AC ! n’est pas à proprement parler une assocition de chômeurs. C’est un collectif plus libre, plus flou, décentralisé sur toute la France et sans représentants officiels. Ou : quand les chômeurs veulent d’eux-même se prendre en mains...

L’allocataire dépendant du bureau des ASSEDIC-spectacle de la rue Vicq d’Azir à Paris pouvait assister, dans la semaine du 23 au 28 juin, à un spectacle peu ordinaire, s’il se donnait la peine d’entretenir avec son bureau d’allocations un type de relations quelque peu décalé. Accueilli avec un verre de jus d’orange et la proposition de rencontrer les militants d’associations de lutte contre le chômage, l’allocataire entrait en collision avec ce mouvement associatif diffus, mais organisé, qui s’inscrit dans la lignée directe du « Mouvement social » de décembre 95 et qui revendique de plus en plus fort son droit à la parole. AC ! (le point d’exclamation a son sens), ou Agir ensemble contre le Chômage - 173 collectifs locaux, de 3000 à 5000 « militants » en France - est devenue coutumière de ces occupations coups de poing et matelas en bandoulière de locaux institutionnels plus ou moins symboliques Banque de France, Château de Versailles, locaux du CNPF et nombreux bureaux des ASSEDIC partout en France (parallèlement à l’occupation de la rue Vicq d’Azir, des collectifs locaux suivaient à Rouen). Quand les militants d’AC ! débarquent, ce n’est jamais tout seuls, mais dans la droite ligne du renouveau de l’action citoyenne, entourés d’un certain nombre d’associations qui s’accordent ponctuellement sur un projet. Ainsi, dans la salle de réunion occupée, où les matelas s’empilent avant d’être dépliés pour la nuit, on retrouve des militants du Comité d’action chômeurs de la CNT, du SCALP-Reflex, de Travailleurs Chômeurs Précaires en Colère, de CFDT en lutte, etc.,sans compter les non-inscrits, les non-affiliés, chômeurs ou salariés qui ont décidé de prendre en main leur propre mode d’action et de revendication. Ce détail n’est pas innocent, comme ne l’est pas non plus l’occupation de cette ASSEDIC, dont on avait décidé de ne pas entraver le travail - de permettre le fonctionnement presque normal du bureau. Ainsi, si les tensions se donnaient à voir autour de la photocopieuse, si la direction se sentait obligée de recourir à des vigiles pour surveiller les bureaux la nuit, si chaque jour on devait négocier l’accès à un téléphone, fax et ordinateur, les allocataires pouvaient théoriquement vaquer à leurs occupations d’allocataires, parce que, nous dit-on très vite, « ce ne sont pas les associations de chômeurs qui vont empêcher les chômeurs de travailler ». Et aussi parce que c’est sur ce lieu, considéré comme un lieu de travail pour les chômeurs, que l’on peut mieux les toucher, les informer, leur parler de ce qui bouge, les mobiliser pour leurs propres droits, en l’occurrence en ce mois de juin, la réforme du Fonds Social UNEDIC. Jusqu’au 2 Juillet, tout chômeur qui avait effectué un jour de travail dans les trois années précédentes pouvait demander une aide ponctuelle pour régler une situation d’urgence, la réforme exigeant maintenant d’avoir travaillé 4 mois consécutifs, donc d’avoir cotisé autant. Or, selon une des occupantes, très fatiguée, personne aujourd’hui ne travaille plus ainsi : c’est le cycle bien connu des CDD à répétition, alternés de périodes de formation plus ou moins rémunérée, de jobs à temps partiel qui ne permettent pas de remplir les nouvelles conditions d’attribution du Fonds social. Au-delà de la colère engendrée par « encore un droit qui disparaît pour les chômeurs ou les précaires », se dessine une conception singulière : en quelque sorte, AC ! et les autres revendiquent le joli terme d’« intermutants » du travail, inventé par CARGO, le Collectif d’Agitation pour un Revenu Garanti Optimal. Et nous serions tous intermutants ou appelés à le devenir. La multiplication du nombre de collectifs s’occupant des questions de chômage ou de précarité correspond à la transformation réelle du monde de l’emploi, tel qu’il se manifeste dans les statistiques. Qu’il s’agisse de l’augmentation quasi-irréductible du taux de chômage, de l’inadéquation grandissante des palliatifs imaginés par les gouvernements successifs (RMI, CES, etc.), la société civile, réelle pour parler comme AC !, ne peut que constater une fracture incommensurable entre les calculs des ministères et les difficultés du quotidien. Ainsi, on touche là, dans ce travail associatif concret, à une espèce d’avant-garde :, non seulement tous ces collectifs se font entendre et voir dès qu’ils le peuvent, sans toujours accéder à la visibilité I médiatique du DAL, mais ils marchent en Europe, rassemblent 30 000 personnes à Amsterdam, recréent à l’échelle de leur quartier ou ’, d’une maison une utopie en marche pas si stupide que cela. Les revendications i récurrentes d’AC ! font écho à des préceptes politiques inscrits en plein dans la réalité la réduction du temps de travail à 32 heures hebdomadaires sans baisse de salaire passe à la trappe la multitude d’activités dans tous les sens, inventive et créative, plus difficilement quantifiable en nombre de boulons. Ainsi définie, impossible de continuer à faire l’amalgame avec la proposition d’Allocation universelle (ou encore « impôt négatif »), prônée dans un premier temps par les monétaristes et les « libertariens », ces ultra-libéraux américains qui préfèrent de loin l’oisiveté rémunérée au chaos et à la rébellion. Les convergences ne sont pas toujours idéales : si, d’un côté, on défend la paix sociale au profit d’une très grande flexibilité de l’emploi qui permet aux capitalistes de capitaliser, de l’autre, on redistribue au citoyen des moyens de vie au-delà de l’emploi. Et ce n’est peut-être pas tout à fait un hasard si, sur cette question, les militants d’AC ! ont débattu pendant un an, avant de l’intégrer aux revendications « officielles » lors des assises nationales de 1996.

