tenere la piazza

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Le mouvement de grève déclenché, en 2002, à Vicenza (italie) donne à la précarisation des migrants un sens politique neuf : celui d’un tort fait aux travailleurs, obligeant à redessiner l’identité ouvrière.

« Une manifestation très particulière, différente de celles du mouvement ouvrier, des familles entières présentes, des slogans inédits et une façon nouvelle de manifester » (Maurizio Ricciardi, Tavolo migranti dei social forum italiani)
Le 15 mai 2002, une grève et une manifestation pertur­bent l’industrieuse province de Vicenza, en Vénétie. Cette région compte environ 10 % des étrangers présents en Italie, regroupés principalement autour des pôles industriels de Vérone, Trévise et Vicenza. À travers les slogans « Bossi Fini à l’usine », « Bossi Fini ne volez pas notre argent », cette mobilisation signe la première grève générale des travailleurs migrants en Italie : huit heures d’arrêt de travail dans toute la province, 30 000 travailleurs qui ne rejoignent pas leur poste de travail. Les négociations de branche en cours avec les industries de la tannerie (80% de tra­vailleurs migrants) sont interrompues.

« Le mot d’ordre de la grève est sorti d’assemblées. Depuis janvier, à l’intérieur du Forum Social Migranti nous nous réunissions avec les migrants de toute la province autour d’une mobilisation contre l’adoption de la loi Bossi-Fini, dans les lieux de rassemble­ments des communautés ou bien en organisant des rencontres. » (Maurizio Ricciardi)
En liant le permis de séjour au contrat de travail, la loi Bossi-Fini précarise des travailleurs migrants totalement inscrits dans le paysage industriel du Nordest. Le chômage les pousse dans la clandestinité et fait planer sur eux la menace de l’expul­sion. De la restriction du regroupement familial à la création de nouveaux centres de détentions pour les étrangers (CPT) en pas­sant par la remise en cause des primes de fin de contrat, la « Bossi-Fini » attaque en même temps les conditions de vie des migrants et leur statut de travailleurs. Au cours de la manifes­tation du 15 mai 2002, un jeune Italien du Sud embauché aux aciéries de Vicenza se rappelle : « Cette loi est terrible, il me semble entendre les histoires de nos parents. Nous, les "extra­communautaires" nous les comprenons parfaitement. » [1]

« Après dix ans de travail, j’ai été licenciée parce que je me suis absentée une semaine pour assister aux funérailles de mon père. À mon retour, je suis allée voir les syndicats. Ils m’ont annoncé que je pouvais revenir travailler, mais pour un travail plus dur. » (Témoignage d’ouvrier migrant)
Travailleurs migrants, mais aussi délégués syndicaux des entreprises de la région, représentants des COBAS et de la CGIL, disobbedienti, étudiants et précaires, 10 000 personnes ont défilé dans les rues de Vicenza. Dans cette province de 800 000 habitants, 42 000 sont des travailleurs étrangers. 80% d’entre eux sont embauchés en qualité d’ouvriers. Le revenu moyen est de 900 €, mais un sixième ne touchent pas plus de 750 €. [2] Ils sont nombreux à travailler depuis plus de quinze ans, de plus en plus sont syndiqués.

« Je travaille dans cette tannerie depuis 10 ans. Mon patron me laisse plus ou moins en paix, mais il intimide les étrangers qui viennent d’arriver. "Combien as-tu fait de peaux ? Seulement ça ! Allez, plus vite, sinon je te renvoie dans ton pays." » (Témoignage d’ouvrier migrant)
En soulignant la centralité de l’attaque des droits des travailleurs migrants par la « Bossi-Fini », cette mobilisation complexifiait la lutte en cours pour la défense du statut géné­ral des travailleurs (notamment contre la réforme de l’art. 18 sur le licenciement). Hypothèse confirmée depuis puisque les atteintes portées au statut des travailleurs migrants l’année der­nière sont maintenant en passe d’être généralisées.

« La grève du 15 mai est une grève à l’intérieur de la classe ouvrière. Elle lui appartient intégralement, mais elle conteste aussi l’image traditionnelle d’une identité ouvrière homogène qui n’est plus en mesure de réagir aux processus complexes de restruc­turation du travail. » [3]
À la suite de cette mobilisation inédite, le mouvement s’est retrouvé dans une situation difficile. Entre mai et sep­tembre 2002, la loi Bossi-Fini a été approuvée et a porté un coup dur à la participation politique des travailleurs migrants dans la région. Beaucoup d’anciens ouvriers ont décidé de se licencier juste avant l’application de la « Bossi-Fini » pour ne pas perdre leurs primes de fin de contrat, certains sont retour­nés dans leur pays.

Notes

[1Il Manifesto, 16/05/02, « L’ouvrier-étranger n’est plus invisible », Manuela Cartosio.

[2D’après une recherche menée par InterMiGra, “La présence immigrée dans les régions Adriatique, le cas de la Vénétie », juillet 2001.

[3« Tavolo migranti dei Social Forum del Vicentino », La grève des migrants, Supplément DeriveApprodi, printemps 2002.