Vacarme 51 / cahier

Comment s’écrit une série entretien avec Sarah Treem

Si les séries américaines ont gagné, au cours des quinze dernières années, leurs lettres de noblesse, la chaîne HBO n’y est pas pour rien : avec Les Soprano, Six Feet under ou The Wire, de nouvelles manières d’être spectateur se sont expérimentées. Parmi les dernières en date, In Treatment : série marelle, on peut en suivre la narration au quotidien ou de manière hebdomadaire. Sarah Treem est la seule scénariste à avoir travaillé sur toutes les saisons. Sous contrat à HBO, elle a aussi co-écrit une nouvelle série. Elle raconte, de l’intérieur, comment se fabrique une œuvre collective au long cours.

Comment devient-on, à 25 ans, scénariste pour la chaîne américaine HBO ?

Je n’ai jamais eu l’intention de devenir scénariste. J’ai fait des études d’écriture théâtrale à la Yale School of Drama où j’ai obtenu mon diplôme avec une pièce intitulée Mirror Mirror, une histoire de lycéens dans le Sud américain. J’ai fait lire ma pièce à un ami auteur, qui l’a fait passer à son agent, qui l’a à son tour envoyée à Endeavor, une importante agence de Los Angeles, qui l’a fait elle-même circuler. HBO a alors demandé à me rencontrer car ils travaillaient sur cette nouvelle série, In Treatment, et cherchaient quelqu’un pour écrire un personnage d’adolescente en crise. Ils ont donc communiqué ma pièce au showrunner de la série, Rodrigo Garcia, qui l’a lue (ce qui est assez rare à Los Angeles, où l’on cherche des scénaristes et non des auteurs dramatiques) et qui a voulu m’engager. Je ne savais même pas à quoi ressemblait un scénario de télévision ! Il y a cependant quelque chose de très théâtral dans In Treatment : dans chaque épisode, deux personnages dialoguent. Mais j’ai donc dû apprendre sur le tas.

Quel aurait été le parcours « normal » d’un jeune scénariste ?

La plupart ont grandi à Hollywood dans le milieu de l’écriture de cinéma. On commence en général par être assistant d’un scénariste confirmé pendant quelques années. Puis on se voit confier l’écriture d’un script qui, dans la majorité des cas, ne sera pas tourné. Il faut par ailleurs trouver un agent… Il est très rare finalement de se retrouver si vite à l’écriture d’une série télévisée, qui rencontre assez de succès pour se poursuivre sur plusieurs saisons. Comme je suis la seule de l’équipe de la première saison d’In Treatment à avoir participé à l’écriture de la deuxième, puis maintenant de la troisième, je suis désormais supervising producer, ce qui est un poste élevé dans la hiérarchie du scénario.

Vous avez été recrutée parce que vous saviez faire parler des adolescents. Ce genre de spécialisations est-il courant ?

Il y a en effet des scénaristes qui écrivent spécialement des personnages de femme, ou des voix de très jeunes gens. Mais le plus souvent, ces catégories correspondent à un genre de film : on écrit des comédies ou des drames. Là encore, j’ai eu de la chance : après In Treatment, qui relève plutôt du drame, on m’a proposé d’écrire pour une comédie, How to make it in America. Dès lors, je n’ai pas été associée à un genre particulier.

In Treatment est l’adaptation d’une série israélienne, Betipul. Avez-vous travaillé avec son créateur, Hagai Levi ?

Il est l’un des trois producteurs exécutifs de la série américaine, et a même réalisé un épisode de la deuxième saison. Il a donc eu pleinement voix au chapitre. Aujourd’hui, sa série est achetée pour des remakes un peu partout dans le monde. Dans la plupart des cas, il a vendu le concept : une série sur la psychothérapie, avec cinq épisodes par semaine, un patient différent par épisode qu’on retrouve le même jour semaine après semaine — le dernier épisode hebdomadaire étant consacré à la visite du psy chez son superviseur. Une fois le concept acheté, chacun est plus ou moins libre d’en faire ce qu’il veut.

Dans quelle mesure l’équipe américaine a-t-elle usé de cette liberté ?

Pour la première saison, nous sommes restés très proches des personnages et des situations israéliennes. À partir de la deuxième, nous nous en sommes éloignés : le personnage de départ était une base, dont le personnage américain s’est progressivement émancipé. Quant à la saison 3, que nous écrivons actuellement, elle est complètement originale, puisque la série israélienne ne comporte que deux saisons.

Pourquoi cette émancipation dès la deuxième saison ?

