Vacarme 40 / cahier

l’enfant chétif du collège nature de La Chapelle-en-Vercors

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Je vais essayer de me souvenir de ce que disait Raphaël Poirée il y a quelques semaines. Je vis avec la conscience diffuse mais permanente d’avoir un article à écrire pour Vacarme. Et je lis des articles dans les journaux, des articles sur le sport, et quand un sportif a des propos remarquables ou fait des choses remarquables je pense à les présenter, à les relayer en fait. À évoquer ce qui m’a frappé et ce que cela suggère d’intéressant. Alors je conserve le journal qui contient cet article, c’est-à-dire qu’il traîne un moment dans mon sac puis posé à plat sur une étagère au-dessus d’une rangée de livres et à côté du courrier en instance, c’est-à-dire que je ne le jette pas. Et puis parfois je ne me souviens plus pourquoi je l’ai gardé ou je le pose par mégarde sur la pile à jeter. C’est le cas pour le numéro de L’Équipe qui contenait les propos de Raphaël Poirée dont je vais essayer de me souvenir.

Il faut d’abord savoir que Raphaël Poirée est un champion de biathlon et qu’il a un grand rival. Il faut aussi savoir que le biathlon c’est du ski de fond, mais on s’arrête pour tirer au fusil sur des cibles. C’est un très grand champion et comme tous les grands champions il a un grand rival. Ce grand rival s’appelle Ole Einar Bjørndalen. Il disait quelque chose — une plaisanterie — à propos du fait que la femme de Poirée, Liv Grete, est une biathlète norvégienne comme lui et surtout que sa vie d’athlète aura été un combat contre ce mec qu’il adore, Poirée. Pour sa dernière course, la photo finish sera nécessaire pour discerner la victoire de Bjørndalen. C’est très beau une photo finish mais là, l’image aussi était très belle.

Poirée citait comme une raison principale de sa décision d’arrêter la compétition sa petite fille Emma : « Papa je t’aime et je veux que tu restes avec moi. » On dirait qu’il a épousé son sport et le pays de son sport et une biathlète et que cela ait produit la fin. À Oslo-Holmenkollen, battu photo finish par son grand rival, ça a une autre gueule que Lemmond — Hinault main dans la main à L’Alpe d’Huez.

Je me souviens aussi qu’il disait qu’il était mauvais quand il a commencé. C’était un enfant chétif qui faisait pas mal de conneries et son père adoptif l’a inscrit au collège nature de La Chapelle-en-Vercors. Il disait : « Pour moi le biathlon n’a jamais été une passion dévorante, c’est mon job depuis l’âge de quatorze ans. »

En 2006, un an avant la photo finish, il échouait aux Jeux olympiques de Turin en disant : « Physiquement ça allait mais dans la tête, j’étais plus bas que terre. Les gens paient la redevance télé pour voir du spectacle et moi je leur ai donné de la merde. » Et comme explication : « Tout a basculé avec la naissance de ma fille, je suis devenu un nounours. Je me suis égaré. J’aimerais redevenir moi-même, c’est ma priorité. »

Des propos de début de saison. À la fin de la saison, il aura gagné la Coupe du monde dans la discipline individuelle en perdant la dernière course de quelques millièmes de secondes derrière son grand rival. Il disait : « Il est désormais le plus fort mais il n’a pas Anna et Emma. » Et ils s’entraînaient ensemble. D’ailleurs il s’entraînait plutôt avec les Norvégiens et, répondant à une question sur son état de forme avant les Jeux olympiques, l’entraîneur de l’équipe de France disait : « D’après ce qu’on a pu en savoir, il y a quelques problèmes de réglage au tir, rien de bien grave. »

Je ne me souviens plus très bien de ce que disait Raphaël Poirée à propos de Liv Grete. Mais il y avait de l’amour, un enfant chétif, la Norvège et un grand rival, un enfant chétif qui faisait pas mal de conneries et une photo finish et un père adoptif qui vous inscrit au collège nature de La Chapelle-en-Vercors.