Vacarme 63 / Cahier

manifeste

Quand il fait froid, il faut mettre… Ou comment devenir français pour obtenir le droit de voter

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Sur le droit de voter des étrangers, on a tout dit excepté une chose : que l’appartenance à la nation — c’est-à-dire la nécessité de la naturalisation — invoquée par ceux qui étaient contre était un piège. Manifeste pour un droit au suffrage vraiment inconditionnel, sans considération de langue, de culture, d’histoire, et autres.

Quand il fait froid, il faut mettre…
[A] des allumettes
[B] un manteau
[C] une pelle
[D] du feu

Question donnée dans le cadre du test TFI™. Le TFI™ (test de français international) est un test de français agréé par le ministère de l’Intérieur depuis le 1er janvier 2012 pour l’obtention de la nationalité française.

Une pelle : on va pas essayer de construire une démocratie cohérente avec ceux de ses idéaux parmi les plus utopiques, les plus risqués, parce que les plus tolérants et les plus beaux.

Du feu : on va pas utiliser le pouvoir donné au PS par l’alternance pour créer une marche vers une société politique plus heureuse, plus démocratique, plus collective, indépendamment de la couleur, de la communauté, de la culture de l’ensemble des êtres qui vivent dans ce pays. C’est vrai qu’aujourd’hui, on n’est plus raciste comme hier alors on n’incrimine plus une race ou une couleur mais plus volontiers une culture, une religion, une mentalité ou, plus rarement, une ethnie. Un homme nommé François Fillon toujours vivant aujourd’hui parle de communauté ethnique pour refuser le droit de vote aux étrangers qui ne sont pas citoyens d’un pays de l’Union européenne et qui sont les étrangers véritables.

Le manteau : pourquoi pas ? Mais alors pas trop long, pas trop molletonné, pas trop chaud, très discret et essentiellement de couleur blanche et héroïque, celle des hommes supérieurs nationaux français descendants de ceux qui ont combattu autrefois les Barbares, les Germains et les Bougnoules et gouvernent ou ont gouverné, le phallus dans une main, le sceptre de la domination blanche post-coloniale dans l’autre.

Les allumettes : les allumettes, c’est mieux qu’une pelle, du feu ou un manteau. Ça se gratte, ça fait crac, ça se mérite. Pour obtenir le droit de voter, il faut faire partie de la NATION.

les allumettes

Les allumettes sont héroïques. On les craque à l’extérieur. À l’extérieur ? Oui. Si vous voulez comprendre pourquoi en France le droit de vote pour les étrangers véritables, les métèques, les refoulés de la société politique, dont 41,8 % sont composés de nationaux d’Afrique, et parmi eux 30 % de nationaux du Maghreb, comme ces vieux ouvriers qui ont épuisé leur corps leur vie durant en travaillant dans le BTP français au point d’en devenir handicapé cotorep et de n’être plus capable à 50 ans de s’asseoir ou de se lever d’une chaise (on en connaît), si vous voulez comprendre pourquoi ces gens-là qui concernent moins de 4 % la population française (= population des gens qui vivent en France) n’auront jamais le droit de vote dans la commune où ils résident, tournez vos regards vers le Mali. Le Mali ? Pourquoi le Mali ? Parce qu’en ce moment, la France est en guerre au Mali. Et c’est bien. Une nouvelle fois, l’occasion pour un étranger véritable de montrer sa bravoure en s’engageant dans la Légion et en se faisant blesser sur le front français permanent de la lutte contre le terrorisme islamiste dans le monde [1]. La nationalité française est conférée par décret, sur proposition du ministre de la Défense, à tout étranger engagé dans les armées françaises qui a été blessé en mission au cours ou à l’occasion d’un engagement opérationnel et qui en fait la demande. C’est automatique, en devenant héros militaire, un nouveau Roland parti en lutte contre les Sarrasins de 2013, on peut obtenir la nationalité. Et avec la nationalité, on obtient les droits civiques qui sont associés à elle, qui sont inséparables de ce mantra magique franco-français entonné comme une litanie par tous les défenseurs de la NATION contre les envahisseurs étrangers. Malheureusement, pour s’engager dans la Légion et se faire envoyer au Mali ou sur le prochain front d’opération de l’armée française, il faut passer un test d’aptitude sportive. Il faut être encore un peu jeune. Ou un homme. Ce n’est pas pour les vieux qui sont là depuis longtemps. Ce n’est pas pour les femmes. Ce n’est pas pour les pacifistes non plus. Tant pis pour les vieux. Tant pis pour les femmes. Tant pis pour les pacifistes. La nationalité française, ça se mérite. Et avec elle, le droit de vote, c’est-à-dire le droit de donner sa voix, de donner son suffrage, c’est-à-dire d’avoir droit à la représentation démocratique inhérente au principe du suffrage universel inscrit dans la Constitution française. Si vous n’êtes pas un héros, vous ne votez pas.

