Vacarme 39 / cahier

« l’impression d’avoir injurié » remarques sur le système de défense de Christian Vanneste

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Le 25 janvier dernier, le député UMP Christian Vanneste voyait confirmée par la Cour d’appel de Douai sa condamnation pour injures en raison de l’orientation sexuelle — il avait en effet, à plusieurs reprises, qualifié l’homosexualité de menace pour la survie de l’humanité. On revient ici sur son système de défense. Entre les classiques de la haine homophobe et des recours à la philosophie aussi ineptes que ridicules, se dessine un ensemble dont l’incohérence est la première caractéristique. Analyse d’un argumentaire, à ajouter à votre manuel de lutte contre l’homophobie.

Le 25 janvier 2007, la Cour d’appel de Douai a confirmé la condamnation de Christian Vanneste pour injures en raison de l’orientation sexuelle. L’arrêt consolide ainsi la jurisprudence créée en première instance en janvier 2006 et permet de considérer les injures homophobes au même titre que les injures racistes ou sexistes. Certes, on constate encore un écart, par exemple si on rapporte l’amende du député UMP, 3 000 €, aux 15 000 € de la condamnation de Georges Frêche pour des propos racistes comparables (« sous-hommes » pour celui-ci, « inférieur » pour celui-là). La condamnation de Vanneste n’en est pas moins une indéniable avancée en matière de lutte contre l’homophobie.

Là où Vanneste invoquait la liberté d’expression, les juges lui ont rappelé que celle-ci n’avait rien à voir avec les injures. À la défense, qui citait l’article 10 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme pour faire valoir une liberté d’expression sans condition, la Cour d’appel a rappelé que cet article possédait un deuxième alinéa qui limite cette liberté ; l’injure en est un exemple. L’arrêt de la Cour indique que la liberté d’expression « comportant des devoirs et des obligations peut être soumise à certaines restrictions ou sanctions prévues par la loi, des mesures nécessaires, dans une société démocratique [...] à la protection de la réputation ou des droits d’autrui. »

« Devoirs et obligations » : une responsabilité face aux mots que Vanneste n’a eu de cesse de fuir tout au long des audiences. C’est un principe extrêmement simple que le député a défendu devant les juges : « je ne suis en aucun cas responsable de la façon dont on a perçu les propos que j’ai tenus. » « Je suis libre d’exprimer ce que je pense » signifie « Je n’ai pas à me préoccuper de l’impact de mes paroles ». Sans doute le raisonnement est-il banal chez tous les marchands de haine. Mais le terrain de l’insulte homophobe, jusque-là juridiquement vierge, a offert à Vanneste l’occasion de l’exploiter systématiquement.

À l’audience en appel, l’avocate générale a posé à Vanneste la question suivante, la plus précise posée sur le sujet au cours des deux audiences : « Vous dites être extrêmement préoccupé par la famille traditionnelle. Mais les homosexuels ont des familles, des parents, des frères et sœurs... N’avez-vous pas conscience que vos jugements peuvent accentuer les démarches de rejet ? » Vanneste élude : « Il est rare qu’une phrase prononcée dans l’hémicycle soit reprise par la presse. J’ai parlé dans l’intérêt général. J’ai toujours dit que je respectais les personnes. »

La non-réponse de Vanneste est un moyen de ramener le débat sur un terrain où il se sent plus à l’aise, celui de l’Assemblée nationale : tous les propos qu’il peut y tenir sont couverts par l’immunité parlementaire. Ce principe, censé protéger les élus de pressions judiciaires abusives qui les empêcheraient de faire correctement leur travail, se transforme avec Vanneste en machine à produire l’évidence de l’impunité. Cité comme témoin de la défense, le député Roumegoux confie : « Ce que je redoute, c’est qu’à cause de la peur des mots, on doive subir les mots de la peur. Par exemple, s’il fallait à chaque fois à l’Assemblée faire attention à ce que l’on dit, on n’irait pas loin. »

Vanneste étant poursuivi pour des propos tenus dans la presse, l’immunité parlementaire ne pouvait jouer. Le député a donc cherché à montrer qu’il aurait été victime du harcèlement associatif, mis sous pression et obligé d’« improviser » une réaction. Argument peu convaincant, puisqu’il a répété publiquement les mêmes injures tout au long des deux années de procédure.

Il accuse également les médias de lui avoir tendu un piège, avec la complicité du lobby gay : en lui posant des questions sur ce qu’il a dit à l’Assemblée nationale, les journalistes auraient cherché à contourner l’immunité parlementaire. C’est du fait des médias que « comportement inférieur » ou « dangereux » seraient vécus comme des insultes.

