Vacarme 17 / Chroniques

le paon du jour / qu’un baiser vous réveille

par

« Qu’est-ce... que c’est... que ça ? « demanda la licorne. « C’est une petite fille ! » répondit allégrement Haigha. « Nous avons trouvé ça aujourd’hui même. C’est grandeur nature et deux fois plus vrai que nature ! » « J’avais toujours cru que c’étaient des monstres fabuleux ! s’exclama la Licorne. Est-ce vivant ? » « Ça sait parler » répondit, d’un ton de voix solennel Haigha. La Licorne, d’un air rêveur, regarda Alice, et ordonna : « Parlez, mon enfant. » Alice ne put empêcher ses lèvres d’ébaucher un sourire tandis qu’elle disait : « Moi-même, voyez-vous bien, j’avais toujours cru que les licornes étaient des monstres fabuleux ! Je n’avais encore jamais vu aucune licorne vivante ! » « Eh bien, maintenant que nous nous sommes vues une bonne fois l’une l’autre, dit la Licorne, si vous croyez en mon existence, je croirai en la vôtre. marché conclu ? » « Eh bien oui, si vous le voulez » dit Alice.

Voulez-vous que je vous raconte ? à la croisée des ailes brunes, les ocelles bleues du paon du jour s’ouvrent. Clin des yeux, posé à plat dos. Il butine. Cousin de la petite tortue et de la grande, du vulcain et de la belle dame, il butine le chardon, l’ortie, les ronces sous son ombrelle japonaise. Pavane lente / Sur quoi as-tu fermé les yeux, défunte ? Le visage devient tout à fait invisible. Non, non pas le tien, mais dans tes yeux, le nôtre. Le visage des enfants qu’il nous fallut construire, un par un, chacun pour soi, avant la nuit : la mort va-t-elle surgir toute armée ? Nous n’étions plus sous tes yeux. Perdus, accrochés dans ta chrysalide par de minuscules crochets, enflant dans ton linceul, enfants devant le drap recousu par une langue étrangère / Pour la première de ses trois existences, le paon naît chenille. Chenille affamée dévorant à bras-le-corps. Et puis c’est fini. Le minuscule intestin s’enveloppe. Passe au futur. Ferme ses lèvres / Sur quoi as-tu fermé les tiennes ? Dans tes baisers se tenaient nos réveils, notre audace aussi. Sourire des paupières plissées sur ton regard filant : s’y baigner pour grandir. Avant que s’ouvre le tombeau du maléfice : la mort va-t-elle surgir toute armée ? Qu’un baiser vous réveille / Pour la seconde de ses trois existences, la chenille se suspend dans le cocon qu’elle crache. Dévide en un fuseau le lacis de sa housse, l’épouse et se nymphose. Parfois, la chrysalide reste longtemps murée, il arrive même qu’elle « passe son temps », qu’elle traverse un autre hiver. On dirait qu’elle meurt sans mourir tout à fait / Encore aujourd’hui, d’anciens passages sont difficiles à déchiffrer. Et le resteront. Les langues se sont gelées au début de la syntaxe dans une matière aveugle. L’image est maculée. Heureusement, pour contourner les obstacles, les fables nous prêtaient leurs échasses. Et l’on avançait, fiers d’être si grands, d’être si loin du sol, d’être plus près du ciel. Puisqu’enfanter avait été si âpre, il fallait s’enchanter. Les papillons fusaient des tiges, multicolores. On les capturait, cœur battant pour rendre vie aux défuntes par une acrobatie de l’esprit. Sous l’ombre rouge de leur cape, vite, leur baiser de petit éventail. On recommençait avec les cils contre la joue. En un clin d’œil. Qu’un baiser vous réveille / À l’aube de sa troisième existence, l’insecte termine sa métamorphose pli à pli : c’est l’imago. Elle est sexuée. Elle va chuter de son cocon. La couleur lui vient, la mollesse la quitte. Chatoiement lustré des écailles neuves, poudrées, miroitantes. Ailes déployées, elle s’élance comme un seul chant et fait le paon du jour, ses ocelles bleues ouvertes sur son dos. Immer / Himmel.