Dans la première saison, l’adaptation littérale n’a pas toujours très bien fonctionné. Je pense au personnage d’Alex, le soldat d’élite de retour d’Irak. Être un héros militaire en Israël ou aux États-Unis, c’est très différent. En Israël, tout le monde fait l’armée : le personnage israélien est donc un type que tout le monde connaît ; et sa honte d’avoir bombardé un bâtiment civil prend dans ces conditions un sens très particulier. Aux États-Unis, quand quelque chose de ce genre arrive, on ne connaît pas l’identité du soldat, et l’on ignore même qu’il y a eu un bombardement : c’est la loi du silence. Autrement dit, les équivalents que l’on avait construits ne marchaient pas toujours.

Avez-vous rencontré ce type de difficultés pour Sophie, le personnage d’adolescente dont vous avez écrit les épisodes dans la première saison ?

Au début, je ne savais pas exactement quelle était ma marge de manœuvre. Pour les premiers épisodes, je suis donc restée très proche du scénario israélien. Rodrigo Garcia m’a dit : « Mais on t’a engagée parce que tu savais faire parler des ados américains ! » J’étais ravie. Et j’ai fait de Sophie une brat (une sale gosse). Vous vous rappelez le Brat pack, dans les années 1980, cette bande de jeunes acteurs, comme Demi Moore, Rob Lowe, qui ont joué dans des films de teenagers ? Brat, c’est une façon désigner ces ados qui cultivent une pose. Je crois que Sophie est ce qu’on peut faire de mieux dans le brat !

La thérapie de chaque personnage est écrite par un scénariste différent. Vous êtes-vous rencontrés ?

Pas pour la première saison : chacun écrivait chez lui — j’étais pour ma part à New York — et n’avait affaire qu’au showrunner, qui est par définition en charge de l’intégralité de la saison. Rodrigo Garcia recevait nos scripts, les contrôlait et parfois les retouchait.

Comment, dans ces conditions, êtes-vous parvenus à faire de Paul, le psychothérapeute, qui est présent dans tous les épisodes, un personnage cohérent ?

Nous avions une base : le Paul israélien. Et puis, c’était au showrunner et à l’interprète, Gabriel Byrne, de lui donner une unité. Pour écrire ses répliques, je me suis progressivement adaptée à la façon dont Rodrigo Garcia réagissait à mes propositions ou les corrigeait.

 How to make it in America, la nouvelle série HBO, à l’écriture de laquelle vous avez participé, est à la fois plus chorale et plus feuilletonesque. Comment, dans ce cas, s’organise l’écriture collective ?

Dans ce cas, les scénaristes commencent par travailler ensemble. Nous nous sommes rassemblés pendant plusieurs semaines, à six ou sept, dans une salle dévolue à l’écriture, la Writers’room. Et nous avons construit collectivement l’histoire pour la saison tout entière, à partir d’un grand tableau, avec une colonne par épisode. Pour How to make it in America, dont l’univers est celui de la débrouille à New York, nous avions à gérer plusieurs histoires parallèles, et six personnages principaux. On commençait par une histoire A avec deux personnages ; puis on passait à l’histoire B d’un autre personnage : il fallait faire en sorte qu’à un moment du premier épisode, les deux histoires se croisent. Pareil pour l’histoire C, etc. Nous avons avancé comme cela au fil de la saison, parfois au prix de violentes disputes, en faisant progresser en même temps toutes les histoires. Quand ce travail a été fini, chacun d’entre nous s’est chargé de l’écriture d’un épisode.

Quel est, dans ce type de dispositif, le rôle du showrunner ?

C’est le chef d’orchestre de la série. Il y a parfois, dans ce type de série, un showrunner brillant. C’est le cas par exemple de Matthew Weiner pour Mad Men — qui est selon moi l’une des meilleures séries actuelles —, ou de David Chase pour Les Soprano. Ceux-là peuvent avoir une idée très claire de la saison tout entière, avant même que le travail collectif commence. Le cas échéant, les scénaristes de la Writers’room se contentent de développer ses histoires. J’ai tendance à penser que les séries les plus fortes sont celles qui sont prises en charge par ce genre de créateur. Être scénariste pour ce type de séries est sans doute moins amusant : parce qu’alors, on écrit sous l’autorité d’une voix qui n’est pas la sienne. In Treatment est un peu différent : il faut au contraire trouver des voix distinctes pour chaque personnage ; l’intérêt de la série réside justement dans cette diversité.

La troisième saison d’In Treatment n’ayant plus le point d’appui de la série israélienne, comment s’organise le travail d’invention ?

