Vacarme 09 / chroniques

fais-moi mal Johnny

par

Le cadre de la télévision délimitait des cadres. Équilibre graphique majestueux. Six rectangles tracés blanc sur fond ocre. La bande supérieure du filet qui s’infléchit légèrement en son centre propose la seule ligne discrètement brisée de la composition. Le grand cadre vert anglais. Il sera question de géométrie, de symétrie.

Johnny dira : « C’est très tendu, mais rien n’est impossible. » Avant un Américain avait joué deux sets. Celui qui prendra sa retraite sans avoir gagné ce tournoi qui lui était promis. Quatorzième joueur mondial. En rupture de show-biz. Sur la pente savonneuse de la banalisation et de l’excédent pondéral.

Contre un Ukrainien, centième joueur mondial. Quatrième à l’époque d’une splendeur à laquelle peu de monde crut et qu’il s’empressa de saboter. Un joueur qui efface une marque pour donner un point à son adversaire. Un joueur que l’on avait enterré sans l’avoir réellement remarqué. Pendant plus d’une heure - soit deux sets - l’Américain dérive :« Gêné pour le public par cette finale qui se révélait un désastre total. » Quelques minutes plus tard Johnny dira : « C’est très tendu, mais rien n’est impossible. »

Il y avait ces petits carrés - la trame du grand cadre vert anglais. À l’intérieur, le staff de l’Américain. Des hommes portant casquette. Quatre mètres carrés de testostérone et pas de Brooke Shields. L’entraîneur dira :« Il est celui qui a reçu de Dieu le plus grand talent que j’aie jamais vu. Parfois, on attend le meilleur de lui et il vous donne le pire. » Mais pas de Brooke Shields. Plus loin le clan de l’Ukrainien. C’est-à-dire une femme qui, du propre aveu du joueur, l’a sauvé de l’autodestruction. À côté d’elle, un entraîneur sphinx, clone de Lobanovski, restera muet. Une femme blonde à lunettes noires qui dira après le match : « En fait, c’était trop beau pour être vrai. Tout cela est arrivé très vite. » Et l’Américain refait surface, trouve des vents favorables. Il bat l’Ukrainien qui avouera : « Il faut juste que je m’accroche à Anke-la femme blonde - et que je m’assure qu’elle ne me quitte pas. Et tout ira bien. » Les deux joueurs s’embrassèrent. S’étreignirent réellement. Le vainqueur pleurait. Puis ne souriait pas vraiment. Puis ne repleurait pas vraiment. Il répondra :« J’ai presque le sentiment que c’est purement et simple-ment le destin. J’aurais survécu si j’avais perdu, mais cela aurait été dévastateur. » À quelques mètres de là, Johnny avait dit : « C’est très tendu mais rien n’est impossible. »