Vacarme 13 / arsenal

Le PCF et la question algérienne (1959)

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Durant la guerre d’Algérie, l’opposition interne du PCF, en rupture avec l’« esprit » et la discipline de parti, s’affronte durement aux positions de la direction : contre le vote des pouvoirs spéciaux en 1956, contre la condamnation des attentats du FLN en 1954, contre l’exclusion des communistes qui soutiennent le FLN. À la fin des années 50, c’est dans L’Étincelle, journal interne, et Voies nouvelles, périodique vendu en kiosque, animés par Victor Leduc et Jean-Pierre Vernant, que paraîtront les critiques les plus virulentes d’une politique qui rejette l’indépendance de l’Algérie. S’il n’en traite pas directement, ce texte nous a semblé éclairer une dimension importante des événements du 17 octobre : l’intolérable, souvent, n’advient que parce que toléré, en creux, par les institutions - ici, celles de la gauche officielle.

Nous remercions Jean-Pierre Vernant de nous avoir autorisés à reproduire ce texte, originellement paru dans Voies nouvelles, 9, 1959, p. 4-7, signé Jean Jérôme, et republié dans Entre mythe et politique (Seuil, 1996).

Le 15 février 1958, la Fédération de France du FLN publiait un document intitulé Le PCF et la Révolution algérienne. On y trouvait une très violente dénonciation de la politique algérienne du Parti communiste français, accusé de n’avoir pas eu le comportement conforme aux principes dont il se réclame : internationalisme et soutien inconditionnel de la lutte anti-impérialiste des peuples coloniaux. Citant les textes officiels du Parti, la Fédération de France du FLN faisait observer qu’en 1956 encore - c’est-à-dire deux ans après le déclenchement de l’insurrection nationale en Algérie - le PC continuait à demander le maintien de l’Algérie dans l’Union française et se prononçait contre l’union de l’Algérie avec la Tunisie et le Maroc indépendants au sein d’un Maghreb arabe [1]. Le PC prenait ainsi, dans les faits, position contre le mot d’ordre au nom duquel le mouvement national algérien avait engagé la lutte armée contre le système colonial français : l’indépendance.