Cette troisième saison a deux nouveaux showrunners qui sont arrivés avec des idées de personnages ; mais j’ai pu choisir le mien : encore un adolescent ! Ils ont mis successivement en chantier chacun des personnages, avec leurs scénaristes respectifs. J’ai donc passé trois semaines à Los Angeles avec eux pour fabriquer une histoire. Là aussi, on part d’un tableau à sept colonnes, pour les sept semaines de la saison. On commence par étoffer le personnage : qui sont ses parents ? quels sont ses problèmes ? qu’est-ce qu’il aime ? Et là, on passe au premier épisode, puis au second. Au fil du travail, on se met à réserver des éléments pour des épisodes ultérieurs. Il faut essayer de constituer un arc : deux ou trois épisodes pour la construction du personnage ; une catastrophe à l’épisode 4 ; le climax à l’épisode 5 ; puis le début du dénouement à partir de l’épisode 6.

Tous les personnages évoluent donc selon un arc similaire : cette normativité ne comporte-t-elle pas le risque de la monotonie ?

Dans la deuxième saison, tous les personnages s’effondrent à la semaine 5. Paul aussi, bien sûr, puisque le principe de la série est que ses patients soient pour lui comme des miroirs. Et donc à la semaine 6, tout le monde se retourne contre lui. Il y a bien un mouvement commun. Mais je ne crois pas que ce soit un problème. Parce que leurs histoires et leur personnalité sont tout de même très différentes : chacun tend vers quelque chose de distinct.

En trois saisons, le personnage central — celui du thérapeute — a-t-il évolué ?

Il parle de plus en plus. Nous nous sommes rendus compte que le public l’aimait bien et qu’il regardait la série pour lui. Nous l’avons donc fait intervenir davantage au cours de chaque épisode. Ce qui est compliqué, c’est d’éviter que le spectateur ait de l’avance sur l’histoire et sur le patient. Or, comme il voit le patient à travers les yeux de Paul, il faut que Paul n’ait pas non plus beaucoup d’avance. Il y a là un équilibre difficile à trouver : Paul doit être perspicace, mais en même temps, il ne faut pas qu’il comprenne la clé du problème avant le personnage, parce qu’alors, le reste de l’épisode est privé de tension.

J’ai tendance à penser que je ne suis jamais meilleure scénariste que quand je ne sais pas vraiment ce qui va arriver. Si je parviens à me surprendre moi-même, alors je me dis que Paul sera surpris, ainsi que le public. Si tout est concerté avant le début de l’écriture des dialogues, cela peut devenir un peu plat.

Avez-vous travaillé avec un consultant psychothérapeute ?

Oui, Justin Richardson, qui est arrivé pour la deuxième saison. Nous sommes devenus des amis, mais au début, c’était un peu difficile. Il donnait à Paul de très bons conseils de psy. Et nous, nous répondions : « non, on ne peut pas faire ça, parce qu’alors on n’a plus d’histoire ! » Il a fini par comprendre qu’il fallait que Paul fasse des erreurs : « si vous voulez que Paul fasse ce qu’il faut faire, voilà ce qu’il devrait dire ; maintenant, si vous voulez lui faire faire des erreurs, on peut aller dans telle ou telle direction. » Et évidemment, dans la majorité des cas, nous choisissons les erreurs…

Pensez-vous que ce soit la loi du genre ? Quand une profession est représentée à l’écran, y a-t-il toujours un conflit entre les exigences narratives et les exigences réalistes ?

Je crois. Et pourtant, l’une des forces d’In Treatment est que cette série offre malgré tout une représentation de la psychothérapie plus proche de la réalité que la majorité des films. Elle est aussi plus « réaliste » que ne le sont les séries traitant de chirurgie ou de médecine. Mais cela reste une convention : nous cherchons par exemple à donner l’impression du temps réel, alors que chaque épisode dure une demi-heure pour des séances de 50 minutes. Entre le réalisme et la dramaturgie, c’est toujours la seconde qui l’emporte. Dans cette série, l’important est moins dans ce dont parlent les personnages que dans la façon dont évolue la relation entre le patient et le thérapeute. Le scénariste doit toujours avoir en tête le sous-texte de cette relation : par exemple, au début de l’épisode, les personnages sont comme des amants ; à la fin, leur relation sous-jacente est une relation père-enfant, ou bourreau-victime. Un épisode est l’histoire de cette évolution : sous la surface de la relation thérapeutique, on passe d’un archétype à l’autre. Si au cours d’un épisode, la relation patient-thérapeute n’a pas bougé, alors l’épisode est loupé.

