L’hôpital universitaire de Lausanne. Derrière, les cimes déjà un peu enneigées, devant, le lac. Une ville dans la ville. Une citadelle de 1200 lits où travaillent chaque jour 5 392 employés.

Dans le service des procréations médicalement assistées, les couloirs sont encore vides. Sur un tableau noir contre le mur, un dessin d’enfant à la craie est resté : un grand animal énigmatique et une maison. Il est tôt. Avec nous, François Ansermet, psychanalyste, psychiatre d’enfants, Marc Germond, médecin-gynécologue chef de l’unité de PMA, Claudia Mejia, linguiste, et deux historiennes de l’art, Véronique Mauron et Francesca Cascino.

Deux tables rondes : la première, ci-dessous, pour éclairer un travail à plusieurs autour de cette pratique médicale. La seconde, plus loin, pour évoquer une piste de recherche avec l’histoire de l’art.

François Ansermet, Marc Germond et Claudia Mejia travaillent ensemble depuis sept ans. La rencontre entre les deux premiers s’est faite au fil de discussions informelles, au hasard de temps de pause dans le service, où partager, d’étonnements en perplexités, les « points de butée » que chacun rencontrait dans sa pratique. Claudia Meija, qui étudiait avec François Ansermet les pathologies du langage chez l’enfant, les a rejoints. Ces trois praticiens se sont alors engagés dans un travail de recherche interdisciplinaire.

Décider

Tout de suite, une plongée, dans un monde inconnu, où les technologies médicales de pointe précèdent et assistent la conception. Monde traversé d’une étrangeté particulière où l’on pressent que ce qui semblait le plus commun, ici pris en défaut et cousu à la science, occupe un temps paradoxal, élargi — un temps où se déploient les questions fondamentales attachées à la plus vieille histoire du monde.

Au fil des découvertes en matière de biotechno-logies, les limites de l’intervention sur le vivant se déplacent, ouvrant d’autres lieux d’investigations. Mais les questions repoussées repoussent.
L’assistance médicale à la procréation provoque une sorte de dévoilement de l’origine, opère un « forçage de la pensée » (FA) qui fait vaciller patients et médecins. Comment construire une réflexion commune ?

Ce vacillement, Marc Germond dit l’avoir éprouvé dès le début de son activité en 1985, mais surtout en 1996 dans le cadre des consultations préalables à l’élaboration d’une loi sur la PMA, réunissant des juristes et des praticiens. Il mesure alors combien les médecins sont démunis. D’un côté, il faut un cadre : en Italie, c’est l’absence de loi qui laisse des Antinori [1] occuper le devant de la scène [2]. Pourtant, « la construction d’un dispositif légal ne protège pas le gynécologue du risque de se retrouver en position de “grand procréateur”, décidant de qui a le droit de faire des enfants, dans quelles conditions, à quel âge, et avec qui… » En effet, nombre de gynécologues continuent d’assumer une position de toute-puissance, et de répondre négativement — ou positivement — à certaines demandes, simplement parce qu’ils sont choqués ou dépassés par elles.

C’est justement parce qu’en la matière « toute demande dépasse » et fait se heurter les praticiens à un « point d’impossible », une responsabilité extravagante qui met le savoir en défaut — permettre que se fasse ou non un enfant — que Marc Germond a initié un travail en équipe. Dans son service, chaque demande fait l’objet, avec l’accord des patients, d’une discussion à laquelle participent médecins, biologistes, infirmières, psychologues, conseillers en planning familial et éthiciens. La question financière est aussi abordée : si l’« enfant à tout prix » est « un cliché de journaliste », la PMA a un coût. En Suisse, le traitement de la stérilité est pris en charge, mais pas la fécondation in vitro. « Aborder la question de ce coût fait partie de l’approche thérapeutique, précise Marc Germond, des gens ont pu s’endetter et se mettre dans des situations impossibles ».

Les refus sont rares. Le fait d’être à plusieurs évite que ces refus soient adossés, soit à une peur personnelle, soit à un idéal normatif. Le colloque ne vise pas tant l’obtention d’un consensus que l’ouverture d’un espace où les questions circulent et peuvent se déprendre d’une tentation morale pour statuer sur les situations les plus difficiles : Marc Germond évoque le cas d’une femme épileptique qui risquait de se trouver souvent isolée avec son enfant, son mari se déplaçant fréquemment pour son travail. Dans de tels cas, le « colloque » a recours à une seconde étape de réflexion et fait intervenir, si les patients en sont d’accord, leurs « réseaux » : le médecin traitant et parfois l’encadrement psycho-social dont ils bénéficient. La décision finale est alors prise dans un contexte plus large. Au terme de cette seconde étape, si le refus persiste, on l’annonce sous forme de moratoire : « on attend, on laisse couler un peu d’eau sous les ponts, on reporte la discussion à six mois, en restant ouvert à modifier la décision si des changements intervenaient ».