Les allumettes sont historiques. On les craque aussi à l’intérieur. Pas de droit de vote pour ceux ou celles qui ne connaissent pas ce que nos gouvernants s’imaginent être l’histoire ! Le demandeur doit également justifier de son assimilation à la communauté française, notamment (…) par une connaissance suffisante de l’histoire, de la culture et de la société françaises correspondant au niveau d’un élève à la fin de l’école primaire. Heureusement, le questionnaire à choix multiples sur les valeurs et l’histoire de la République qui devait rentrer en application au plus tard le 1er juillet 2012 ne l’a jamais été. Un soulagement. Un étranger véritable qui aurait voulu se faire naturaliser pour avoir le droit de voter aurait dû savoir sinon que l’hymne de la France n’est pas la Paimpolaise, que Brigitte Bardot n’est pas une championne de boxe française, que Luc Ferry (!) n’a pas créé l’école gratuite et obligatoire, que les premiers peuples qui ont peuplé la France ne sont ni les Crétois ni les François mais les Gaulois et que les Guerres de Religion au XVIe siècle n’ont pas opposé chrétiens et musulmans… [2]. Il faudrait citer toutes ces questions idiotes, outrageusement orientées, qui finalement n’ont jamais été posées à ceux qui étaient candidats à la naturalisation. Ces questionnaires, c’était la bêtise érigée en sésame de ce qui valait pourtant un trésor aux yeux du gouvernement Sarkozy : la nationalité. La nationalité, bien précieux, bien plus précieux pour ces gens que les vieux étrangers, ceux-là même dont on voulait sucrer le droit à la retraite sous prétexte que c’était pas normal que les vieux nationaux agriculteurs gagnent moins que les vieux étrangers pas nationaux. Jusqu’à l’alternance dernière, les gouvernants de ce pays, ces descendants d’une sorte de chevalerie française nationale composée d’arriérés et d’arrogants, vêtus comme des gentlemen farmers gaulois de la Sarthe sur les couvertures de magasine, auraient voulu décidé de valider ou non une candidature à la naturalisation au moyen de ces questionnaires. Passons sur la Charte des droits et des devoirs du citoyen français que doit signer tout candidat au droit de vote qui consiste en un condensé fragmenté de la Constitution et dont le principe est qu’il menace son signataire d’une déchéance possible de la nationalité avant même qu’il l’acquière [3]. Tous les étrangers véritables qui veulent voter doivent signer ce document parce qu’il ne faut pas seulement mettre un genou à terre devant la France blanche et profonde pour avoir le droit de faire partie de son destin commun, il faut en mettre deux. Vous souhaitez devenir Français. C’est une décision importante et réfléchie. Devenir Français n’est pas une simple démarche administrative. Acquérir la nationalité française est une décision qui vous engage et, au-delà de vous, engage vos descendants.

