Vacarme 21 / Processus

couleur jardin gris

par

Désormais dans Vacarme, une carte blance à un historien d’art. Anne Bertrantd a assuré le commissariat pour la photographie de dernière biennale d’art contemporain à Lyon. Elle prépare un scrapbook.

Autrefois on demandait aux petites filles quelle était leur couleur préférée, parfois ce goût variait avec l’âge. Peut-être se le demandent-elles encore.

Je m’intéresse à ces couleurs qui m’accompagnent, pour certaines depuis longtemps déjà. Précises : un ton déterminé de jaune ou de rose, de bleu. Ou bien un règne entier, végétal pour le vert, entre prés, arbustes au fond d’un parc modeste, et forêt. Violet de fleurs diverses, avec cette variante de bruyère fraîche. Couleurs prises dans la nature, donc ; parmi les plantes, en réponse à un gris animal.

Couleurs vues, emportées, conservées, de bouquets offerts, lieux par où l’on est passé, mais aussi matières au toucher, saveurs, en cherchant bien il devrait y avoir des sons (champignons pour Cage, et Yves). Des personnes, des œuvres (Lavender Mist pour Polke, et le rouge chinois d’Augustina). Elles ont leur suite dans des tissus, modes selon Mallarmé ou traversant des textes de Colette, en notes vives, qu’il faut entendre. Le rouge de Pasolini, celui qui enlumine Sayat Nova, celui de Schefer, c’est autre chose encore.

Je me sers de sensations qui ont été, qui sont encore les miennes, pour tenter d’en faire autant d’histoires brèves ; je songe à d’autres, aux Notes de chevet de Sei Shônagon, à Larbaud, Ponge, mais c’est tout sauf théorique, abstrait. Je parle de couleurs incarnées — le blanc de l’hermine dansant sur la neige du Present de Robert Frank, à Mabou. Comme toujours, rien d’idéal, pas trop de sentiment, la violence qu’il y a parfois, toute la douceur et l’âpreté du monde, cette ardeur intime, cachée, qui se découvre lorsqu’on sait apprivoiser certains êtres farouches.

Il s’agit des couleurs que l’on vit, que l’on aime, qu’on sache ou non pourquoi ; celles que l’on voit, qui ne vous quittent plus même si elles n’ont fait que traverser le cours d’une existence, parfois on les cherche confusément. Paysages et tableaux, grain d’une roche sous les doigts, la paume, lueur au soir ou nuées, l’éclair enfin d’un animal qui fuit — l’azur d’un geai dans les tilleuls.

Comment une couleur demeure, et pourquoi. Les sensations, peut-être des émotions même (mais...). C’est vrai pour le Cimetière des ânes, pour les fleurs de bougainvillée serrées, le matin du départ, au milieu des feuilles vernies, fruits rouillés d’arbousiers. Persistance de bouquets verts offerts à des hommes, toute ma vie je pense. Flower girl disait June, après le premier cadeau qu’elle m’avait fait d’un seul mot, blooming — et Hedda, à sa suite. Avant même de la connaître, guidée par l’affection que lui portait Philippe, j’avais prévu de lui apporter quelques fleurs. Je me souviens d’œillets blancs à un coin de rue, sur l’étal d’un marchand pakistanais ? Un jour suivant, la surprise, sur Time Square, de basilic à hautes tiges, large, élastique ; ensuite, de la menthe ; surtout des roses trémières noires. Irrésistibles d’abord pour le souvenir de celles de Villiers ; aussi parce que jamais je n’en avais vues qui aient été coupées, chez un fleuriste ou sur un marché — et n’attendais certes pas que ce soit pour la première et seule fois dans Manhattan. Mais ceci n’est rien au regard de l’accueil que me valut ce bouquet poivré, dès l’arrivée chez cette femme fragile et radieuse — au regard de ce qu’elle dit alors et de ce que cela contenait de reconnaissance et déjà d’amitié.