L’écheveau des demandes

Si les refus sont rares, les difficultés rencontrées au fil des PMA sont fréquentes. Pour Marc Germond, il serait erroné de supposer que ces difficultés sont spécifiques aux situations les plus extraordinaires, — « où l’on parle du sperme de je-ne-sais-qui récupéré sur internet ; des ovules de top-models ou de la grand-mère… ». Le débat semble en effet piégé, et pour une part empêché, par ces récits et l’effroi qu’ils procurent — récits largement propagés par les médias. Cette surenchère au cas le plus ahurissant dissimule « la spécificité des inquiétudes et des demandes des cas simples et ordinaires », alors que c’est justement là, dans cette banalité quotidienne, au cœur de la demande la plus simple, que les questions essentielles se posent. Envisager les points de butée au cœur de cette banalité, c’est aussi « décoller de cette fascination », comme le suggère François Ansermet : « on aborde le plus souvent la question de ces technologies à travers une fantasmatique qui touche le clone, l’élimination eugénique des embryons. J’ai récemment répondu aux questions d’une femme participant à une commission parlementaire sur ces questions. Elle ne voyait que des clones sélectionnés par eugénisme ; elle ne voyait pas un couple banal  ! »

Le choc de la stérilité, l’effet séparateur de la demande de PMA, le fait d’avoir à s’adresser à un tiers, d’ « isoler » l’acte de la procréation de la gestation, provoque une secousse chez chacun dans la façon dont il se situe dans sa propre histoire, ébranle les identifications, et fait surgir tout un cortège d’incertitudes et de fantasmes. Praticiens et patients de la PMA achoppent sur une absence de représentation disponible, absence qui se traduit dans une difficulté à dire.

C’est là qu’on saisit le mieux les enjeux du travail pluridisciplinaire. « Dans ma clinique, remarque Marc Germond, j’en viens par exemple à beaucoup plus utiliser l’absence de demande que la demande elle-même. La demande, si surprenante soit-elle, est l’objet d’une discussion, d’une explicitation. Mais quand il n’y a pas de demande, quand des gens veulent rester complètement dans la boîte noire, il faut toujours se demander ce que cela révèle. Il ne s’agit pas de psychiatriser, mais de voir comment chaque couple va « faire avec ». Aborder les gens d’une façon différente, mieux comprendre leur demande, mieux répondre à leurs inquiétudes, ne pas mettre les pieds dans le plat, ne pas les choquer, éviter de presser sur ce qui peut être douloureux, tout cela n’a priori rien à voir avec la médecine gynécologique, ajoute Marc Germond. Et c’est la recherche pluridisciplinaire que nous poursuivons qui nous en donne les outils. Je suis estomaqué qu’il y ait partout dans le monde des équipes qui puissent s’en passer ».

Deux plus un

L’intervention d’un tiers chargé de statuer et de répondre aux demandes de PMA peut rendre tentante l’analogie avec les demandes d’adoption. Pour Marc Germond, cette analogie est inadéquate à plus d’un titre. D’abord, parce que dans l’adoption « on va chercher un enfant, pas une maternité ». Surtout, la majorité des PMA est « homologue » : les parents sont aussi les géniteurs.

Dans le cas, toutefois, où il faut avoir recours à un donneur de sperme ou d’ovocyte, la question de l’analogie insiste. De fait, la loi suisse sur les PMA s’est calée sur celle de l’adoption. Quand il y a don de sperme [3], l’accès à l’identité du géniteur est maintenant un droit de l’enfant. « À partir du moment où un enfant adopté peut aller soulever un bout de papier dans un registre et savoir qui sont ses parents biologiques, le législateur a considéré que, pour le don de sperme, ce serait la même chose. Il a donc introduit dans la loi le fait que l’enfant, à partir de dix-huit ans — ou à partir de seize ans dans des cas particuliers —, puisse avoir accès, par l’intermédiaire d’une commission, à l’identité du donneur, et même qu’il puisse lui être physiquement confronté. » Que peut être cette rencontre ? Demande François Ansermet, quel est le rapport entre un donneur de sperme et un père ? Ce raisonnement analogique est très contestable : « par définition, un gamète n’a pas d’histoire ; alors qu’un enfant adopté, lui, est issu d’une histoire » (MG).

