dénicher les oiseaux entretien avec Christian Carlier

Christian Carlier, ancien directeur de prison, enseignant-chercheur au sein de la direction de l’administration pénitentiaire, est spécialiste de l’histoire des prisons – il est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages consacrés notamment aux colonies pénitentiaires pour enfants au xixe siècle, au monde des surveillants de prison et à des monographies d’établissement. À la croisée de ce double parcours atypique, et à rebours d’une époque qui refuse de voir dans l’irrégularité une force de vie, une conviction intime toujours renouvelée : la place des enfants n’est pas en prison.

Quel regard portez-vous, à la fois en tant qu’historien des colonies d’enfants au XIXe siècle et ancien directeur de prison, sur les transformations contemporaines du traitement de la délinquance juvénile ?

Pardonnez-moi de faire un peu d’ego-histoire, mais il faut que vous sachiez en préalable que mon intérêt pour l’enfance irrégulière est vraiment l’effet du hasard. J’étais parti pour faire une thèse sur le traitement des mendiants et des vagabonds dans les dépôts de mendicité du XVIIIe siècle – au départ, je suis plutôt ce qu’on appelle un historien moderniste. Jacques-Guy Petit, mon directeur de thèse, voulait qu’une thèse soit rapidement soutenue à l’Université d’Angers sur ces questions. Il se trouve que je venais de diriger un mémoire sur les colonies pénitentiaires dans le nord de la France, et il y avait là une source compacte et riche de données qui méritaient approfondissement. À Loos, il y avait deux colonies : la colonie publique de Saint-Bernard et la colonie privée de Guermanez, dans la commune d’Emmerin. D’un côté, une colonie publique qui présentait l’inconvénient d’être proche géographiquement et administrativement de la maison centrale de Loos et qui en conservait certaines mœurs – la rudesse des gardiens par exemple – et certains stigmates, puisqu’à leur libération les enfants de Saint-Bernard n’étaient pas distingués des sortants de Loos. De l’autre, une colonie privée, dirigée par un homme, le docteur Faucher, qui avait été médecin de la maison centrale, mais qui surtout ne disposait pas de moyens financiers, de capital de départ, si bien qu’il s’est servi des prix de journée versés par l’État pour l’entretien des enfants afin de « mettre aux normes » (en matière d’hygiène surtout) le vieux château de Guermanez. Et les enfants en ont pâti : mauvaises conditions de vie matérielle, recrutement d’un personnel insuffisant en quantité et en qualité, etc. Faucher n’était pas un barbare, mais il a tenté une aventure d’enrichissement personnel sur le dos de l’État et surtout des enfants [1].

C’est un champ qui a fini par me passionner aussi du fait de l’exercice de mes fonctions. J’ai eu à gérer, en tant que sous-directeur, un grand établissement : les prisons de Lyon. Il y avait un quartier des mineurs, et évidemment, je me suis intéressé aux jeunes qui s’y trouvaient pour faire en sorte qu’ils n’y soient pas trop mal traités. Je ne serais pas devant vous aujourd’hui si je ne pensais pas que le terme d’« enfance irrégulière » me paraît discutable et contestable. Je ne dirais pas que j’ai une fascination et une admiration pour ces gamins qui sont étiquetés comme délinquants, mais c’est vrai que ceux que j’ai pu rencontrer, dans mes recherches ou dans mon métier de directeur de prison, étaient pleins de vie, pleins de ressources, pleins de ruse. Pour moi, l’irrégularité est dans l’enfance petite-bourgeoise que j’ai eu à subir moi-même, et que je trouve lamentable : je hais les honnêtes gens (rires). Qualifier ces gamins d’« irréguliers », je ne sais pas trop ce que ça veut dire. On pourrait rentrer par exemple dans le détail de leurs relations avec leurs parents. Dès lors qu’ils s’évadaient des colonies pénitentiaires agricoles, ce qui heureusement arrivait assez souvent – mais pour se faire reprendre dans les jours suivants – c’était quasiment toujours pour revenir dans leur milieu d’origine. Ils avaient un attachement très fort à leur milieu, à leurs parents ; et la réciproque était tout aussi vraie, contrairement à des thèses défendues par exemple par Élisabeth Badinter sur le sentiment maternel qui ne serait qu’une invention moderne. C’est vrai que j’ai rencontré, au cours de mes recherches, des enfants dont les parents demandaient l’enfermement pour s’en débarrasser, mais cela arrivait aussi dans les classes bourgeoises.