Bleu

Chicorée sauvage m’émeut, c’est le bleu qui me vient immédiatement. Ne sais plus depuis quand. Dès l’enfance chez ma grand-mère, dans les Vosges. Un bleu de bord des chemins sous un ciel voilé, bleu jamais prélevé, alors que sans doute j’ai dû commencer tôt cette manie qui fait que je ne peux revenir les mains vides d’une promenade. Je n’ai jamais appris, mais bizarrement sais quelles fleurs ne souffrent pas d’être prises, ne tiennent pas jusqu’au retour ni ensuite, dans l’eau d’un vase. Je ne me souviens pas avoir jamais souhaité rapporter un exemple de ces fleurs célestes, frêles, aux pétales étroits, à la chair si fine qu’elle paraît se froisser rien qu’à la regarder, étoilant une à une une tige foncée, ligneuse. C’est un bleu plus dense, plus bleu même si très délicat, plus coloré d’une ombre de rose ou de violet que celui de la fleur de lin, si pâle, presque blanche ; plus subtil que celui du plumbago, constant et parfois dru. Il m’a paru si merveilleux qu’existe un papillon du même ton qui, là où la chicorée se refuse à fleurir, console un peu de son absence — mais seulement si l’on sait guetter l’instant où il bat des ailes, fermées il est presque invisible, lorsqu’elles s’ouvrent il laisse voir ce petit pan laiteux, suave, plus léger que plume.

Blanc

De réserve. Celui, paradoxal, d’un immatériel fusain, Faune et Nymphe qui finit par illustrer Joyce ; un souffle, haletant, sans merci (c’est une sorte de viol) mais d’une vibration qui frôle l’infini dans l’air. Je ne sais comment il se fait que je préfère certains Matisse qui n’en sont pas vraiment, la retenue de la Porte-Fenêtre à Collioure plutôt que Le Bonheur de vivre pop, les découpes ivoire sur fond bis, retour de Tahiti plutôt que l’éclatante Tristesse du roi. Blanc d’Ensor ensuite, crayeux et gras, qui chante des tons crus posés contre, sang, outremer, émeraude ou jade : consistant, une pâte. Ce qui conduit à Manzoni ; il ne s’agit alors pas seulement de couleur. D’un principe (comme pour Rodtchenko, mais là c’est une date), et aussi de matières, de ce qui fonde l’œuvre entier.

Je me demande (sans vouloir tout à fait savoir) pourquoi souvent les fleurs blanches sont plus odorantes, gardénia, lis, jasmin ou tubéreuse... Aussi, le projet m’a d’abord séduite d’un jardin monochrome, et puis je le repousse : trop d’artifice. Je préfère celui, extraordinaire, né de rien sous la main amie de Marc ; celui-là a quelque chose à faire avec les plantes, elles lui rendent très largement ses soins, son attention, la même intelligence qu’il montre avec Kafka, qu’on voit dans ses images, qu’il a eue pour ceux qu’il photographiait, gens et arbres — une façon d’être au monde. Avec lui, traversé un champ de digitales à hauteur d’homme.

Rose

Indien ou chinois. Celui aussi d’une aube mémorable au-dessus de Corfou. La robe qu’avait, à sa naissance, la mère de Sand.
Parfois je garde la trace plus prosaïque d’une couleur aimée en la portant (en évitant certaines). Comment ces couleurs revêtues se manifestent aussi par les textures, l’aspect des étoffes à l’œil, sur le corps. La soie rapportée de Birmanie par Alain et Guy, pliée, je la regarde.

Puce, couleur textile. Mais quelle est celle de l’animal ? De là, toutes les couleurs variables, et le vocabulaire attaché (bariolé, diapré, moiré...). Couleur du temps provient de l’univers des contes, celui, horrifiant, de Peau d’âne et les robes commandées pour éloigner le malheur, couleur de lune et de soleil. Chez Madame d’Aulnoy, Florine prisonnière appelle désespérément : Oiseau bleu couleur du temps, vole à moi promptement. La même écrit l’histoire de La Chatte blanche, comme l’est sa ravissante Biche au bois.

Brun

Tabac, havane, ou chevreuil, antilope, pelage d’animal qu’on voudrait caresser ou feuille séchée qui crépite, odeurs fauves. Après, le roux de lichens à l’endroit qui m’est le plus cher au monde.

Gris

Plusieurs fois j’ai songé à ce livre que j’écrirais sur le gris en peinture. D’autres y avaient pensé, Lascault et les Éléments d’un dossier sur le gris dans ses précieux Écrits timides sur le visible. Surtout j’ai fini par me dire que l’idée suffisait.