La modification de la loi quant à l’accès à cette identité pour l’enfant n’a rien changé du côté des parents, pour qui la question du donneur a toujours entraîné dans son sillage celle de l’identité qui échoit à l’enfant à venir. Pour les parents, la loi maintient l’anonymat du donneur. En pratique, c’est donc au tiers, c’est-à-dire à l’équipe médicale qui traite leur stérilité, qu’il revient de sélectionner le sperme. « Les critères sont très simples, explique Marc Germond, le groupe sanguin, le phénotype — la taille, le poids, la couleur des yeux, des cheveux, de la peau… Je n’ai jusqu’à présent rencontré que des demandes qui allaient dans le sens d’une ressemblance. De ce point de vue là aussi, il y a donc bien une différence avec l’adoption, où la question de la “semblance” ne se pose pas nécessairement dans les mêmes termes. » Dans ces demandes, c’est l’arrimage de la réalité à la fiction, où flotte le caractère plausible d’une filiation biologique, qui transparaît.

De la banalité au singulier

La clinique des nouvelles bio-technologies s’invente là, en se frottant aux questions qu’elle suscite sans les résoudre, et en conduisant, à travers elles, à des interrogations plus vastes, à la frange du banal et du singulier — interrogations prises dans le travail de recherche mené par François Ansermet, Marc Germond et Claudia Mejia auprès des patients.

Claudia Mejia conduit des entretiens auprès de couples qui ont eu des enfants avec une fécondation in vitro (FIV). Dans les discours qu’elle recueille, elle est attentive à la « mise à distance de l’événement douloureux de la découverte de la stérilité », aux incertitudes, à l’usage de certains mots comme « féconder » où toute une confusion s’engouffre, et aussi à la déformation « qui évoque la définition de l’étymologie populaire [4] — un mot estropié parce qu’on ne le comprend pas dans sa forme traditionnelle et qu’on essaye de lui donner un sens, ou plus ou moins un sens, au moyen de modifications de forme ». Ainsi, raconte-t-elle, « pour une mère de notre groupe FIV, l’injection intracytoplasmique de spermatozoïdes, dite “ICSI”, était devenue le merveilleux dixit.  »

La façon dont se fabrique pour chacun, dans la langue prise en défaut par ce vécu nouveau, une maîtrise subjective de son expérience, permet de forger, à partir de cette « fabrique », des outils pour répondre à des inquiétudes jusque-là ignorées par les praticiens. François Ansermet insiste sur le caractère heuristique de cette démarche : « Il suffit parfois d’un simple décalage pour que s’éclairent une série de questions qu’on n’avait pas comprises jusqu’alors. En ce sens, on peut parler des PMA comme de quelque chose de “fantastique”, au sens où le fantastique consiste en un décalage dans la réalité. Modifiez un terme de l’équation — congelez un zygote, par exemple — et ce sont des pans entiers du processus de parentalité et de filiation qui en sont, non pas bouleversés, mais révélés. »

L’origine et le commencement

« Il ne faut pas confondre l’origine et le commencement. L’origine est impensable comme telle » (FA). Pourtant, dans le cas des PMA l’origine peut être « réinvestie en commencement » et sembler devenir d’autant plus tangible qu’il y a des images pour cela. « On me demande souvent la photo de l’embryon à transférer. Elle est collée dans l’album avant celle de la première échographie », raconte Marc Germond.

Si la PMA par donneur pose la question du dévoilement de l’identité du donneur, la PMA homologue soulève celle du secret (de la stérilité, du traitement et de sa réussite). Y a-t-il des raisons de penser que l’information puisse avoir des incidences sur la façon dont les enfants se construisent et se représentent eux-mêmes ? Est-ce différent de penser sa conception biologique indépendamment de la sexualité de ses parents ? Difficile de répondre en l’absence de recul et d’enquêtes précises sur le sujet. Mais, pour François Ansermet, cette origine par PMA ne marque rien de particulier pour l’enfant : « tout enfant s’imagine fantasmatiquement né de PMA. Comment penser autrement son origine ? Ce sont les gens qui procréent de façon sexuelle qui sont bizarres pour l’enfant. »

Les mille et une fictions construites par l’enfant [5] autour de sa venue au monde répondent à la rencontre avec un réel, elles traitent à la façon des mythes l’inexplicable de l’existence, de la mort, et de la naissance ; en cela elles sont des tentatives d’élaboration autour du trou laissé dans la signification par l’impensable de l’origine. Est-ce à ce même impensable que les représentations des parents s’articulent ?