Je suis de la vieille école d’historiens, à la Fustel de Coulanges, qui attendent d’accumuler du matériau avant d’y voir plus clair. Quand je me suis lancé dans cette thèse, j’avais l’avantage – suivant les préconisations de Louis-Sébastien Mercier, cet immense enquêteur du XVIIIe siècle – d’être allé « voir derrière la tapisserie ». Ce qui m’intéressait, c’était d’entendre les gamins parler. Or les archives pénitentiaires laissent rarement entendre la parole des enfants. Il faut faire vingt ans de recherche pour découvrir enfin des paroles de prisonniers qui ne soient pas travesties par les autorités. Il faut bien sûr nuancer selon les époques. La parole des prisonniers est abondante jusqu’à la monarchie de Juillet, parole souvent collective : ils pétitionnent beaucoup, se plaignant en particulier de la mauvaise qualité du pain. Parole luxuriante aussi pendant la Révolution, mais ce sont des éléments des classes supérieures qui sont en prison. Puis la censure s’installe, massivement, à partir des années 1840, le temps des doctrinaires, et de la prison cellulaire, qui ajoute de la souffrance, des tortures, à l’absence de liberté. La pire des périodes pour les détenus est celle de Vichy. Mais il arrive à la parole des prisonniers de s’évader ; j’ai ainsi pu acheter tout un carton de lettres de détenus adressées à un directeur de Fresnes du début du xxe siècle [2].

De quelle vie sociale au sein des colonies témoignent ces paroles retrouvées ?

Dans ces colonies pénitentiaires, les enfants n’étaient pas forcément malmenés. Je ne dis pas qu’il n’y avait pas des coups de pieds au cul éducatifs, mais il faut mettre ça en perspective avec les modes d’éducation dans les classes populaires à la même époque. Je n’ai pas trouvé de torture. J’ai trouvé le plus souvent des gardiens alcoolisés que les gamins allaient réveiller quand ils avaient faim. Et pendant que ces gardiens alcoolisés dormaient dans les fossés – car Loos était une sorte de petite Venise pénitentiaire – ils allaient, comme j’ai fait moi-même dans ma jeunesse, dénicher des oiseaux, faire du parachute dans les branches, nager, faire toutes les conneries possibles et imaginables qu’on fait à cet âge. Je m’écarte un peu du sujet, mais quand même : si je n’avais pas été protégé par ma grand-mère et plus généralement par ma famille, si j’avais été issu d’un milieu populaire et défavorisé, je serais certainement moi aussi devenu un criminel. Alors : par rapport à quoi ces gamins étaient-ils irréguliers ? À la société des honnêtes gens ? Oui, et tant mieux pour eux d’une certaine manière !

Malgré ses amphigouris, malgré son narcissisme, Victor Hugo est l’un des meilleurs auteurs qui aient jamais écrit sur la prison. Claude Gueux est évidemment plein d’erreurs de détails – et les cuistres, dans mon milieu, se sont emparés de ses erreurs – mais sur le fond, c’est un des rares types à avoir compris le fonctionnement d’une prison. Plus encore, il avait saisi que, dans tout enfant délinquant, il y a toujours d’abord un enfant et non un délinquant. C’est une banalité de le dire, mais politiquement il n’est pas inutile de le rappeler aujourd’hui. C’est cette irrégularité, comme caractéristique banale de l’enfance, que l’on retrouve dans le personnage de Gavroche.

