Vacarme 13 / chroniques

fécondation

par

Ce samedi, habillé pour sortir, caressant une dernière fois du bout de l’index la pointe de mon menton, je n’ai pas vu bondir le mongrelat lorsqu’il s’est précipité sur mon genou gauche et l’a serré entre ses pinces, immobilisant mon tibia et ma cuisse, m’empêchant du même coup de quitter le miroir devant lequel je m’attardais. Un pan de mon frac couvrait sa tête visqueuse ; de ce faciès je n’aperçus que la coulée d’une lippe exprimant la déception, ainsi qu’une volonté en tout point adverse à la mienne. Le secours de la familiarité, la découverte instantanée d’on ne sait quel juron me firent défaut : et puis les muscles de ma jambe n’obéissaient plus la musique et les parfums que j’avais répandus dans la chambre afin qu’ils escortassent mes préparatifs retombèrent, poussière succédant à de la fumée.
Le mongrelat émit un jappement. Je sentis ses postillons sur le dos de ma main. Ses griffes enduites d’une matière opiacée se fichaient dans ma cuisse. Relevant une dernière fois le gant de vivre ce combat sur le mode de la plaisanterie, je lui posai une question relative à sa santé, à son humeur. Le long de ma jambe gauche, un liquide m’appartenant s’écoulait.
Des bocaux de talc sont posés sur le rayonnage, ainsi que les deux peignes qui sont à moi. ; et dans le mur, un tiroir dérobé contient de si secrètes vétilles que mes pensées osent à grand peur s’incliner vers lui, et encore moins pousser mes doigts dans sa direction. Or, cet attirail ne m’a jamais refusé l’espérance depuis qu’il est en ma possession. Le mongrelat ignorait apparemment que cette panoplie - mignarde, je veux bien l’admettre - a joué dans ma vie le rôle d’un talisman (et je tiens d’elle seule la permission de me rendre, un samedi par mois, dans le monde). Il lacéra ma cuisse afin sans doute d’établir que tout écorchement me laisse froid. Qu’obtint-il de la sorte ? Les demoiselles qui m’avaient fait l’honneur de me convier à leur table sont sérieuses elles savent que les pièces qui me composent, privées d’interdépendance, n’ont cure de s’envoyer des messages y compris par le canal de la souffrance physique. Quelle vanité ce dépeçage qui n’apporte aucune preuve dénonce-t-il ? De même, le faux-bond que je vais commettre passera inaperçu tout à l’heure.
Sur les seins du mongrelat je me suis roulé, sur la circonférence de son buste - sa physionomie possède des angles taillés dans le métal le plus fin. Le mesmérisme tenta de me seconder, ainsi que toutes les épreuves mentionnées par les cultes, au cours de cette abrasion à laquelle fut livré le carême, l’instable lot de viscères que je suis. - Le serviteur plutôt ! Car servir m’est apparu, sous l’aiguillon de ces morsures, comme un credo et une affaire bien trop tonitruante pour être ramenée aux frasques de la supposée libido (ce cadavre, ce tic dont se réclament les gens infatués d’eux-mêmes).
Entre mes épaules un espace se creusa, aussi large que le tranchant d’une main. Nul, avant le mongrelat, ne s’était autorisé à mon endroit une si tortueuse familiarité de geste.
Cette visite a eu lieu d’être. Sous mon sein gauche, un être croît, abominablement repousse mes membranes et m’oppresse. Souvent je suis tenu de m’asseoir. La nourriture me répugne - la sous-alimentation dans laquelle je suis tombé est voulue par le bien-être de l’enfant. Les trois bouches dont il, dispose - une est placée sous mon cœur, une appliquée contre mes reins, une autre dardée vers l’un de mes poumons - tètent mes tissus avec une vigueur d’autant plus grande que ces organes l’allaitent de bonne grâce. En un mot, le petit être me déforme. Mon flanc gauche est une outre, je n’adoucis les démangeaisons qui l’assaillent qu’en raidissant le bras - ce geste d’apaisement offre au regard un spectacle d’une bêtise stupéfiante. Le reste du temps, soulevé, ce bras gauche oscille par dessus mon aisselle maintenant plus étroite que le sexe d’une femme très étroite. Il est animé de saccades au moyen desquelles l’entité lui rend sa part de disgrâce. Bien que je broie de l’air, que mes mâchoires soient de mouvements éperdues, le terme ne s’annonce pas, l’ouverture ne perle pas qui de l’aisselle au bassin ouvrira une route à celui que je porte.
Le rêve d’ombre qui est le sien. Dont les contours doivent s’être sculptés aux entrailles que l’enfant a fait fondre. Ce rêve dont la circonférence ressemble sûrement à un horizon - je me trompe ! à une loge béante et creuse, sans rideaux, sans drame, où l’appétit soulevé va et vient ; à l’endroit d’une gigue insoutenable.