Quelles pouvaient être les raisons d’une attitude si ouvertement contraire aux principes léninistes dont se réclame le Parti ? Suivant le FLN, il s’agirait, non pas tant d’une absence de fermeté idéologique, de cet esprit d’opportunisme et de recul qui fait céder à la pression de l’adversaire, mais bien plutôt d’une ligne politique délibérée, appliquée, dès la Libération, de façon conséquente : l’ennemi principal étant l’impérialisme américain, le PC se donnait comme objectif stratégique essentiel de rassembler contre cet impérialisme tous ceux qui, suivant la formule du secrétaire général du parti, n’acceptaient pas de voir la France « réduite au rang de puissance secondaire » [2] ; il cherchait à réaliser un large front anti-américain englobant tous les Français, des divers partis, « toutes les couches patriotes de la nation qui veulent reconquérir l’indépendance et la souveraineté nationales » [3]. Dans cette perspective, la révolte des peuples coloniaux opprimés par la France et leur tentative de libération devaient être considérées par la direction du PC avec une certaine réserve, pour ne pas dire avec une certaine méfiance. En effet, elles ouvraient un nouveau champ d’action aux entreprises de l’impérialisme américain ; elles ruinaient d’autre part toute la stratégie du PC en faisant éclater cette alliance systématiquement recherchée avec les éléments nationalistes de la bourgeoisie française pour qui la lutte aux côtés des communistes pour une politique plus indépendante à l’égard des États-Unis signifiait d’abord et avant tout, comme il est apparu dans la bataille contre la CED (Communauté européenne de défense) [4], la défense de l’empire colonial français contre une éventuelle mainmise américaine. Ainsi, au moment même où s’amorçait la crise dans tout l’Empire français, dernier empire colonial de type traditionnel, alors que la France s’engageait dans une chaîne ininterrompue d’actions répressives et de guerres coloniales, le parti le plus représentatif de la classe ouvrière française aurait choisi pour axe central de sa lutte, non le combat contre son propre impérialisme, mais la bataille contre un impérialisme étranger menaçant les « intérêts nationaux » du pays. La logique de cette stratégie, accordant toujours à ce qui pouvait renforcer l’indépendance française à l’égard des États-Unis la priorité absolue sur la lutte des colonies pour l’indépendance à l’égard de la France, aurait conduit le PC, dans l’affaire algérienne, sur des positions finalement plus proches de celles de la bourgeoisie française que de celles du peuple algérien en guerre pour la reconnaissance de son droit à l’existence nationale. « Le caractère premier de l’attitude du PCF quant à la question coloniale, affirmait le document de la Fédération de France du FLN, est de clamer que l’intérêt des peuples opprimés est de rester unis à la métropole. » « Le droit au divorce n’entraîne pas l’obligation de divorcer », écrit M. Thorez qui conclut à la nécessité de l’union. Cette manière de voir traduit la sous-estimation, sinon le mépris des mouvements de libération dans les colonies, et l’intention de faire d’eux une force d’appoint des mouvements français. Avant-guerre l’union était nécessaire en Afrique du Nord à cause des « prétentions franquistes ou italiennes ». Aujourd’hui elle l’est à cause des « prétentions de l’impérialisme américain ». En 1945, en Syrie et au Liban, c’était l’impérialisme anglo-saxon qui justifiait les critiques contre le mouvement de libération. Si les contradictions entre l’impérialisme français et ses prétendus concurrents se résolvent toujours par la supériorité pour les peuples coloniaux de l’impérialisme français, alors le droit au divorce disparaît car ces contradictions ne disparaîtront qu’avec l’impérialisme colonisateur. Cela revient en fait à refuser aux colonies le droit à la séparation, donc à l’autodétermination. » Le texte ajoutait : « Cette orientation dont l’aspect chauvin et cocardier n’échappe à personne fait appel à des notions équivoques et confuses telles que "grandeur française, intérêts légitimes de la France". » Et la Fédération de France du FLN concluait que « le décalage entre les principes théoriques dont prétend s’inspirer le PC et son comportement réel dans l’affaire algérienne, vient de ce que le PCF assume purement et simplement la politique des blocs. Le PCF n’hésite pas et n’a jamais hésité à se transformer en force d’appoint des milieux colonialistes ou néocolonialistes quand ils sont d’accord avec lui pour un regroupement parlementaire sur certains objectifs de politique extérieure ».

Quelle est la portée de ces accusations lancées par les représentants de la révolution algérienne contre les représentants du prolétariat révolutionnaire français ? Expriment-elles seulement cette défiance à l’égard des colonisateurs que fait naître chez les colonisés une oppression séculaire, et qui, de façon bien compréhensible, finit, comme le note Lénine [5], par s’étendre à la nation colonisatrice tout entière, y compris son prolétariat ? Trouvent-elles au contraire leur fondement dans les insuffisances ou les fautes réelles du PCF ? Il n’est pas possible à un communiste de ne pas affronter clairement ce problème qui, par-delà la France, intéresse tout l’avenir du mouvement ouvrier dans ses rapports avec le mouvement d’émancipation des peuples coloniaux.