On peut décliner la théorie des métaux, d’acier à zinc en passant par tant d’alliages. Il y a le gris de bois sec, troncs coupés, de souches qu’on brûle, qui part en fumée. Reste la cendre, comme elle est douce, le vertige que ce serait de s’y laisser tomber. Il y en a d’autres : poussière en élevage ; demi-deuil ; papiers préparés. Gris XVIIIème de lambris, bergères, une banquette Louis XVI, trumeaux en grisaille, Trianon. Furetière : On appelle du taffetas de couleur gorge-de-pigeon celui qui est de couleur changeante, suivant qu’il est exposé à la lumière, comme le fait la gorge de pigeon. J’ai choisi le gris d’animaux. Taupe d’abord, très doux. Gris de l’animal jamais vu puisque se terrant dans les galeries qu’il creuse, ne se laissant deviner que par des monticules à travers les pelouses. Lui seul connaît la règle, quel jeu ce doit être. Écureuil — ceux de Central Park, premiers Américains rencontrés à New York. Parents de moineaux comme eux couleur de ville en août, furtifs et familiers. Je l’avais oublié, j’en avais déjà vu dans les pins de la Villa Gillet, j’en reverrais dans les Jardins de la Fontaine — quand j’allais m’y promener seule, les dimanches, à l’heure où les Nîmois déjeunent, je ne croisais guère qu’eux et nous nous regardions. Au tronc de chênes-verts ils glissaient, verticaux, ou traversaient soudain l’allée, voltigeaient, acrobates à ne pas applaudir. Silencieuse, je pouvais avancer près, qu’ils me dévisagent et décident enfin du moment de partir, disparaître je ne saurai jamais comment. Souris : c’est du moins ce qu’on dit. La seule que j’aie fréquentée, qui ait logé chez moi, boulevard Edgar Quinet, les yeux en têtes d’épingle, la longue queue plus longue que le corps, trapéziste hors pair aux grilles où suspendre les ustensiles de cuisine, excessivement bruyante pendant des nuits, je n’ai pu la voir qu’une fois, exquise. Elle n’aimait que les fleurs de serviettes en papier bleu, un jour s’en est allée. Seulement elle était noire, alors ça ne vaut pas ? Renard, loup : je pense à leur fourrure vive, qui l’a jamais touchée avant qu’elle soit vêtement, parure, morte. Fournie, elle ne doit pas être si douce, mais les protège de plus que du froid, d’épines qui déchirent, rochers, branches où se meurtrir, neige et boue, autres bêtes féroces... Un gris mêlé de blanc, de noir, de brun, de beige, poil changeant pour celui qui s’évanouit dans l’obscurité, souple, et montre les dents, qu’il menace ou soit menacé. Un gris pourtant qui ne camoufle pas, don fait au plus sauvage. Éléphant d’Afrique ou d’Asie, ceux de films et séries, de cirque, enfant d’éléphant des Histoires comme ça, rejoignent un portrait de Duchamp par Avedon sur mon bureau, où qu’il soit il me suit (éléphant de poche). Un cuir jamais observé d’assez près, senti, pourtant je veux croire qu’il est épais, n’empêche pas la finesse. Tourterelle, sœur de colombe. La pureté en moins, en plus un ton sans pareil, d’orage apaisé, d’aile reployée, de calme accompagné d’une mélancolie légère, appel auquel seule une autre tourterelle sait répondre, un chant monotone et s’arrêtant court, contraire d’une mélodie — mais ce gris. Dauphin, baleine, otarie, requin — animaux marins, chacun leur gris mouillé, lisse, brillant même, qui fend les vagues et file aussi. Hors de l’eau s’affadit, perd son sens. Demande-t-on aux sirènes de quitter les flots ? Elles meurent. Et comment vivre au plus profond sans cette armure égale, épousant les corps sans coutures, rivets ni sutures. Il y aurait encore le gris du chat des chartreux, fourré, fer, parfois teinté de bleu — moins que le persan vaporeux. Le gris d’araignées, d’insectes minuscules et peu aimés, guère aimables. Celui de crevette, d’escargot ; d’huître et de perle. Gris des oiseaux de mer (la Jeune fille aux mouettes de Courbet) et d’eau (hérons, grèbes), de nocturnes, d’un jeune rapace tombé. Girafe de Pirosmani.

Ailleurs gris de cailloux, bruts ou taillés, de murs de pierre, d’une carrière de lave en pleine forêt, d’un toit de lauzes-écailles de poisson énorme, assoupi. Gris du ciel et des nuages, de tempêtes qui planent, gris tonnant qui s’écoule en ondée brutale, chaude. Brouillards, effets de neige, bourrasques, cyclone, toute une météorologie. Gris de la lune et des planètes, leur sol — diamants stellaires, fonds sous-marin : entrée de Tanguy.

