chroniques érotiques

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Scène 1

Dans la chambre d’hôtel il y a des lampes renversées, des bouleversements d’oreille. Comme j’aimerais que tu sois là, simplement pour te regarder. Tu es toujours présente dans mes rêves. Il regarde par la fenêtre son reflet dans l’obscurité.

Je monte cette scène dans le noir. Un déplacement dehors, par les yeux, contre un mur. Sur le lit, deux femmes sont endormies. Il leur parlait à l’instant. Il faisait s’entrechoquer leurs corps en les étreignant. Leurs pieds, la lumière de la rue les traverse. Dans le mouvement, il replie ses doigts sur un creux de hanche. L’une était debout, près du lit, elle enlaçait son cou sans pouvoir le toucher. L’autre bouge lentement, s’enroule. Il y a par terre les morceaux de verre des bouteilles brisées. Cela fait des lumières. Le son des vitres. Mais qu’on ne se méprenne pas. Mes intentions ne sont pas là. S’il pouvait lui parler. S’il avait pu la voir.

J’aimerais faire se briser tes yeux ; tu es déjà si morte. Tu entendrais gronder comme un tonnerre. Je te ferais écouter ce canon, une bête vivante. La mer arrive dans la chambre.

Mais l’autre femme bouge, elle s’accroupit pour mieux voir. La première est plus haut sur son corps. Il imprime violemment des marques et lui tire les cheveux, des larmes coulent, elle crie comme si elle sortait de l’eau. Il la voit crier et grandir, tu es toujours présente dans mes rêves.

Scène 2

Sans le savoir, il se dérègle plus rapidement. Sa main devant son visage écarte le soleil. Elle, elle tient une glace devant ses yeux. Elle marche sur des escaliers et s’allonge au soleil. Il reste des heures à la contempler de sa voiture. Plus tard de cette voiture il la voit s’éloigner en courant. Il sait qu’il ne peut pas réduire les vitres en poussière. Peut-être, pense-t-il, le sens du monde est-il éparpillé en morceaux. Les sièges de la voiture sont profonds. Mais il se dégage et démarre. Peu importe où aller. Nous sommes arrivés aux jours de soleil très longs. Il roule très longtemps entre le désert, des enseignes de motet, des stations-essence. Le sable parfois s’enroule autour de la voiture et s’envole par grandes pelletées. Nous vivons dans un château de cartes et c’est un château de sable. Quand on roule des heures, on jette des brouillons de vie. Une nappe de silence, un silence brouillé. Mais où qu’on aille, il y aura des cris et des odeurs d’aéroport.

II aurait pu aussi ne pas rester. Ne plus bouger, tout est trop lourd, je ne fais que marcher sur des traces. On me retrouvera peut-être, si je ne me retrouve pas. Les gens que je rencontre sont affairés, comme si de rien n’était. Ils oublient ou ils ont oublié, c’est incroyable.

[Frédériques Ildefonse]


C’était il y a deux ou trois ans. Je venais de terminer le montage d’un film, je voulais reprendre un appareil et faire seul une séquence avec des photos, une sorte de cinéma immobile.

On a travaillé la nuit. Avec juste une bougie, pour voir quelque chose dans l’obscurité, un Minox dans le creux de la main (le modèle était un peu désorienté ; l’appareil est minuscule, ce n’était pas un vrai appareil), et une pellicule développée à 6 400 ou 12 800 asa, je ne sais plus très bien..., dans le temps où la gélatine, le pigment, dans la cuve, se détache lentement du support celluloïd...

Je lui ai dit que je voulais faire quelque chose d’avant l’image, c’était ce qui me préoccupait. Il y avait le linceul, et cette femme qui, comme les morts de ma mémoire, disparaissait à mesure que je m’approchais d’elle.

[Marc Laurens]