Le document FLN

Le document du FLN prétend, selon ses propres termes, apporter « plus une mise au point qu’une critique négative ou passionnelle du PCF ». À cet égard, il appelle certaines remarques préalables. S’il est bien exact qu’en 1956 encore le PC restait attaché à la formule d’une « véritable union française », à la date où le texte du FLN a été publié (février 1958) le Parti avait renoncé à ce mot d’ordre. Depuis 1957, il se prononçait clairement pour le droit à l’indépendance de l’Algérie ; en avril de la même année, par la bouche de son secrétaire général, il avait enfin abandonné la définition de l’Algérie comme « nation en formation », lancée par Maurice Thorez en 1939, formule qui n’a jamais sans doute exactement correspondu à la réalité algérienne [6], mais qui, avec les progrès de l’idée d’indépendance dans les masses musulmanes après la guerre, s’en éloignait chaque jour davantage, et avait pris, dès avant 1954, une signification ouvertement démobilisatrice [7]. À partir d’avril 1957, la formule « nation en formation », que le Parti, quelques semaines auparavant, affirmait encore valable pour le présent et pour l’avenir, était rejetée et remplacée par l’expression « nation forgée dans les combats » qui, contrairement à la première, justifiait le droit de l’Algérie à l’état de nation indépendante. Certes, ces rectifications de la politique algérienne du Parti n’ont pas été explicitées ; elles ne se sont pas appuyées sur une réflexion critique à l’égard du passé. La reconnaissance et la dénonciation des erreurs commises étaient sans doute la condition nécessaire pour que la nouvelle orientation pût offrir à la fois les garanties de sérieux sur le plan théorique et d’efficacité sur le plan de l’action. Cependant, la Fédération de France du FLN ne pouvait ignorer ces changements. Son document aurait gagné à ne pas les passer sous silence et à en tenir compte dans l’expression de ses critiques.

Est-ce à dire que les communistes français doivent, comme Léon Feix, proclamer, face aux griefs du FLN : « Nous ne nous sentons pas coupables », et mettre en cause les préjugés politiques ou religieux, l’orientation nationaliste des chefs de l’insurrection algérienne ? Ce serait accepter les affirmations du même Léon Feix qui, justifiant toute la politique algérienne du Parti depuis la Libération, écrit que celui-ci s’est battu sur les positions marxistes-léninistes, qu’il n’a jamais dévié de cette ligne juste, jamais glissé sur des positions chauvines, jamais considéré « l’indépendance de l’Algérie comme inévitable plutôt que comme souhaitable » [8]. Ces affirmations sont en contradiction flagrante avec les faits. Si le Parti a tant tardé à reconnaître de façon explicite le droit de l’Algérie à l’indépendance, s’il s’est si longtemps accroché à des formules qui impliquaient la négation ou la limitation de ce droit, c’est que pendant une longue période il avait été en réalité hostile à l’indépendance de l’Algérie et s’était trouvé sur ce point en conflit avec les mouvements nationalistes algériens. Si, comme nous allons le voir, il s’est montré pour le moins réservé à l’égard de l’insurrection de 1954, c’est qu’elle était orientée dans le sens d’une indépendance qui s’opposait aux solutions qu’il souhaitait alors. Au reste, ces désaccords avec le mouvement national algérien et le refus d’envisager une solution d’indépendance s’exprimaient ouvertement dans la littérature du Parti. Rappelons l’article de Léon Feix, précisément, dans les Cahiers du communisme de septembre 1947. L’indépendance de l’Algérie n’y est pas considérée comme souhaitable, ni même comme inévitable : elle est présentée comme une solution fausse, une thèse condamnable, que les communistes doivent rejeter : « La thèse de l’indépendance immédiate de l’Algérie, préconisée par le Parti du Peuple algérien (PPA) conduirait aux pires déboires. La situation actuelle de l’Algérie, pays colonial dont l’économie a été volontairement maintenue dans un état arriéré, le ferait passer immédiatement sous la coupe des trusts américains. » Et plus loin : « Les communistes ne sauraient soutenir la fraction du mouvement national algérien qui préconise pour ce pays l’indépendance immédiate, car cette revendication ne sert pas les intérêts de l’Algérie et de la France. »