Gris de peintres, donc. Rapidement : Greco pour la Vue de Tolède et L’Orage de Poussin, les nuées de Constable et les fonds mouchetés, translucides de David, les tons mourants de Whistler, la musique de Klee, le soleil mat d’Hélion, le scintillement de Pollock. Strindberg — et pourtant du voyage au Nord je ne garde aucune vision de gris, mais bien plutôt de lueurs sourdes animant le blanc, durant ce jour sans jour, nuit passée à traverser la ville fantôme. Richter. Ce qui vibre chez Federle, la touche sur de grands panneaux, le trait dans de petits carnets, tout l’entre-deux. Les sculpteurs, les dessinateurs, c’est un autre sujet (ardoise de Long ; Penone et son marbre veiné ; Muñoz ; Hucleux, comme il en parle). Tout pour la petite fille en gris de Vélasquez à l’Hispanic Society. Toute fleur, en mourant, donne son gris.

Jaune

Colza, celui de champs par la fenêtre, quand nous rentrions, le dimanche soir, à un moment précis de l’année. Moment qui ne dure pas, mais chaque année la couleur revient, acide, tranchant sur les verts intermédiaires d’autres champs, de petits bois. Curieusement je me souviens exactement de ce jaune devant le gris-violet d’un ciel d’orage qui n’a jamais éclaté — nous étions déjà loin. Reste la stridence du colza, qui ne peut avoir un goût, un bruit aussi aigus que ne l’est sa couleur.

Noir

Celui de peintres, même si certains prétendent que le noir absolu n’existe pas, qu’il faut une matière, Dubuffet le souligne, il s’y connaissait en matériologies, texturologies, on le croit sur parole. Il n’est pas le premier, Van Gogh le déclarait déjà. Renoir, et Miró n’en pensent que du bien. Malevitch. Les noirs de Goya, Redon : leurs gravures ; mais d’autres noirs sont dans leurs peintures, ou pastels, et aussi des couleurs — ce n’est pas la seule issue.

Manet pourquoi ? Ses gris ? Ses noirs ? Ses bleus, ses roses ? Les oranges d’Un bar aux Folies-Bergère ou le vert du Balcon ? Et les fonds vibratiles des portraits de Mallarmé ou de Méry Laurent sous les traits de L’Automne ? Chez peu de peintres des couleurs m’auront autant touchée, en tant que telles. Cela n’empêche pas, bien sûr, de voir le tableau entier, mais la délectation peut tenir à un ton, quelle que soit sa valeur, la stratégie déployée : le gris clos isolant Le Joueur de fifre, la robe chair de La Femme au perroquet — Victorine Meurent, soit Olympia vêtue -, qui cache le corps entier ; le bleu décor-écrin de Nana ; la flamme qui lèche le noir absolu, si, du Bateau goudronné, ce même noir dans le portrait lui-même absolu de Berthe Morisot, ou celui de l’étonnante mise en scène, ce tour de force qu’est Un bal masqué à l’Opéra. Un peintre peut tout dire avec des fruits et des fleurs, ou des nuages seulement. La même qualité dans ses pastels, bien différents de ceux, brûlants, de Degas (et de ses monotypes, où la couleur emporte tout).

Orange

Entre souci et fruits du kaki ; couleur décorative, datée, disparue, retrouvée ; quelques photographies de Faurer, où la tonalité n’est pas du tout la même, adoucie, que celle, flamboyante, des films de Powell (Le Narcisse noir).

Langage des fleurs, leur signification, mais comment cela s’est-il perdu ? Sauvé de chez mon autre grand-mère, la maison vendue, le petit volume toilé noir et or des Fleurs parlantes, ses gravures coloriées, et le code en vigueur chez les jeunes personnes au XIXème siècle — qui dit giroflée, dit fidélité ; œillet de poète, finesse mais œillet jaune, exigence ; oranger, générosité ; bourrache, brusquerie ; une branche de charme, ornement, une de chêne, hospitalité ; fenouil, force ; héliotrope, enivrement ; houx, prévoyance ; la rose blanche est silence ; la sauge estime ; la sensitive pudeur ; la belle-de-jour coquetterie, celle de nuit timidité ; le buis courage ; la scabieuse mystère ; le mûrier sagesse ; la marjolaine, J’y songerai.