Ensuite, pour être tout à fait honnête, il y a aussi des cas limites vis-à-vis desquels on se pose des questions. Il se trouve qu’à un certain moment de ma vie, j’étais grand copain avec un juge devenu ensuite très médiatique – trop peut-être –, Serge Portelli. Il était à l’époque doyen des juges d’instruction à Créteil, et par le plus grand des hasards, je me trouvais dans son cabinet lorsqu’il avait eu à traiter le cas d’un gamin d’une dizaine d’années qui avait tué un clochard – deux autres enfants étaient impliqués. De fait, c’était une histoire assez dégueulasse, et confronté à la réalité de ce gamin-là, j’étais troublé. La relation fusionnelle, vraisemblablement incestueuse, qu’il avait avec sa mère avait produit des dérangements graves dans sa tête. Je ne suis certainement pas en train de dire qu’il y a des gamins monstrueux, je n’ai jamais rencontré de monstre – des adultes monstres de pouvoir si, mais pas des gamins. Mais il faut reconnaître que certains enfants posent des difficultés d’approche même pour un type qui essaie d’avoir pour eux de la sympathie. Reste qu’ils représentent une ultraminorité, et leur situation n’est pas le produit d’une quelconque disposition génétique, comme on peut l’entendre ici ou là. Par ailleurs, prendre acte de ces situations-limite n’a pas nécessairement pour corollaire de défendre le principe de l’enfermement. Portelli avait laissé ce gamin en liberté, il ne l’a pas mis en prison ; pour un juge d’instruction à l’époque, c’était courageux.

En tant que directeur de prison, je me suis moi aussi trouvé en face de gamins dont la première approche m’interrogeait. Laissez-moi vous racontez une petite anecdote, qui me tient à cœur. Lorsque j’étais sous-directeur de prison à Lyon, il y avait au quartier des mineurs un petit black de quatorze ans, costaud, boxeur, quasi analphabète, en révolte totale contre l’institution, insoumis parce que victime de tous les stigmates et de tous les rejets, et qui n’avait que son corps, sa force physique pour s’exprimer. Du moins le croyait-on, engoncés que nous sommes, nous autres pénitentiaires, dans nos pauvres certitudes. Bon, c’était vraiment un emmerdeur, avec qui les surveillants, tout comme moi, avaient vraiment du mal. L’erreur fondamentale avec ce petit bonhomme avait consisté à répondre à la force par la force. Et puis un beau jour, effondrement total : il tente de se suicider. Je vous en parle encore aujourd’hui avec émotion, d’autant plus que mon combat, fou et mégalomaniaque, à l’époque, était d’empêcher tout suicide en détention. J’avais en effet vécu, juste après mon arrivée, un suicide dont l’administration était complètement responsable. Depuis, j’avais ce fantasme d’éviter tout suicide. Or ce gamin avait failli perdre la vie, et moi mon pari : le jeune interne présent sur les lieux n’avait pas été fichu de lui faire un bouche-à-bouche – on jette toujours l’opprobre sur la pénitentiaire, mais il y aurait aussi des choses à dire sur les services médicaux – et c’est finalement un médecin psychiatre qui lui a sauvé la vie. Je vous raconte ça car, là encore, même avec les plus durs, ce genre d’expérience vous fait découvrir la charge d’humanité dont tous sont porteurs. On peut encore parler comme ça aujourd’hui ? Et cette tentative de suicide l’a apaisé d’une certaine manière ; je crois qu’il a compris que nous étions attachés à sa vie, et d’une certaine manière il nous en était reconnaissant ; ça s’est mieux passé ensuite.

Si l’irrégularité est une force de vie intrinsèque à l’enfance, son traitement social et pénal contemporain semble témoigner d’une appréhension stigmatisante de l’irrégularité, saisie d’abord comme une déviance, un risque ou un danger dont il faut se protéger. Faut-il voir dans l’époque actuelle une situation inédite ?