La façon dont cette orientation « théorique » se traduisait dans le comportement politique du Parti explique sans doute les raisons profondes de la défiance des nationalistes algériens à l’égard du PCF. Pour le montrer, nous rappellerons ce que fut l’attitude du Parti lors des événements de mai-juin 1945, qui firent dans le Constantinois 30 000 à 40 000 morts musulmans. C’est au cours de cette période que le Parti communiste algérien, dans son Essai sur la Nation algérienne, fait naître la prise de conscience nationale définitive du peuple algérien. Il écrit : « Après le débarquement des troupes alliées en 1942, l’essor du mouvement national s’est concrétisé en particulier par l’immense mouvement des Amis du Manifeste et de la Liberté (AML). Les épreuves communes de mai-juin 1945 ont renforcé la cohésion nationale des Algériens. » Et un peu plus loin il note que les massacres de 1945 dans le Constantinois, en consacrant pour les masses l’impossibilité de faire foi désormais aux promesses de la France, ont achevé de faire de l’Algérie une nation consciente d’elle-même. Telle est l’appréciation que porte aujourd’hui sur ces événements le Parti communiste algérien. Voyons ce que fut alors, en face d’eux, le comportement du PCF. Prenons la collection de L’Humanité de mai 1945. On est en pleine euphorie de la victoire.

Pour les Français, la victoire sur le nazisme signifiait la libération du territoire, les libertés retrouvées, d’importantes conquêtes sociales, un gouvernement où siégeaient des représentants de la classe ouvrière. Pour les musulmans d’Algérie, dans un état de misère et de famine épouvantables, elle allait représenter tout autre chose. Une page de l’histoire était tournée ; une autre commençait, où devait s’écrire la grande lutte des peuples coloniaux pour leur liberté. Le 12 mai, L’Humanité annonce des troubles en Algérie, spécialement à Sétif ; elle signale « le rôle de quelques éléments provocateurs au sein de la population algérienne [...] ; la population affamée a été poussée à des violences par des provocateurs bien connus de l’administration. » Le 13, un communiqué du gouverneur général de l’Algérie met en cause « des éléments d’inspiration et de méthodes hitlériennes ». Regrettant que toute la responsabilité soit rejetée sur les musulmans, l’organe central du PC commente : « Qu’il y ait, parmi eux, quelques hitlériens, c’est d’autant plus évident que le chef pseudo-nationaliste Bourguiba était en Allemagne au moment de la capitulation hitlérienne et vient d’arriver dans un pays d’Afrique du Nord. » Le 15, L’Humanité réitère : « Les agents provocateurs sont parfaitement connus de l’administration algérienne » Le 16, une note du ministère de l’Intérieur, reproduite dans la presse, rejette la responsabilité des événements sur le PPA et sur l’AML. L’Humanité commente : « Le communiqué accuse les Amis du Manifeste d’avoir poussé à la révolte. En supposant qu’il y ait du vrai dans cette affirmation, pourquoi donc le gouvernement général a-t-il autorisé la parution du journal de cette organisation (Égalité) dont nous possédons le numéro du 4 mai ? Le directeur des affaires indigènes tient donc à ce qu’on fasse appel à la révolte. » Le 19 mai, L’Humanité prend la défense des musulmans, du moins de ceux des campagnes, en ces termes : « Les musulmans des campagnes [...] n’ont pas pris la moindre part aux agissements d’une poignée de tueurs à gages dont les chefs sont connus comme mouchards. » Et elle indique la solution : « Ce qu’il faut, c’est punir comme ils le méritent les tueurs hitlériens ayant participé aux événements du 8 mai et les chefs pseudo-nationalistes qui ont sciemment essayé de tromper les masses musulmanes, faisant ainsi le jeu des 100 seigneurs dans leur tentative de rupture entre les populations algériennes et le peuple de France. » Le 20 mai, le comité central du PCF, réuni en session extraordinaire, s’adresse au Parti communiste algérien. Selon lui, les événements montrent que « les provocations des 100 seigneurs de la terre, des mines et de la banque, disposant d’agents directs ou inconscients dans certains milieux musulmans qui se prétendent nationalistes, ont pu être déjouées partout où le PC algérien possède des organisations puissantes. Le PC algérien remplit ainsi sa grande tâche de rassembler les populations algériennes sans distinction de race ni de religion dans la lutte contre les traîtres et les diviseurs et dans une alliance étroite avec le peuple de France contre l’ennemi commun, le fascisme. »

