Un brunch dont vous ne serez pas peu fière

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Le brunch est au menu d’ordonnance classique ce que la révolution sexuelle fut à la conjugalité hétéro monogame. C’est l’idéal pour inviter quelques vieilles copines des deux sexes au lendemain d’un jour que d’aucuns sont fiers de fêter.

Revoilà donc, un peu partout, la gay pride. Ce n’est pas tous les jours qu’on voit autant de beaux garçons et de belles filles à la fois, proclamant la confusion des genres sur la voie publique. Homos ou hétérotes, qu’importe, vous et vos amies ne manquez jamais d’aller faire la folle dans les rues ce jour-là, démonstrativement proud de s’afficher gaies. Non moins proud d’être bonne cuisinière, vous avez coutume, chaque année, d’inviter quelques vieilles copines des deux sexes à un fastueux brunch, le lendemain.

Nonobstant les excès auxquels nombre d’entre elles se seront livrées pendant cette longue et chaude nuit de juin, votre brunch doit être à la fois l’ultime moment de fête de ce week-end de folle allégresse et déjà une invitation à l’apaisement. Brillant, il doit aussi permettre de s’abandonner peu à peu à la douce langueur qui envahit ceux qui ont beaucoup marché, beaucoup dansé et beaucoup aimé. Il sera propice au libre papotage, sur tous les sujets qui nous occupent : activisme politique, crèmes antirides, dernières amours et prochaines ruptures, lois Debré, dernier numéro de VACARME et dernier numéro de Vingt Ans, sida et tralala. Bref, votre brunch, en alliant follitude et plénitude, doit ravir militants et midinettes — ce qui n’est pas si difficile, puisque ce sont les mêmes.

Première consigne, donc : pour donner un air de fête, libérez un tantinet la folle-déco qui sommeille en vous, c’est le jour ou jamais ! Faites de chaque plat un chef-d’oeuvre des arts mignards : si vous en disposez, sortez la porcelaine et l’argenterie, taillez joliment fruits et légumes multicolores, associez-les à des bouquets de verdures savoureuses (salades, bien sûr, mais aussi cresson, bourrache, menthe, basilic, etc.) pour faire de vos assiettes et plats de service de frais jardins où se rencontreront fromages, charcuteries, poissons. N’ayez pas peur du lyrisme, même à bon marché. Pour ce brunch, le principe de séduction doit être l’abondance. Non pas une abondance vulgairement quantitative, du style méga-tranche de pâté de six centimètres d’épaisseur échouée sur une assiette en carton, comme dans un buffet campagnard de réunion électorale. L’abondance, ici, doit être celle des tentations, celle qui fait que vous ne savez par où commencer devant tant de propositions aléatoires et alléchantes. Vous avez envie de tout goûter, de tenter toutes les combinaisons suggérées, mais vous savez très bien que c’est impossible.

Pour parvenir à cet effet, point n’est besoin de proposer des choses exceptionnelles : c’est d’abord une question d’agencement. Bien des ingrédients de ce brunch sont des choses simples et même parfaitement banales tant qu’ils demeurent célibataires. Jouez de vos talents d’ingénieuse accoupleuse pour leur organiser des rendez-vous galants, dans les jardins précédemment évoqués. Suggérez, rendez possibles flirts et fiançailles, mais laissez libre ! Chacune de vos copines doit pouvoir y trouver son compte, choisir à son gré entre les charmes un peu guindés d’une union traditionnelle thé-toast-marmelade d’orange, l’audace de bon ton du roquefort polygame épousant tour à tour raisins, figues et poires, ou la débauche partouzarde du hareng-miel-pamplemousse. Certaines, sans doutes habituées des jack-off parties, préféreront goûter à chaque saveur chacune pour soi, leur interdisant tout rapprochement tant soit peu fusionnel, pendant que d’autres feront de leur assiette une vraie backroom gustative. Ne vous offusquez de rien, la Queer Nation en marche ne saurait faire halte au bord de l’assiette.

Parce qu’il ne peut y avoir de plaisir à jouer du désordre des sens qu’à l’intérieur d’un minimum d’ordre, vous structurerez tant soit peu cette sarabande en servant successivement les mets chauds : pour commencer, de simples œufs brouillés relevés d’une pointe d’ail — tels que les préférait, paraît-il, Sarah Bernhard —, plus tard des saltimbocca au Parme et à la sauge fraîche, enfin des crêpes rustiques au sirop d’érable. Pour la boisson, outre les évidents café-thé-chocolat-jus de fruits frais, recevez tout simplement votre monde avec du champagne, c’est encore ce qui se boit le mieux avec tout ça. Pour retaper d’éventuelles reines de la nuit quelque peu déglinguées en plein jour, prévoyez aussi, outre des Alka-Seltzer, de la vodka glacée. Pour la musique, enfin, soyez proud jusqu’au bout : passez exclusivement l’intégrale en dix CD de Dalida que vous vous êtes offerte le mois dernier.

ŒUFS BROUILLÉS :

Prévoyez un œuf par personne. Battez les œufs au fouet jusqu’à ce que les blancs et les jaunes soient parfaitement mélangés et que ce mélange soit légèrement mousseux en surface. Salez et poivrez.