« L’étonnant avec les PMA, note François Ansermet, c’est que la conception, dont il est habituellement peu fait mention, devient un élément central de la façon de se représenter l’enfant, au risque parfois de l’y réduire. » Au risque, comme l’exemple de la congélation des embryons [6] le montre, de constituer « un piège de la causalité : une causalité bonne à tout faire qui vient sursignifier le sujet, le saturer de représentations. Le problème, pour le clinicien, peut alors se formuler ainsi : comment décoller le sujet de cette causalité — et dans le cas présent, comment le sortir du congélateur ? »

Claudia Mejia, après une étude auprès de huit couples sur l’imaginaire parental autour de la fécondation in vitro avec cryoconservation du zygote, raconte combien l’enfant est évoqué comme un vrai héros cellulaire, « celui qui a survécu à la congélation ». Cette représentation persistante donne lieu à des anecdotes dont l’humour est teinté d’une inquiétante étrangeté. « D’une petite fille colérique, sa mère a pu me dire qu’il n’y avait “que la douche froide pour la calmer” et que la congélation du zygote y était sûrement pour quelque chose. Telle autre voulait croire que les rhumes à répétition de son fils étaient un reste de la cryoconservation ».

Le vertige du temps et du nombre

La technique de la cryoconservation du zygote affecte aussi le rapport au temps et pose la question du nombre. « Cette question est particulièrement intéressante quand on envisage les fratries », note Claudia Mejia. Une seule récolte d’ovocytes (le traitement est contraignant) peut donner plusieurs embryons implantés successivement. Beaucoup de couples arrivent ainsi à constituer toute une famille avec une seule récolte. « Ces enfants, nés à plusieurs années d’intervalle, et issus d’embryons fécondés en même temps, touchent là aussi aux représentations. Perçus comme étant presque jumeaux, ils sont alors piégés dans un discours incessant sur leurs ressemblances, ou pris dans un effet de miroir ». Le décalage temporel des naissances est traité dans une sorte de court-circuit. Là gît l’un des multiples paradoxes de la PMA, mais, pour Marc Germond, il y a de fortes raisons de penser que ce court-circuit et l’inquiétude qui
l’accompagne s’estomperont avec l’âge des enfants et l’accentuation de leurs différences.

La question du destin des embryons surnuméraires est aussi un facteur de trouble. « Certains parents attribuent à ces embryons le pouvoir d’enfants à venir. Ils en conçoivent parfois une difficulté à arrêter », explique Marc Germond. Que se passe-t-il si toutefois ils décident de le faire ? « Nous avons mis ici en place une sorte de cérémonial au cours duquel on décongèle ces embryons. Parmi les gens présents, il y a un biologiste, un témoin pour le biologiste, un éthicien, et les parents s’ils le veulent. Cela se passe au laboratoire, dans une salle tranquille. C’est un rituel, une symbolisation : quelque chose comme un deuil — le deuil de cet enfant imaginaire, qu’ils n’auront pas, et que d’un commun accord ils sont arrivés à laisser “involuer”. Après les gens sont sereins. Ils nous disent qu’on les a aidés à faire ce pas-là, à tourner la page ». Et
qu’arrive-t-il en cas de dissolution du couple, ou si l’un des conjoints décède ? « La loi prévoit que le couple qui n’existe plus voit obligatoirement ses embryons ou ses gamètes décongelés. Là, le cadre normatif est évidemment très utile. »

Reste à savoir s’il existe des cas où ces embryons ne sont pas détruits, et utilisés à d’autres fins. « Il arrive, répond Marc Germond, que certains couples décident de donner leurs zygotes congelés à la recherche. Mais quelle recherche ? Sur ce point, il y a en Suisse un flou juridique bizarre. Une loi vient d’être votée pour régler la question des cellules souches conservées dans l’azote liquide avant l’interdiction légale de la cryoconservation au stade embryonnaire. Cela concerne moins d’un millier de cas. On pourra désormais utiliser ces embryons — ainsi que ceux, très rares, qui ont été congelés après l’entrée en vigueur de la loi, dans un contexte précis d’urgence — pour la recherche : principalement pour obtenir des cellules souches. Ce qui introduit les notions d’“enfant-organe”, d’“enfant-médicament”. En Suisse, le débat soulevé par ces questions a donc été pris par la tangente avec cette loi — même si elle est extrêmement contraignante au niveau de l’utilisation de ces embryons dans des centres agréés, dans des conditions agréées, avec l’accord des parents, etc. Tout cela sera très cadré. »

Demain

Quelles nouvelles questions vont se poser avec les avancées à venir des biotechnologies ? Ici Marc Germond distingue entre ce qui relève spécifiquement de la PMA et ce qui renvoie à ses à-côtés : l’accès à l’embryon, à l’ovocyte, aux gamètes.