Ce que vous dites ici paraît très spécifique à la thérapie, où le sous-texte est très important…

Justin vous adorerait ! Il parle en termes de transfert et de contre-transfert… En tant que scénariste, je commence par me demander quel est l’objet de la colère de mon personnage. Tous mes personnages sont en colère, cela m’aide beaucoup de penser dans ces termes. Sophie — ou April dans la deuxième saison — est furieuse contre ceci ou cela. Cependant, là n’est pas la raison profonde de sa colère. Elle arrive chez Paul en lui demandant une confirmation, parce qu’elle estime qu’elle est une victime. Or à la fin de l’épisode, c’est contre lui qu’elle est furieuse, parce qu’il l’a confrontée à quelque chose à quoi elle ne voulait pas être confrontée. Si je n’ai pas ce type de dynamique, mon scénario ne fonctionne pas.

Écrivez-vous spécifiquement pour vos acteurs ?

J’ai commencé à écrire Sophie, mon personnage de la première saison avant de connaître Mia Wasikowska, que je n’ai rencontrée qu’au tournage. À partir de là, je me suis mise à écrire pour elle ; comme j’ai écrit pour Alison Pill, qui joue April dans la deuxième saison, et avec qui j’avais déjà travaillé pour le théâtre. C’est incroyablement utile. Dès l’écriture, on entend la façon dont cela sonnera. On connaît le rythme des phrases avec lequel ils sont le plus à l’aise. On sait ce qu’ils peuvent faire dans les silences.

Vous continuez donc à écrire pendant le tournage ?

La moitié seulement des épisodes est écrite au moment où commence le tournage. Je suis, par ailleurs, présente sur le plateau pour des réécritures locales. Gabriel Byrne m’a souvent demandé de retoucher une réplique : « pourquoi est-ce que je ne peux pas dire en trois phrases ce qui est écrit en sept ? » En général, les scénaristes commencent par répondre, offusqués : « Parce que cela sonne mieux en sept phrases ! » Mais le plus souvent, c’est Gabriel qui a raison. Le savoir-faire spécifique d’un scénariste de télévision, c’est de comprendre très vite qu’il y a des choses qui ne marchent pas, et de les modifier en conséquence. On écoute les acteurs prononcer un dialogue qu’on a écrit et là, on demande deux minutes, le temps de le reprendre.

Outre le showrunner, à qui les parties prenantes d’une série doivent-ils rendre des comptes ?

Aux producteurs exécutifs d’abord. Ils sont trois sur In Treatment : Hagai Levi, l’acteur Mark Wahlberg, et surtout Stephen Levinson, qui produit aussi Entourage et How to make it in America. C’est un mogul, comme on dit. C’est lui qui a le dernier mot sur les embauches et sur le casting, lui qui lit tous les épisodes et qui rédige des notes. Et puis il y a aussi les cadres de HBO : Sue Nagel, qui dirige toute la production télé de la chaîne, et ceux qui la représentent à toutes les étapes de la production, du casting au montage.

Assistez-vous vous-même au montage ?

Oui, on m’y demande des précisions sur l’enjeu de tel ou tel moment d’un épisode. Pour chaque épisode, il y a en fait plusieurs états du montage. Le director’s cut — celui du réalisateur — est plus long que la durée effective de l’épisode, et toujours très beau : tout y est plus lent. Et là, les producteurs s’en mêlent ! Quand l’épisode revient, après le producer’s cut, tout est calibré, tout est beaucoup plus rapide. Au début, c’est très rude, mais on s’habitue. Ils n’ont sans doute pas tort, cela marche ! C’est peut-être moi qui voudrais qu’on accentue tel ou tel passage du dialogue dont je suis particulièrement fière ! (rires). En même temps, il y a indiscutablement des épisodes dont je préfère la version israélienne, justement parce qu’ils n’hésitent pas à rester longtemps sur un personnage : ils font confiance au public et n’ont pas peur qu’un plan trop long le fasse lâcher prise.

Êtes-vous sous contrat à HBO ?

Je le suis depuis avril 2009. Je suis libre d’écrire pour le cinéma ou pour le théâtre, mais ce contrat me lie pour tout ce qui concerne l’écriture télévisuelle. Ils m’ont d’ailleurs commandé l’écriture d’un pilote, à partir d’un roman de Tom Wolfe, Moi Charlotte Simmons. Le pilote correspond aux 200 premières pages. Si HBO décide que cela en vaut la peine, la première saison couvrira l’intégralité du livre.

Le cas échéant, serez-vous la showrunner de cette série ?

