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Vacarme 56 vient de paraître

« Un mot manque au français, qui existe dans d’autres langues : l’italien dit zibaldone, l’anglais parle de commonplace book. L’un comme l’autre désignent ces carnets où l’on copie et recueille, sans plan ni discrimination, les poèmes aimés et les recettes de cuisine, les articles de journaux et les prières, les lettres et les tableaux des poids et des mesures. (...) Ce nouveau numéro de Vacarme est un zibaldone, ou un commonplace book. » (Ph. Mangeot, C. Peclers, « Marabout de ficelle », Vacarme n°56, été 2011 — éditorial)

Le numéro 56 de la revue (été 2011) vient de paraître. Avec ce numéro, Vacarme modifie son rubricage habituel et invite les lecteurs à se re-saisir de textes, à re-découvrir des images, qui ont compté politiquement et intimement dans les trajets intellectuels de la revue. Quelques uns d’entre eux, signalés par un point vert dans le sommaire, sont gratuitement disponibles en ligne.

Lieux communs

Dans ce numéro conçu comme une anthologie de textes dont la plupart sont désormais introuvables, Vacarme parcourt quelques uns des chemins qui lui sont familiers, et que la revue tient à défendre comme des lieux communs, comme des places fortes : quelques techniques de lutte (des barricades de 1832 et 2010) pour rappeler que « nous sommes la gauche » (texte collectif publié le 6 mai 1997) et, qu’une fois encore, « nous nous permett[r]ons d’insister » (30 mai 1997), en proposant un retour sur les savoirs de militants et d’usagers : tracts de la Gay Pride à New York en 1990, reproduction de textes de patients extraits des Cahiers pour la folie, résistance de la psychanalyse à la folie scientiste, cahiers rédigés par les habitants d’un quartier de Besançon, glossaire du Sexisme ordinaire, récit par G. Leblond-Valliergue de ses expériences et apprentissages des drogues opiacées, autant de textes dessinant un paysage politique qui est nôtre tout en faisant entendre des voix lointaines, comme celles des spectres que fait parler V. Hugo, ou le texte déchirant d’un anarchiste en 1937. Hugo fait tourner le guéridon de Jersey et discute avec Chateaubriand, Dante, Racine et Shakespeare : en toute modestie. Vacarme est la seule revue au monde qui fait parler les morts : « La mer me parle de toi », déclare avec calme Chateaubriand à Hugo.

Mais pour éviter le risque de nostalgie inhérent à toute anthologie, Vacarme propose simplement de déplacer le regard, de s’autoriser à réinventer ce qui nous semble le plus familier, comme lorsque Pol Bury imagine de recomposer à l’aide de trois figures géométriques les rapports de liberté, égalité, fraternité ad lib., ou Miller Levy de réinventer la collection « Que sais-je ? » en mêlant les couvertures d’ouvrages distincts.

Une série d’entretiens fondateurs

Edward Palmer Thompson, auteur du célèbre livre La formation de la classe ouvrière — livre qui a mis plus de vingt ans à être traduit en France — retrace son parcours au cours d’un entretien qui date de 1992. En revenant sur son ascendance et sur ses attaches intellectuelles, Thompson répond, entre autres, à Joan Scott qui avait fait une critique retentissante du livre à l’aune de son féminisme américain radical. Marguerite Duras s’entretient avec Marianne Alphan en janvier 1990. Il paraît donc ainsi que l’écrivaine possédait une 405 et qu’elle a écrit La Pluie d’été à sa sortie d’hôpital « dans une espèce de trame noire du coma ». André Markowicz, auteur d’une retraduction intégrale de Dostoïevski, l’affirme : « Il se passe aussi que Dostoïevski écrit comme un cochon » et il était temps que nous l’apprenions. Au cours d’une interview menée par Karen Wald en 1971, George Jackson, revenant — de la prison de Saint Quentin en Californie, de la mort aussi, des Black Panthers, et surtout d’un laboratoire intransigeant de la lutte comme il en a existé dans un temps passé que plus d’un sont tentés aujourd’hui d’appeler autrefois – transmet un manuel révolutionnaire des luttes vouées à finir mal, peut-être : une parole à lire pour la dynamis qu’elle enclenche et aussi pour sa joie intransigeante qui suggère in fine que finir mal n’est pas toujours mal finir.

Du témoignage au poème…

La littérature, dans l’anthologie de Vacarme — registre de l’indécidable, croisée du réel et de la fiction — est là. Radicalement accrochés au réel, des éclats de Témoignage de Charles Reznikoff publié entre 1885 et 1915, poésie d’archive plus proche du vivant que bien d’autres. Lui font écho les vignettes de Chris Marker publiées dans Esprit entre 1947 et 1952, quelques gestes du ping-pong magnifiquement mis en langue par Serge Daney : ils accompagnaient en 1986-87 une installation vidéo de Christophe Bargues : Quelques gestes de Tokyo à Yamaguhsi. Presque seul à être isolé d’une série, un poème de James Agee, en mémoire de mon père, écrit en 1937, le poème fait un saut temporel et s’actualise en un paragraphe prosé, étrange. Dis-moi l’amour fut-il jamais. Si doux dans la main. si tendre dans l’œil  : un détour par une des autres langues de l’américain pour faire vivre une voix qui ne sera une voix d’autrefois que si on ne la lit pas, que si on la traduit pas. En écho final, seule elle aussi, la chanson de Milli Milli, film du cinéaste du nord-ouest de l’Australie Wayne Jowandi Barker dont le patronyme seul est déjà une invitation à réinventer l’exotisme. Un sergent sur une cheval blanc, ça peut aussi chanter : au cinéma et dans Vacarme. C’est d’ailleurs à tendre l’oreille que nous invite Luciano Berio dans des « commentaires sur le rock » ».

Post-scriptum

Parution en librairie : 29 juin 2011.

Diffusion / distribution : Les Belles Lettres DD, via les éditions Les Prairies ordinaires, partenaire de Vacarme.