Le 29 mai, L’Humanité signale l’assassinat par la police du camarade Ladjali Mohamed Saïd secrétaire de la section communiste de la Casbah d’Alger. Elle ajoute que, ce camarade « ayant été trouvé porteur de documents importants des Amis du Manifeste, organisation pseudo-nationaliste dont les tueurs ont participé aux événements de Sétif et d’ailleurs », il ne peut s’agir que d’une pure provocation.

Le 31 mai, sous le titre « Arrestations en Afrique du Nord », elle écrit : « On apprend l’arrestation après les événements du département de Constantine, de Ferhat Abbas, conseiller général, président du comité des Amis du Manifeste. Une mesure identique a été prise à l’égard du Dr Saadane, membre du comité directeur de la même organisation. Il est bien que des mesures soient prises contre des dirigeants de cette association pseudo-nationaliste dont les membres ont participé aux tragiques incidents de Sétif. Mais il reste beaucoup à faire. »

Syrie et Liban

À la même date, en première page, L’Humanité annonçait d’autres troubles, en un autre point de l’empire colonial français : à Damas. Là, les événements allaient, quelques jours plus tard, conduire à l’indépendance de la Syrie et du Liban. Quelle interprétation l’organe central du Parti communiste donnait-il des premiers craquements ébranlant les bases du colonialisme français dans le Proche-Orient ? Rapportant les dépêches d’agence signalant que, le mardi 29 mai 1945, la gendarmerie syrienne et la population avaient attaqué la garnison française, L’Humanité proposait à la classe ouvrière française l’explication suivante : « Des informations concordantes émanant de diverses sources permettent d’affirmer que des éléments doriotistes agissant dans divers milieux et de divers côtés ont joué un rôle particulièrement important dans ces regrettables événements. » Est-ce pour ce type d’analyse que Léon Feix revendique le mérite de la fidélité au marxisme-léninisme ? La question peut être posée, car la direction du Parti ne fera pas preuve de beaucoup plus d’imagination, en 1954, devant le déclenchement de l’insurrection algérienne. [...] Tout naturellement, L’Humanité se réfère pour en informer ses lecteurs aux événements de 1945. Sous le titre : « Graves événements en Algérie », et en énumérant les nombreuses actions armées qui montrent qu’il s’agit d’une insurrection militaire organisée, elle écrit : « On se souvient qu’en 1945 les provocations colonialistes aboutirent dans cette région à des massacres faisant plusieurs dizaines de milliers de victimes algériennes. » Le 3 novembre, elle reproduit une déclaration du Bureau politique du Parti communiste algérien demandant « la recherche d’une solution démocratique qui respecterait les intérêts de tous les habitants de l’Algérie sans distinction de race ni de religion et qui tiendrait compte des intérêts de la France ». Le même jour, le MTLD (Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques) de Messali Hadj demandait, lui, pour les Algériens, « le droit à disposer d’eux-mêmes conformément à la Charte de l’ONU. » Le 5, la dissolution du MTLD est prononcée par le gouvernement. Le 9, L’Humanité publie une déclaration du PCF sur les événements d’Algérie : « En de telles circonstances, fidèle à l’enseignement de Lénine, le Parti communiste français, qui ne saurait approuver le recours à des actes individuels susceptibles de faire le jeu des pires colonialistes, si même ils n’étaient pas fomentés par eux, assure le peuple algérien de la solidarité de la classe ouvrière française dans sa lutte de masse contre la répression et pour la défense de ses droits. » On voit que, depuis la Libération, le Parti n’a pas manqué de continuité dans l’interprétation très particulière qu’il a donnée du léninisme dans les questions coloniales ! Mais il faut citer la suite. Le congrès d’Ivry ayant fixé la question déterminante pour toute la politique française jusqu’au congrès suivant, il fallait bien faire entrer l’insurrection algérienne dans le cadre préfabriqué des résolutions alors adoptées ; peut-être aussi avait-on l’espoir que la vertu des mots et des formules suffirait à préserver une alliance déjà condamnée avec ces éléments de la bourgeoisie nationaliste avec lesquels on avait lutté contre le réarmement allemand. La déclaration du Parti continue donc imperturbablement : « Les travailleurs s’opposeront d’autant plus vigoureusement à la politique férocement colonialiste pratiquée en Algérie et dans toute l’Afrique du Nord qu’elle est étroitement liée à la politique de réarmement du militarisme allemand. Elle tend à faciliter l’implantation de l’impérialisme germanique sur le sol africain [...]. »