Si je m’appelais David Simon (The Wire), ils diraient : « vas-y, fais ce que tu veux ». Mais je n’ai pas assez d’expérience ! Ils désigneront donc un showrunner, qui pourra être, ou non, scénariste. Il arrive qu’il y ait des associations brillantes : pour Six Feet under, Alan Ball — le scénariste — a écrit, et Alan Poul — le showrunner — a supervisé la série sans signer un seul scénario. Quand un showrunner aura été désigné, un pilote sera tourné. Et après, cela dépendra. Il y a évidemment plus de pilotes tournés que de séries développées.

Dans quelle proportion ?

HBO est plutôt prudent : ils tendent à développer la plupart des pilotes tournés. Mais il n’y a pas si longtemps, les chaînes commerciales réalisaient environ vingt pilotes pour trois séries développées. À Los Angeles, il y avait même une saison des pilotes : chaque année, entre février et mars, de 100 à 200 pilotes étaient tournés. Les acteurs passaient d’une audition à l’autre.

En mai, il y a à New York ce qu’on appelle les upfronts : ce moment où les chaînes dévoilent aux annonceurs leurs programmes, afin qu’ils achètent des plages publicitaires : des pilotes sont montrés, les acteurs se déplacent. Pour les chaînes commerciales, l’enjeu est tel qu’elles imposent à leurs productions des standards très stricts, qui peuvent aller jusqu’à l’autocensure. HBO n’a pas ce genre de contraintes, parce que c’est une chaîne sans coupures publicitaires. Il s’agit d’une chaîne à péage, son modèle économique est donc différent.

Quoi qu’il en soit, on tourne aujourd’hui beaucoup moins de pilotes qu’auparavant, parce que les chaînes s’efforcent de limiter les dépenses. Ce n’est d’ailleurs pas de très bon augure. Moins on tourne de pilotes, plus ceux qui sont effectivement réalisés sont sages.

Y a-t-il une marque de fabrique des productions HBO ?

Quand nous écrivons, nous nous posons nous-mêmes cette question : en quoi est-ce bien une série HBO ? Pourquoi ne pourrait-elle pas être faite ailleurs ? Mais personne ne sait vraiment répondre a priori.

Est-ce une question de budget consacré au développement ?

Non, les budgets diffèrent considérablement selon les séries. En fait, si tout le monde veut travailler pour HBO, c’est parce qu’ils ont un catalogue extraordinaire, et parce qu’ils allouent à leurs créateurs une liberté plus grande qu’ailleurs.

Notre goût pour certaines séries américaines — et notamment produites par HBO — procède en partie du sentiment de liberté que donnent ces narrations au très long cours, qui semblent parfois les apparenter davantage au roman qu’au cinéma…

Ce côté épique des séries n’est pas si ancien. Sans doute certaines séries HBO y ont elles en partie contribué : dans Les Soprano, Six Feet Under, The Wire, il y a cette idée que la télévision est à même de construire des mondes immenses. Il y a eu un moment où des types qui avaient travaillé sur des séries policières, par exemple, et qui en étaient devenu des maîtres, se sont mis à se demander ce qu’ils pouvaient faire de spécifique avec ce médium. Je pense à David Milch, qui a créé NYPD Blue avec Steven Bochco ; ou à Matthew Weiner, qui a travaillé sur les Soprano avant de créer Mad Men. Et puis sont arrivés des gens comme David Simon, le créateur de The Wire, qui était journaliste au Baltimore Sun : il vient d’une culture complètement différente, et il en résulte une tout autre façon de raconter une histoire. The Wire était évidemment une expérience risquée, mais elle en a rendu d’autres possibles. Il y a donc là un terrain nouveau. Pendant très longtemps, il n’était pas très gratifiant de travailler comme scénariste pour la télévision, mais cela a changé.

Cette évolution a-t-elle eu des répercussions financières ? Êtes-vous bien payée ?

Très bien ! Si je compare, par exemple, avec la rémunération des scénaristes israéliens, écrire pour la télévision aux États-Unis peut même être scandaleusement bien payé — même si les standards d’HBO restent plus modestes que ceux des télévisions commerciales. La première fois que je suis allée à Los Angeles, que je déteste, j’ai traversé le Laurel Canyon Bd, où tout m’a paru magnifique. J’ai dit : « cela ne me dérangerait pas du tout de vivre ici ». L’assistant de mon agent m’a répondu que cela me coûterait des millions de dollars avant d’ajouter : « beaucoup de scénaristes de télévision vivent ici. » En fait, ces scénaristes-là ne travaillent pas pour HBO. Mais au moins nous, on est plus heureux !