l’hôtesse

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La télévision sourit.

Elle sourit à ses invités, même quand le propos ne l’exige pas. Supposée « pugnace », Laurence Ferrari ne cesse ainsi de sourire aux politiques qu’elle interviewe chaque semaine1 [1]. Car, la télévision est hospitalière. Plus que critiquer, elle doit savoir recevoir.

La télévision sourit aussi à la caméra. Rien n’est plus frappant que d’assister à l’enregistrement d’une émission et de guetter le visage de l’animateur dans la seconde qui précède la prise d’antenne. Un sourire s’y forme, hors contexte immédiat (il est 7 heures du matin, il fait un froid glacial sur le plateau et l’oreillette grésille). Ce sourire, c’est celui de l’hôte/hôtesse qui ouvre sa porte à ses invités alors que le risotto est cramé. Et cet invité, c’est le téléspectateur.

Car derrière le très léger rictus de PPDA, dont l’histoire prouvera un jour qu’il est pour beaucoup dans l’hégémonie du journal de TF1 dans le monde des 20 heures, il y a un principe d’hospitalité consubstantiel au dispositif télévisuel.

S’invitant chez les gens (et visant à être réinvitée le plus souvent possible), la télévision se doit aussi de savoir être reçue. À ceux qui passent à la télévision, il est régulièrement rappelé qu’ils doivent se rendre agréables. Se rendre « agréable », c’est respecter celui ou celle qui décide de vous introduire chez eux, au milieu de leur salon, dans l’intimité de leur famille. Cela passe par le corps (même si, il faut se rendre à l’évidence, les critères diffèrent selon le sexe), le vêtement et le visage (rectifié par le lissage du blush et la bonne mine du fond de teint). Le nombre de personnes mobilisées à cet effet (maquilleuses, coiffeurs, habilleuses, stylistes, cadreurs, ainsi qu’une régie technique dont une des fonctions est d’éviter de mettre à l’antenne un doigt qui s’abandonne dans un nez) dit beaucoup de ce souci. Cela passe aussi par les propos tenus par les animateurs. Paraître sympathique, ne pas ennuyer, être simple, succinct, distrayant et léger... Il faudrait vraiment être de mauvaise foi pour soutenir qu’on attend autre chose de quelqu’un qu’on invite chez soi.

Conçue comme telle, l’hospitalité est réduite à un contenu minimal. Technique ou bourgeois selon le point de vue. Mais une télévision qui déciderait de donner à la notion un sens plus large (considérant par exemple que le bon hôte est celui qui ne prend pas celui qui l’invite pour un con) pourrait-elle se permettre d’être inhospitalière, au sens le plus formel du terme ? En 1995, Arte diffusait L’Abécédaire de Gilles Deleuze [2]. Une série d’entretiens considérée comme un hapax télévisuel tant elle s’abstrait des règles habituelles : appel à la seule intelligence du téléspectateur, plans presque fixes, temps long interrompu par la fin des bandes, peu de sourire, invité pas très sexy... Mais ce qui frappe, c’est qu’on y est chez Deleuze. Reçus dans son salon, face à un buffet sur lequel reposent une lampe allumée, une coupe sans fruit, un chapeau et quelques livres sans doute ordonnés pour l’occasion. Comme si, même quand elle ressemble le plus à ce qu’on aimerait pouvoir en attendre, la télévision ne pouvait échapper à l’injonction d’hospitalité.

Notes

[1Dimanche Plus, tous les dimanches à 12 h 30 sur Canal Plus

[2Gilles Deleuze,L’Abécédaire, avec Claire Parnet, réalisation Pierre-André Boutang, éditions Montparnasse.