Tels sont quelques éléments du dossier concernant les critiques adressées par la Fédération de France du FLN au PCF. On jugera s’ils permettent aux dirigeants du Parti de considérer qu’ils ont la conscience tout à fait tranquille.

Notes

[1La même année, L. Feix écrit dans les Cahiers du communisme : « Certains dirigeants nationalistes préconisent la fusion des trois pays au sein d’un Maghreb arabe ou musulman, depuis le Maroc jusqu’au Pakistan [...]. Il est naturel que les Algériens, les Tunisiens, les Marocains éprouvent les uns pour les autres des sentiments fraternels [...]. Mais cela ne justifie pas une communauté politique contre laquelle jouent tant d’éléments historiques, géographiques, économiques et autres. Une autre voie est possible, ou mieux, encore possible, pour les peuples de l’Afrique du Nord : la voie de l’Union française. »

[2L’Humanité, 18 février 1954. Tout l’article est dans le style suivant : « Les propos sur la prétendue impuissance française visent à affaiblir le sentiment national, la fierté nationale de notre peuple, à pervertir l’âme de nos jeunes gens dont on veut faire les esclaves dociles des milliardaires américains. » À ce jeu, ce n’est jamais Thorez, c’est de Gaulle qui gagne.

[3« Thèses pour le XIle congrès », L’Humanité, 21 avril 1954.

[4Les Soustelle, les Debré et autres gaullistes alors au pouvoir avec lesquels le Parti avait mené la campagne contre la CED ne cachaient pas les raisons de leur hostilité au projet d’armée européenne : seule une armée française autonome pouvait permettre d’intervenir librement en cas de troubles dans les colonies. L’Humanité du 18 février 1954 écrivait : « Il faut faire échec aux néfastes accords de Bonn et de Paris qui consacreraient la renaissance du militarisme allemand et la fin de l’armée nationale française. » C’est le second aspect qui intéressait d’abord les gaullistes.

[5Lénine, Thèses sur les questions nationale et coloniale.

[6Comme le montre le document du FLN, p. 6-8, et comme il ressort aussi, malgré les précautions de forme, de l’étude publiée par le Parti communiste algérien sous le titre Essai sur la Nation algérienne (juillet 1958).

[7Le Parti communiste algérien situe entre les années 1942-1945 ce qu’il appelle la naissance de la nation algérienne. Cette naissance n’ayant été reconnue par le PCF, avec les conséquences qui en découlent, qu’en avril 1957, le Parti, qui prétend avoir toujours raison le premier et trop tôt, n’a donc eu que douze à quinze ans de retard sur la question qui devait se révéler déterminante pour toute la politique française.

[8Réponse de Léon Feix à la résolution de la cellule Sorbonne-Lettres (voir infra, p 553-565 reprochant à la direction du Parti d’avoir marqué un très grave retard à porter ces problèmes devant les masses et considéré l’indépendance de l’Algérie comme inévitable plutôt que comme souhaitable. Léon Feix rejeta en bloc toutes ces critiques (France nouvelle, 22 janvier 1959).