Du côté de la PMA, l’urgence est à l’amélioration de l’efficience du traitement, pour faire en sorte qu’un couple stérile puisse avoir un enfant, mais un à la fois. Marc Germond est ici intraitable : s’il existe encore tant de cas de grossesses multiples — qui conduisent à de véritables catastrophes humaines — c’est dû à l’aberration du système en place : « les centres sont reconnus en fonction du taux de grossesses. »

En marge des PMA, deux champs d’investigation se sont ouverts récemment : le diagnostic préimplantatoire et la médecine prédictive. Le premier est pour le moment interdit en Suisse. « Aberration logique, commente Marc Germond. Cette interdiction est un garde-fou pour prévenir le fantasme de la modification ou de la sélection de l’embryon. Résultat : on donne plus d’importance à l’embryon qu’à la femme, qui pourra dans certains cas subir une interruption de grossesse à 12 semaines. Or, avec la technologie génétique et génomique, les progrès en matière de diagnostic préimplantatoire vont être énormes. »

Pour ce qui concerne la Médecine prédictive « ce qui est en jeu, c’est la sélection de l’embryon en fonction de tel ou tel critère. Là, on entre dans un champ de délire. Dès lors qu’on a accès à l’embryon et que le génome a été décrypté, tout devient possible. On peut imaginer, par exemple, que les embryons porteurs de tel ou tel gène,
susceptibles de déclencher tel ou tel cancer, soient bazardés. Étape suivante ; leur modification génétique. Tout cela est interdit dans la plupart des pays. Mais il faut avoir sur ces sujets une réflexion éthique proactive — ce qui est d’ailleurs déjà le cas. Le conseil de l’Europe limite déjà beaucoup le champ de la recherche : aucune subvention n’est allouée pour ce genre de pratiques. »

La table ronde se termine, les points de butée du quotidien, la clinique de la banalité se sont un peu éloignés, un autre vertige — ou est-ce le même qui fait signe depuis un futur proche ? — nous traverse. Quand on demande à Marc Germond si certaines des conséquences de ces avancées technologiques l’inquiètent, sa réponse est lapidaire : « non : les garde-fous existent. » Et la confiance qu’il exprime, à mille lieues de la stupeur d’usage, plaide une fois encore pour la clinique qu’ils défendent tous ici : un souci du particulier qui prémunit contre les bavardages réactionnaires ; une inquiétude du présent qui arme contre les prophètes de la catastrophe.

Post-scriptum

Lire aussi : le chas de l’aiguille.

Notes

[1Severino Antinori est un gynécologue romain qui a d’abord fait parler de lui en permettant aux femmes ménopausées d’avoir des enfants. Depuis quelques années, il multiplie les déclarations sur le clonage humain, annonçant des grossesses en cours avec des embryons créés par clonage. Ces déclarations ont contribué à focaliser le débat sur ses aspects les plus tape-à-l’œil et scandaleux.

[2Au moment où nous mettons sous presse, le Sénat italien vient d’adopter le 1er article de la loi qui limite la « fécondation assistée ». Cet article proscrit le diagnostic préimplantatoire ; ceux qui devraient être débattus prochainement visent à interdire la congélation des embryons ou des zygotes, le don d’ovocyte et de sperme. On passe ainsi d’une absence de loi au dogmatisme règlementaire le plus dur. Selon Marc Germond, si une telle loi était adoptée en Suisse, le nombre de naissance par PMA en serait diminué de moitié.

[3Le don d’ovocyte est interdit en Suisse, « ce qui donne des situations aberrantes », selon Marc Germond : « une femme ayant une ménopause précoce à vingt-huit ans doit aller à l’étranger pour se faire faire une FIV avec des œufs de donneuse, et rentrer en portant un enfant qui sera légalisé au passage de la frontière ». En France, le don d’ovocyte n’est pas proscrit, mais, depuis qu’il est anonyme et gratuit, il est devenu très rare. Une récolte d’ovocytes est un traitement lourd, auquel peu de femmes se soumettent. C’est pourquoi beaucoup partent en Belgique, par exemple, pour bénéficier d’un don d’ovocyte : là, le don n’est pas anonyme, une femme peut venir avec une proche qui se prête pour elle au traitement.

[4L’expression est de Saussure

[5Voir Philippe Lacadée, Le Malentendu de l’enfant, Payot, Lausanne, 2003.

[6Marc Germond rappelle qu’en Suisse et en Allemagne, à la différence des autres pays du monde, la congélation au stade embryonnaire est interdite par la loi.