Rouge

Pavot : car le coquelicot n’existe pas vraiment. Ou bien isolé, tache comme une erreur au milieu d’herbes et de fleurs des champs. Ou bien plus rarement criblant un pré, produisant ce dérangeant effet d’optique estampillé impressionniste. En route vers Milly-la-Forêt, un jour de juillet où nous allions, Hervé et moi, consulter des archives dans la maison de Cocteau pour illustrer notre Parade : pendant des minutes dans le petit train brinquebalant, le mélange inoubliable rouge et vert à travers champs. Impossible d’en cueillir, il fane presque instantanément, se fripe, de sa tige coule un lait qui tache... Il y avait pourtant ce rite, pincer la coque pour découvrir le rose du bouton qui ne rougirait pas, défaire les pétales, les lisser du doigt, se raconter qu’il s’agit de la robe d’une fleur-fée comme celles, un peu mièvres, de Granville.

Le tout dernier Schefer : Polyxène et la vierge à la robe rouge.

Vert

Végétal, presque exclusivement. Non le vert des premières feuilles au printemps, si poignant soit-il, non le vert dominant de forêts exotiques : celui, profond, reconnaissable, enveloppant, de la forêt où l’on se perd (un temps). Les mousses de Hawthorne et Melville, la couleur du Walden de Mekas. Toute la variété des absinthe, anis, cyprès, fougère, gazon, laurier, myrte, olive, pomme, réséda, rhubarbe... Vinci : Les couleurs accidentelles des feuillages sont quatre : ombre, lumière, lustre et transparence.

Comment une couleur peut faire un tableau. Comment les peintres parlent des couleurs, comment ils les emploient. Les peintres d’une seule couleur... mais ce n’est pas tout à fait vrai. Même Klein, voir ses premiers monochromes et les derniers, rose-rouge ou bien or. Ce qu’ils pensent de certaines, comment ils peuvent s’opposer, Delacroix prétend que l’ennemi de toute peinture est le gris, Gustave Moreau que Si vous n’avez pas l’imagination, vous ne ferez jamais de la belle couleur — témoin son Cavalier. Comment Zurbaran habille ses saintes en reines, quand saint François reste de bure, les hommes dignes mendiants.

Delacroix encore, 6 juin 1851 : L’impression profonde que m’ont faite les Lesueur ne m’empêche pas de me rendre compte du degré de force que la couleur peut ajouter à l’expression. Contre l’opinion vulgaire, je dirais que la couleur a une force beaucoup plus mystérieuse et peut-être plus puissante ; elle agit pour ainsi dire à notre insu.

Et Van Gogh, 17 septembre 1888 (...) : Parce que jamais j’ai eu une telle chance, ici la nature est extraordinairement belle. Tout et partout la coupole du ciel est d’un bleu admirable, le soleil a un rayonnement de soufre pâle et c’est doux et charmant comme la combinaison des bleus célestes et des jaunes dans les Van der Meer de Delft. Je ne peux pas peindre aussi beau que cela, mais cela m’absorbe tant que je me laisse aller sans penser à aucune règle. (...) Ce côté-là du jardin est d’ailleurs pour la même raison de chasteté ou de morale dégarni d’arbustes et fleurs tel que le laurier-rose. C’est des platanes communs, des sapins en buissons raides, un arbre pleureur et de l’herbe verte. Mais c’est d’une intimité. Il y a des jardins de Manet comme cela.

25 mai 1889 (...) : Depuis que je suis ici, le jardin désolé, planté de grands pins sous lesquels croît haute et mal entretenue une herbe entremêlée d’ivraies diverses, m’a suffi pour travailler et je ne suis pas encore sorti dehors.

Violet

Celui de quantité de fleurs, l’ancolie et l’iris, l’œillet et le dahlia, la giroflée, la tulipe, glycine, certains géraniums, le lilas, des renoncules ; le ton spécifique de la bruyère pas encore sèche, du pistil des fleurs de câpriers, certaines orchidées charnues mais muettes. Couleur de lande, c’est autre chose (Brigadoon).

Quels écrivains ont le sens des couleurs et savent l’exprimer, ils ne sont pas nombreux. Chez Apollinaire, l’accidentel La dame avait une robe / En ottoman violine fait écho au plus ample et splendide Le pré est vénéneux mais joli en automne / Les vaches y paissant / Lentement s’empoisonnent / Le colchique couleur de cerne et de lilas / Y fleurit tes yeux sont comme cette fleur-là / Violâtres comme leur cerne et comme cet automne / Et ma vie pour tes yeux lentement s’empoisonne. Combien il est rare de lire une page écrite sur la couleur seule, qui la rende.