Vous le savez aussi bien que moi, le fait qu’on fasse des enfants des boucs émissaires n’est pas un phénomène récent. Dans des périodes de crise du capitalisme, on s’est régulièrement servi des jeunes comme repoussoir, et comme dérivatif. Lorsque vous étudiez la période des Apaches, à l’orée du xxe siècle, vous ne pouvez qu’être frappé par les similitudes avec les discours qui sont tenus aujourd’hui sur la délinquance juvénile. Par ailleurs, les Apaches sont une invention : c’est un phénomène qui n’existe pas en tant que tel, pas plus qu’aujourd’hui il n’y a d’envolée de la récidive. C’était quoi les Apaches ? Des petits délinquants de proximité, comme on dirait aujourd’hui des zozos des banlieues sensibles. Ce qui est essentiel est cette assimilation aux « sauvages » amérindiens, d’une part, que les envahisseurs occidentaux avaient fini d’exterminer et d’autre part, l’incroyable campagne médiatique qui s’est développée dans la presse populaire alors que leur menace était absolument nulle. Les Apaches étaient un phénomène à double détente : à la fois un dérivatif par rapport aux incertitudes économiques de l’époque, jalonnées de premiers mai qui faisaient peur aux bourgeoisies, grandes et petites, et un dérivatif par rapport à un débat sur l’abolition de la peine de mort. Dans ce type de contexte, les enfants sont toujours la nourriture de ces discours sécuritaires, de même que les assassins d’enfants. C’est le cas notamment de l’affaire Soleilland, meurtrier d’une petite fille, dont la grâce par le président de la République Armand Fallières – fervent partisan de l’abolition de la peine de mort, il gracie systématiquement tous les condamnés à mort –, est dénoncée par une forte campagne de presse qui a pour résultat de renforcer le camp opposé à l’abolition. Il y a une curieuse complémentarité entre les enfants boucs émissaires et les enfants victimes.

L’enfance en danger et l’enfance dangereuse comme couple idéologique ?

Oui, exactement ; historiquement, c’est toujours cette chanson-là. En même temps, c’est vrai que nous sommes rarement allés aussi loin qu’aujourd’hui dans ce phénomène de « bouc émissariat ». Sans idolâtrer aucunement l’action des socialistes, j’espère que plus tard les historiens pointeront du doigt une situation qui s’est profondément dégradée depuis 2002, avec le retour de la droite au pouvoir et l’arrivée de Perben au ministère de la Justice. À partir de cette période, il se produit quelque chose comme un retour à un système qui me fait songer aux pires périodes répressives, la monarchie de Juillet en particulier. Une phase de régression comme on n’en avait pas connu depuis très longtemps. Mais nous sommes peut-être entrés depuis très récemment dans une nouvelle période. Les débats parlementaires sur la Loi pénitentiaire restent d’une indigence ahurissante, mais nous ne sommes plus à l’époque de Perben, ni à celle de Dati. Je remarque qu’il y a, y compris au niveau des dirigeants pénitentiaires, certaines hésitations au niveau de la pensée et de la réflexion. On est peut-être arrivé au bout d’une course répressive – mais ne demandez pas à un historien de faire des prospectives. Enfin, avec l’arrivée de Delarue, le contrôleur général des prisons, il y a quand même un début d’élévation de la pensée, on change de monde. Je soupçonne Delarue d’être un type honnête. Pour ma part, je reste campé sur des positions qui, avant 2002, étaient partagées par beaucoup de gens. La gauche agitait en permanence le sens de la peine. On sait bien que ça ne mange pas de pain et que ça évite de réformer la prison, mais ça restait quand même intéressant.

À sa manière, la création des établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) n’est-elle pas symptomatique d’un renouveau des réflexions sur ce fameux sens de la peine ? Peut-on dresser une généalogie des EPM ?