Pour remuer les œufs pendant la cuisson, au lieu d’une spatule ou d’un fouet, utilisez une fourchette à la pointe de laquelle vous aurez piqué deux demi gousses d’ail. Cette petite astuce aussi simple que géniale suffit à donner une saveur incomparable à ces simples œufs brouillés. Pour que la gousse d’ail
libère mieux ses arômes, incisez sa surface avec la pointe d’un couteau ou les dents d’une fourchette.

Cuisez les œufs dans une casserole ou une poêle à fond épais, préalablement beurrée, à feu très doux, en remuant sans arrêt jusqu’à ce qu’ils épaississent. Retirez du feu un peu avant qu’ils aient pris la consistance souhaitée et continuez de remuer, car les œufs vont épaissir encore un peu hors du feu. Servez immédiatement, accompagné de toast, soit sur
assiette tiédie (mais surtout pas brûlante !), soit dans des ramequins, soit dans des demi-coquilles d’œuf que vous aurez préalablement réservées (si vous n’avez pas assez de coquetiers, vous pouvez dresser les œufs sur un lit de gros sel, dans des assiettes à dessert ou des sous-tasses). Décorez avec quelques brins de ciboulette.

SALTIMBOCCA AU PARME ET À LA SAUGE :

Prévoyez par personne deux petites escalopes de veau (ou une grande que vous partagerez vous-même) très minces (3-4 mm), autant de tranches fines de jambon de Parme, deux feuilles de sauge fraîche par escalope, un peu de vin blanc, du beurre, de l’huile, du poivre si possible au moulin, et enfin des cure-dents en bois.

Sur chaque escalope, disposez une tranche de Parme, deux feuilles de sauge. Repliez en deux chaque escalope ainsi garnie, aplatissez-la de quelques coup de maillet et fixez-la avec un cure-dents.

Chauffez à feu vif un peu d’huile dans une poêle (1 à 2 cuillères à soupe pour 4 escalopes), mettez à cuire les escalopes 2-3 mn de chaque côté, jusqu’à ce qu’elles soient bien dorées. Retirez-les et réservez-les au chaud. Videz l’excédent d’huile restant dans la poêle tout en conservant le jus qui est au fond. Déglacez généreusement au vin blanc, laissez réduire, puis liez ce jus en lui ajoutant un peu de beurre et en remuant vivement. Salez et poivrez, puis nappez les escalopes de ce jus et servez immédiatement.

CRÊPES RUSTIQUES :

Pour une douzaine de crêpes : 5 œufs, 250 g. de
farine, 1/4 litre de lait, 2 cuillères à soupe de sucre, une pincée de sel.

Ajoutez à la farine le sucre et une bonne pincée de sel, puis commencez à mélanger les œufs. Quand le mélange devient trop épais, délayez progressivement avec le lait. Poursuivre (éventuellement au batteur ou au fouet) jusqu’à obtenir une pâte homogène, épaisse mais encore liquide (commencer avec une pâte très épaisse, quitte à la délayer un peu ensuite, si elle s’avère trop épaisse à la cuisson).

Cuire à la poêle, au beurre, des crêpes d’environ 10 cm de diamètre et de 3-4 mm d’épaisseur. Tenir au chaud au four (max. 50°), dans du papier d’aluminium. Servir notamment avec du sirop d’érable, mais toutes les variantes sont possibles, au choix des convives : confitures, compote de pomme à la cannelle, crème fraîche, miel, etc.

Des suggestions, non limitatives :

Charcuteries : jambon de Parme, jambon de Westphalie (jambon cru fumé), tranches de bacon (cru), rosette, coppa, magret fumé, andouille, rôti de jambon, langue en gelée...

Poissons : harengs à l’huile, saumon, anguille fumée, filets de maquereau fumés au poivre, foies de morue à l’huile, œufs de saumon...

Fromages : gouda jeune et gouda extra-vieux
(nature, au cumin), cantal jeune, brie, Brillat-Savarin, gorgonzola, roquefort, fromage de chèvre frais, tranche de feta, mozzarella fraîche, petits fromages blancs en faisselle...

Légumes : tranches de poivrons (varier les couleurs... Le rouge est par exemple délicieux avec du gouda jeune), carottes, courgettes, concombres,
céleri-branche, tomates, le tout découpé en tranches, en lanières, en bûchettes, en quartier...

Fruits : melon, poire, ananas, pastèque prédécoupés, fraises, groseilles, raisins, figues, mangue, tranches de pamplemousse et d’orange...

Pains : toasts (pains de mie au froment, aux céréales), ficelle, pains de seigle (nature, aux noix, aux olives), pains briochés aux raisins (délicieux toastés), croissants, brioches au sucre...

Penser à mettre à disposition : sucre, sel, poivre, paprika, cumin, huile d’olive, vinaigre balsamique, crème fraîche, sirop d’érable, miel, confitures et marmelades variées, compotes (pomme-noix-
cannelle, fruits rouges...), céréales, lait, lait fer-menté, yaourt (nature, ou agrémenté de fruits frais), beurre doux et demi-sel...