accroître les ressources matérielles et l’autonomie des policiers : « prévention situationnelle », « criminalité organisée » - très en vogue cette saison -, « zéro tolérance », et autres).

Les volumes de production ne sont donc qu’un élément d’appréciation ; les circuits de circulation et les usages effectifs jettent une lumière plus crue sur les raisons d’être de ces savoirs. Çà et là, des colloques réunissent les uns et les autres. Les types de savoirs circulent dans leurs sphères propres, se croisent peu. Ainsi d’une rencontre organisée à Florence (avec les moyens qu’il faut) par la Commission européenne sur la « délinquance liée à la drogue », des universitaires sur les problèmes de rationalité du consommateur de stupéfiants et des policiers sur une proposition de vaccination mondiale par destruction des capteurs cellulaires des principes actifs des produits stupéfiants... Ou bien un colloque international à l’IHESI, sur la « prévention situationnelle », où l’universitaire promoteur de ce concept avait pris une position on ne peut plus nette, que je cite de mémoire : « Comme l’avait un jour dit Goering : « Quand j’entends le mot « culture », je sors mon revolver. » Eh bien moi, en criminologie, quand j’entends le mot « intellectuel », je sors le mien. » Je rassure le lecteur : le savant était désarmé. Et les savoirs sécuritaires, imperturbables, font des ronds loin du vacarme.