Celui qui est à mes yeux l’inventeur de la prison moderne, dont les EPM sont une réinvention, ce n’est pas du tout Mabillon ; ça, c’est un fantasme de pseudo-historien. Mabillon est un bénédictin de Saint-Maur important surtout pour des raisons historiographiques : c’est l’un des pères de la diplomatique, l’un de ceux ayant établi les premiers grands principes de la critique des documents. Il a aussi écrit sur les prisons ecclésiastiques, prisons cellulaires, pennsylvaniennes même ; mais tout cela tient en quelques pages. Non, l’inventeur de la prison moderne, c’est Vincent de Paul, avec la prison de Saint-Lazare au xviie siècle – sur Saint-Lazare, il faut se reporter aux remarquables travaux de Maurice Capul [3]. Bien entendu, historiquement, il y a un héritage conventuel, monastique, mais quand même, il a tout inventé. La prison moderne, c’est d’abord le refus d’une prison brutale, puis quelques principes : la séparation individuelle, soit l’encellulement : une chambre par gamin. Ensuite l’observation. Il n’y avait pas d’œilleton, qui est une invention récente, mais une espèce de guichet sur la porte de la cellule, fermé par une feuille de bois coulissant sur des rainures. Le guichet pouvait être ouvert toute la journée si on voulait que le gamin soit en observation permanente. Il pouvait également être ouvert subrepticement. Enfin, et là on retrouve très directement les EPM, l’emploi du temps était gavé – à l’inverse de ce qui se passe aujourd’hui dans la plupart des quartiers mineurs des maisons d’arrêt, où les jeunes s’emmerdent 23 heures sur 24, quand ce n’est pas 24 heures sur 24 pour ceux qui ne sortent pas des cellules. À Saint-Lazare, quart d’heure par quart d’heure, l’emploi du temps des gamins était plein comme un œuf. Bien sûr, tout ceci s’inscrit dans le contexte de la Contre-Réforme, et l’expérience ne fut appliquée qu’à une jeunesse très dorée. Il n’en demeure pas moins que la séparation, l’observation, l’occupation permanente constituaient à Saint-Lazare trois éléments d’un véritable « traitement pénitentiaire » visant à « l’amendement » et qui venait se substituer à la prison traditionnelle, punitive, violente, plus corporelle que morale. Sans le savoir – car ils n’ont pas de culture historique – les concepteurs des EPM ont réinventé Saint-Lazare. Les EPM, c’est la resucée d’une prison inventée au xviie siècle. Évidemment, il y a d’autres choses : les querelles de pouvoir entre la Protection judiciaire de la jeunesse et l’Administration pénitentiaire, la cohabitation entre surveillants et éducateurs, mais ces différences sont dérisoires. La vraie question, c’est : est-ce que la redécouverte de la prison moderne, à l’occasion de l’ouverture des EPM, va produire quelques fruits, et lesquels ? Je pense que non. Par ailleurs, il s’y produit un nombre très important d’incidents.

En comparaison de l’oisiveté qui caractérise les quartiers mineurs des maisons d’arrêt et des centres pénitentiaires, cet emploi du temps (sur le papier : 20 heures d’école, 20 heures d’activités socioculturelles, 20 heures de sport) est effectivement impressionnant. Parallèlement, les pratiques d’observation auxquelles vous faites allusion participent, dans les EPM, d’une volonté d’éradiquer les secrets : savoir au quotidien tout se qui se passe pour produire l’ordre en détention, et, parallèlement, percer les secrets biographiques via une psychologisation du travail éducatif et sa focalisation sur le « passage à l’acte ». Dans cette traque au secret, peut-on considérer que des éléments cruciaux pour la construction de soi, lorsque l’on est un adolescent, sont niés ?

Là vous faites les questions et les réponses. Je suis tout à fait d’accord avec ce point de vue, vous direz que c’est moi qui l’ai dit (rires). Ce que vous décrivez résonne en moi historiquement, et renforce la comparaison que je viens de faire. Cette prison « moderne » – c’est évidemment moi qui l’appelle ainsi – rompait certes avec la brutalité de l’époque, mais ce système me répugne néanmoins ; peut-être plus que la prison brutale par certains aspects, dans le sens où elle cherche à briser ce qui constitue le plus important d’une vie humaine. Il faut en revenir aux fondamentaux. « Une prison ne sera jamais une maison d’éducation », avait proféré le comte d’Argout, alors en charge des prisons au début de la monarchie parlementaire en 1832. La conséquence qu’il en tirait était que la place des mineurs n’était pas en prison. L’idée d’Argout, c’était de les traiter comme les enfants de l’Assistance publique, et de les éparpiller dans les familles d’accueil. Pour ma part, je reste campé sur l’idée que la place des mineurs n’est pas en prison, et qu’ils n’ont pas leur place non plus dans des centres fermés de la PJJ qui peuvent être tout aussi désastreux ; au moins, les pénitentiaires ont l’avantage, le plus souvent, d’avoir très mauvaise conscience.■

Notes

[1Christian Carlier, La Prison aux champs. Les colonies d’enfants délinquants du Nord de la France au XIXe siècle, Paris, Éditions de l’Atelier, 1994.

[2Christian Carlier, François Wasserman, « Comme dans un tombeau ». Lettres et journaux de prisonniers : la Belle Époque, Fresnes, Écomusée, 1992.

[3Maurice Capul, Les Enfants placés sous l’Ancien Régime. Vol. 1, Abandon et marginalité ; Vol. 2, Infirmité et hérésie, Privat, Toulouse, 1989-1990.