Ce sont encore les journalistes que Vanneste tient pour responsables d’un autre malentendu : ils n’ont pas compris qu’il parlait en philosophe, et non en élu. « Une menace pour la survie de l’humanité », c’est une hyperbole cartésienne, non une insulte ; « si on devait la pousser à l’universel », c’est la reprise de l’impératif catégorique de Kant, non l’expression d’une phobie haineuse qui consisterait à dire que l’homosexualité, dès lors qu’on la reconnaît pour égale de l’hétérosexualité, deviendrait contagieuse.

Bref, si le lectorat, notamment homosexuel, des quotidiens régionaux perçoit des insultes, c’est qu’il n’a pas une culture philosophique suffisante. La condescendance de cet argument est proportionnelle à la faiblesse des analyses du député-philosophe, quand il explique par exemple : « Je suis la pensée de Descartes, pas celle de Spinoza. Lorsque que quelqu’un a un désir en lui, il peut toujours choisir de céder ou non à ce désir. La volonté, ça compte. L’homme peut choisir, il a un libre arbitre. »

Le dernier « malentendu » qui dédouanerait Vanneste est sans doute le plus obscène. Il est avancé par son troisième avocat, Maître Le Borgne : « Depuis des siècles, les homosexuels luttent pour vivre. [...] Les homosexuels n’en peuvent plus, et je les comprends, je comprends leur combat. » C’est précisément parce que les homosexuel-le-s « souffrent » qu’ils et elles prendraient pour insultes des propos qui ne seraient, si on les regarde avec la distance dont ils et elles seraient incapables, que l’expression d’idées conservatrices dans un débat démocratique.

Tout, de l’immunité parlementaire aux combats associatifs en passant par la philosophie, est ainsi récupéré avec une parfaite malhonnêteté intellectuelle. C’est dans ce cadre d’irresponsabilité assumée que la haine peut s’épanouir.

L’homophobie de Vanneste est des plus classiques : assignation à la discrétion (« J’ai été adjoint à la culture. J’y avais beaucoup d’amis homosexuels. Je dis « j’avais » car plusieurs sont morts. Ces personnes n’affichaient pas leur homosexualité, c’est un comportement privé, ils ne le disaient pas, n’en faisaient pas étalage ») ; pathologisation de l’homosexualité (« L’homosexualité peut être acquise, mais aussi rééduquée ») ; stigmatisation de la soi-disant stérilité d’une relation homosexuelle qui en fait une menace pour la survie de l’humanité ; dénonciation du « sectarisme » des homosexuel-le-s dès lors qu’elles et ils se battent pour leurs droits, infériorisation morale et sociale ; séparation inepte entre les personnes et leur comportement, qui permet de prétendre qu’il n’y a pas insulte quand on parle d’un « comportement homosexuel dangereux ». Autant d’« arguments » rabâchés par tous les homophobes, et intériorisés collectivement comme l’expression d’opinions défendables. C’est cette banalisation qui permet à Vanneste de nier à ce point ses responsabilités en matière d’insultes.

Vanneste le fait valoir lui-même, et ses avocats le soutiennent : les discriminations entre homosexuel-le-s et hétérosexuel-le-s existent en droit, alors que les discriminations racistes ou liées à la religion sont interdites. C’est bien pour cela qu’il estime que la liberté d’expression pourrait inclure l’injure homophobe. Si les pédés, les gouines et les trans sont des sous-citoyen-ne-s, pourquoi se priver de les rabaisser ?

La condamnation de Vanneste permet, si ce n’est d’endiguer le flot de haine homophobe, du moins de le désigner comme tel et de le punir. Mais là où la justice a fait son travail, pointant la responsabilité d’un homme, d’autant plus grande qu’il est élu de la Nation, on attend toujours des politiques qu’ils et elles en assument les conséquences. On remarquera au passage que les paroles homophobes de certains élus socialistes des départements français d’Amérique n’ont suscité aucune sanction de la part de leur hiérarchie. Certes ils n’avaient pas été reconnu-e-s coupables par la justice. Le PS a-t-il besoin pour réagir d’une décision de justice ? L’affaire Frêche semble le montrer.

En refusant d’exclure Vanneste de l’UMP, comme il l’avait pourtant promis, Nicolas Sarkozy accrédite la stratégie de déresponsabilisation du député : les mots ne sont pas importants, ou, plus exactement, ne le sont que si les personnes visées sont dignes d’estime. L’indulgence du ministère de l’Intérieur répond évidemment à un impératif électoraliste : il a besoin des voix que la haine de Vanneste peut séduire.

« En sa qualité de député, homme public, philosophe de formation, et enseignant, M. Vanneste ne pouvait ignorer que ses propos mettaient en cause la dignité des personnes homosexuelles et qu’ils étaient attentatoires à leur honneur et à leur considération »
TGI de Lille, Jugement correctionnel du 24 janvier 2006, confirmé par la Cour d’appel de Douai le 25 janvier 2007.

Post-scriptum

Les pièces du dossier ainsi qu’un compte-rendu des audiences sont disponibles sur le site d’Act Up-Paris, www.actupparis.org/mot1392.html