On touche bien évidemment ici à un projet de société facilement reconnaissable, également séduisant parce qu’il agrège un certain nombre d’actions et de réflexions convergentes. Que ce soit l’Appel des économistes contre la pensée unique, l’idée zapatiste et ses effets de séduction en Europe, ou le collectif Nantes en fête. Ce dernier propose la création des Réveillons du 1er mai devant les places financières du monde, pour lutter contre le néolibéralisme, et exige l’application d’une trouvaille du Prix Nobel d’économie J. Tobin : taxer les transactions boursières. Ce collectif, qui a réveillonné cette année devant le Palais Brognart - et en a brûlé une copie carton - est inscrit dans une logique européenne, leurs amis fêtant la même chose à Londres. Et cette dimension européenne est appelée à se développer, voire à devenir monnaie courante : concrètement (voir les marches des chômeurs ou la participation de travailleurs français aux côtés des « Vilvoorde »), ou par le biais des réseaux virtuels (voir les sites des collectifs de grévistes sur le Net, dans une nouvelle illustration de , l’épigramme marxiste : « Travailleurs de tous pays, connectez-vous ». )

On pourra bien évidemment arguer de i l’utopisme fondamental de ces rêveurs d’une société équitable. L’important, presque deux ans après l’explosion du Mouvement social, se réalise au jour le jour dans des actions qui ne resteront pas toujours symboliques. À ce titre, la Maison des ensembles de la rue d’Aligre (XIIème arrondissement de Paris) synthétise dans une expérimentation toujours surprenante, y compris pour ceux qui y participent, cette idée de la convergence des luttes. Squattée par une quarantaine d’associations dont la vitalité ne dépend que de l’engagement propre de ses militants, la MDE rassemble aujourd’hui tous les acteurs de la lutte contre l’exclusion, le chômage, la précarité. Ici, se croisent et se rassemblent citoyens de tous ordres, vieux briscards de l’engagement révolutionnaire, post-soixante-huitards, rêveurs ou avant-gardistes, peu importe, artistes, pionniers de l’Internet politique et militants de l’accès public. Une congrégation souple, indéfinissable au vu des critères habituels, qui prend en acte et concrétise une certaine idée de la citoyenneté.

AC ! : permanence : 3, rue d’Aligre, 75012 i Paris. Tél. : 0143 45 25 84.

Maison des Ensembles : 3, rue d’Aligre, 75012 Paris.