Vacarme 49 / Vacarme 49

À l’Université de Nottingham, un employé de la faculté voit sur l’écran d’ordinateur de son collègue Hicham Yezza un document relatif à al-Qaida et en informe la direction. Dans les jours qui suivent, la police antiterroriste intervient sur le campus et arrête Hicham Yezza et Rizwaan Sabir, étudiant en master au département de Politique et de relations internationales. Rizwaan Sabir explique alors aux policiers qu’il a téléchargé ce document, un manuel d’entraînement d’al-Qaida, pour son mémoire de fin d’année sur le terrorisme, puis a demandé à Hicham Yezza de lui imprimer. Le texte était à ce moment librement accessible sur les sites internet du département américain de la Justice et sur des sites académiques comme The Federation of American Scientists. Il a même été en vente sur Amazon. Dès l’arrestation, des étudiants et enseignants de l’Université se mobilisent : manifestations, création d’un site internet de soutien, lancement d’une pétition et diffusion à l’étranger. Les deux hommes finissent par être libérés, aucune charge n’ayant été retenue contre eux. Ils ont tout de même été détenus et interrogés durant six jours alors que tous les éléments d’accusation pouvaient être vérifiés simplement et rapidement.

Quelques jours plus tard, Hicham Yezza est de nouveau arrêté : son permis de travail n’aurait pas été renouvelé à temps, alors qu’il vit en Angleterre depuis treize ans. Il est placé en rétention et transféré de centre en centre pendant plusieurs mois. Finalement libéré, il a entre-temps perdu son emploi et n’est pas certain de pouvoir rester au Royaume-Uni. Quant à Rizwaan Sabir, il est interrogé à chacun de ses déplacements à l’étranger et la police lui a fait savoir qu’une enquête serait lancée s’il était retrouvé en possession de documents d’organisations terroristes. Cette menace entrave durablement la poursuite de ses recherches. Les attentats de Londres en 2005 ont créé un climat de suspicion à l’encontre de toute personne dont on veut s’imaginer qu’elles sont musulmanes. Le zèle des policiers s’est certainement nourri de l’origine des deux personnes mises en cause. Hicham Yezza est algérien et Rizwaan Sabir britannique d’origine pakistanaise. Dernier développement en date : au printemps dernier, la direction du Département de sciences politiques a imposé que tous les enseignants soumettent pour validation leur bibliographie et leur plan de cours. L’objectif annoncé est de protéger les enseignants contre d’éventuelles mises en cause des étudiants, de parents, voire de la presse.

Cette affaire est instructive à trois titres. Comme rappel tout d’abord : les lois sur l’immigration offrent aux autorités un répertoire toujours mobilisable pour arrêter et retenir un étranger sans avoir apporté la preuve qu’il a commis le moindre délit. Depuis le Terrorism Act de 2006, qui permet sans aucune charge de détenir une personne pendant quatre-vingt-dix jours, l’autre domaine privilégié des parlementaires britanniques dans l’élaboration d’un arsenal de lois liberticides est le contrôle des immigrés. C’est l’illustration d’un paradoxe ensuite : en Grande-Bretagne et partout en Europe, les programmes et les bourses de recherche sur le terrorisme et l’islam radical se multi­plient avec l’idée qu’une connaissance académique offrirait des meilleurs moyens de lutte contre ces mouvements. Mais les chercheurs parmi les plus susceptibles de produire une connaissance fine de ce phénomène, du fait notamment de leurs compétences linguistiques, sont empêchés par la multiplication des lois limitant les libertés publiques mises en place au nom de la lutte contre le terrorisme. Enfin, elle augure une vision inquiétante de l’université car il y a là une curieuse manière de réactualiser l’adage léniniste « la confiance n’exclut pas le contrôle ».