Vacarme 44 / lignes

CRA de Vincennes (1)

l’encampement comme nouvel espace politique

par

Grâce aux événements dont le Centre de rétention administratif (cra) de Vincennes a été le théâtre depuis décembre 2007, une certaine publicité a été donnée en France au nom de retenus. Sans fondement juridique précis, la condition que désigne ce terme n’est pas exactement celle de la prison, bien que ce qui y est vécu ressemble souvent à une vie de détenus. La centaine de zones d’attente pour « maintenus » et la trentaine de centres administratifs pour « retenus » sont des variantes françaises d’un dispositif plus large d’encampement. La France — telle que la construisent l’élite de droite ultra-conservatrice, le président Sarkozy et son ministère fétiche de l’Identité — devient un des fleurons de cette forme européanisée et mondialisée de traitement des indésirables. Des situations équivalentes existent ailleurs en Europe. Et partout dans le monde se multiplient des lieux assimilables aux way stations du Haut-commissariat aux réfugiés : des « campements-étapes » sur le chemin des déplacés sous contrôle. Ces zones contrôlées, plus ou moins fermées, de transit, d’attente et/ou de rétention définissent des frontières a-topiques puisqu’elles délimitent elles-mêmes un dedans et un dehors de l’espace national des droits.

De cette forme limite de l’encampement dans la frontière, on peut énumérer quelques caractéristiques communes : l’immobilisation, l’attente et le resserrement de la vie quotidienne sur un espace restreint et sous des contraintes multiples ; le trou juridique qui en fait des espaces où l’exception est l’ordinaire ; l’enregistrement des personnes sur fiches, cartes, etc. ; l’accès difficile aux lieux, éloignés et isolés, contrôlés par des services publics ou privés de police ; les violences commises à l’intérieur et passées sous silence.

Qu’est-ce que la politique dans ce cadre ? Juste enrayer le fonctionnement silencieux de la machine identitaire qui met à l’écart et expulse. Face à la mise au ban, une politique de la vie résiste contre un traitement de police qui produit des parias. La protestation ne trouve en principe pas sa place ici et se présente elle-même sous des formes exceptionnelles. Des grèves de la faim, des émeutes et incendies volontaires ont lieu contre les conditions de rétention au Luxembourg en janvier 2006, au Royaume-Uni en novembre 2006, en France depuis décembre 2007…

Quel est le nous qui s’exprime ici ? Parfois les retenus. Parfois les personnes à l’autre bout du téléphone qui vont transmettre les informations via Internet. Une solidarité transverse relie des inconnus de proche en proche et forme une communauté de l’instant. Son action a la fluidité et la précarité de la situation des retenus qui change sans cesse (les uns sont expulsés, d’autres arrivent et prennent le relais). De part en part, c’est un nous flottant, voyageur, qu’on se passe, repasse et qui grandit en irradiant les réseaux sociaux, politiques et techniques qu’il parcourt.