adresse d’une hétéro-folle à l’hypothétique communauté homosexuelle

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S’il y a une communauté homosexuelle, elle me rappelle qu’il y a mieux à cacher que les histoires de sexe. A bas le sale petit secret.

Je ne sais pas si votre communauté existe dans les faits ; je ne sais pas si la plupart des homosexuels se reconnaissent dans cette dite communauté ; je ne sais pas si c’est une communauté. Et pour tout dire, je ne sais pas très bien ce qu’est une communauté à proprement parler aujourd’hui. Je sais seulement que d’entendre parler de cette communauté, d’entendre revendiquer en son nom, de la croiser dans des bars, des restaurants ou des manifestations, de la voir représentée à travers des slogans tragiques, hystériques ou incompréhensibles, de la voir s’afficher avec ses couleurs et ses drapeaux, de l’entendre s’exprimer dans des films, des livres, des œuvres d’art, m’a apporté et m’apporte le plus grand bien. Ce n’est sans doute pas grand-chose pour vous. Mais pour moi c’est beaucoup.

Parce que savoir qu’il existe une communauté qui se définit — en même temps indistinctement et dans le plus joyeux désordre — par l’identité et par les pratiques est ce qui me permet, quand le besoin se fait pressant, de me débarrasser, tantôt de l’obligation de faire ceci plutôt que cela, tantôt de l’obligation d’être ceci plutôt que cela. Je peux enfin être et agir sans référer nécessairement l’un à l’autre. Parce que savoir qu’existe une communauté dans laquelle s’inscrivent indistinctement des folles et des SM, des retraités et des mickeys, des raffinées mondaines et des musclés mastoques, des bourgeois coincés et des bébés agressifs, des passifs, des actifs, et des passifs-actifs, et des actifs-passifs, m’aide à penser qu’on peut essayer de se définir ensemble sans faire référence nécessairement à une même norme ou à un même modèle, et sans non plus ne croire qu’aux vertus du seul individu. Parce que, plus encore, une communauté qui prétend afficher publiquement sa sexualité et ses désirs m’aide à ramener avec force mon sexe à la surface, à réduire ses problèmes à des problèmes de surface, à comprendre que le sexe, le désir, le glamour, peuvent, doivent s’afficher et s’énoncer : il y a tout de même plus important à cacher et à garder secret — hors de toute communauté. Parce que parler de communauté homosexuelle permet déjà à chacun de parler de communauté sexuelle, rappelle que, dans tous les cas, il n’y a pas de communauté sans sexe, sans corps et sans amour, démontre une fois de plus qu’une communauté n’est pas toujours une histoire, mais peut aussi se choisir, s’instaurer, se défendre, et s’avérer finalement toujours à venir. Parce que dire déjà, seulement, « communauté homosexuelle » confond à jamais l’ordre du choix avec celui du destin, et que cette confusion m’est miel, tant en ces affaires de sexe et de vie commune, quelle que soit leur norme, l’idéologie du choix est une idéologie de curés et celle du destin une idéologie de mères honteuses. Parce que savoir que vous existez me réconforte et me donne à penser que je ne serai pas seul dans la première charrette, quand ils rouvriront les camps.

C’est bien sûr idiot de finir avec ces histoires de camps et de charrettes, quand tout commençait si joliment. Mais il y a encore le sida, et cela ne s’oublie pas : à la fin des années 1980, la communauté homosexuelle s’est presque identifiée à ce qui la détruisait, à ce qui ne pouvait en rien être sa raison d’être. Mais c’est là juste ma vie, et la vie même peut-être : encore une fois, tout afficher sur le devant de la scène, ses souffrances, ses blessures et ses morts, pour préserver dans l’ombre, à l’abri des salauds, ce qui nous permet toujours de vivre, ce qui nous pousse encore à continuer.