la pelle

Si vous choisissez malgré tout la pelle plutôt que les allumettes, le manteau et le feu, alors vous choisissez une grande pelle. Une grande pelle de fossoyeur. Pour construire une grande fosse. Dans cette grande fosse, vous mettez tout ce que le passé de la démocratie lègue à propos de la question de la nationalité et sur la question du droit de vote qui lui semble si naturellement associée aujourd’hui. Ce qui est extraordinaire, c’est que cette tombe que cette pelle blanche et républicaine creuse sous vos yeux est creusée au nom de la démocratie et de la République. ARTICLE 3. La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. La souveraineté nationale. Au XIXe siècle, la souveraineté nationale, c’est le pays réel, c’est-à-dire tous ces gens qui vivent dans le pays mais qui ne possèdent pas le droit de vote. Entre 1830 et 1848, les étrangers véritables, ce sont les pauvres, ceux qui ne peuvent pas payer l’impôt qu’on appelait le cens à l’époque. Au nom de la souveraineté nationale, la vraie, la véritable, on proclame en février 1848 le suffrage universel. La nationalité comprise comme le plus petit dénominateur commun parmi les citoyens du pays est alors invoquée pour défendre l’extension du suffrage. Un Lamartine défend même le droit être représenté à la Chambre pour les esclaves (pas susceptibles d’être considérés comme des nationaux) ! Aujourd’hui, la nationalité qui fait rempart contre le droit de vote des étrangers véritables a été perversement transformée en principe de restriction du suffrage : un verrou juridique très puissant, d’autant plus pervers qu’il n’est pas vissé totalement et que semble demeurer en lui l’empreinte du suffrage universel [4]. Les hommes romantiques qui étaient des politiciens et des poètes se battaient pour l’idée qu’ils se faisaient de la promesse d’un suffrage le plus élargi possible au nom d’une conception du pays la plus large possible. Aujourd’hui la promesse du suffrage universel tombe dans la fosse creusée par les bien-pensants des textes de loi, ceux qui croient qu’un article de Constitution fixe à jamais l’histoire en téléologie républicaine. Ceux qui s’arrêtent à la lettre du texte pour légitimer à rebours, à partir de lui, cette aberration : la confusion perpétuelle et a-historique de la citoyenneté et de la nationalité. L’article 3 n’est pourtant qu’une formulation provisoire de la quête et de la promesse inhérentes au principe du suffrage universel, principe-accordéon s’il en est qui se déploie, étape par étape, époque par époque, régime par régime. La démocratie est un processus.

La preuve ? Depuis le Traité de Maastricht, les étrangers qui sont citoyens de la Communauté européenne peuvent voter aux élections locales ! Alors que les hommes supérieurs invoquent l’article 3 comme rempart intangible, comme bouclier inébranlable, l’histoire récente de la Constitution a prouvé avec Maastricht qu’il pouvait s’assouplir : s’il existe effectivement une volonté politique pour le faire ! Étrange. Tous les Bulgares, les Allemands, les Roumains, les Anglais, les Italiens…tous ont le droit de voter mais pas les Algériens, les Tunisiens, les Marocains…, avec lesquels le pays partage une histoire un peu longue tout de même. Tous quand ils sont européens ont le droit de voter en France sans passer le TFI™, test de français international mis en œuvre par la société à but non lucratif ETS qui administre des millions de test dans le monde entier [5]. Le TFI™, comme test de langue, est extrêmement orienté en ce qu’il profile ses candidats comme des professionnels voués à travailler dans un univers libéral, en entreprise, dans le commerce, bref un personnel bankable dans la société économique d’aujourd’hui. Ce TFI™, les candidats à la naturalisation peuvent le passer pour prouver leur niveau de français. Certain que l’ouvrier handicapé cotorep qui a travaillé quarante ans dans le BTP en maniant la truelle et les échafaudages est incapable de passer ce test : et pas parce qu’il est pas assez compétent mais parce qu’il l’est trop ! Une vie passée en France explose facilement les avaricieux standards petits bourgeois du TFI™.

Tous ceux qui invoquent la nationalité pour combattre le droit de vote pour les étrangers véritables — auxquels ce TFI™ pour représentants de commerce est réservé — ne font pas justice aux étrangers véritables. Pire, en leur recommandant cette procédure d’examen de la langue qu’implique toute naturalisation, ils stigmatisent en eux une catégorie spécifique de la population française (= qui vit en France) en fonction de leur pays de naissance, de leur origine, de leur passé de migrants ou d’enfants de migrants. Tous ceux-là doivent prendre conscience du racisme fondamental qui s’attache à leur point de vue. Au nom de quoi un citoyen européen qui réside depuis cinq années en France a plus de légitimité pour voter dans sa commune qu’un vieil Algérien qui y habite depuis quarante ans et qui y a construit la moitié de ses logements sociaux ; ou qu’une femme africaine qui y habite depuis dix ans, qui est déléguée de parents d’élèves à l’école de ses enfants, membre du bureau d’une association ou même d’un comité consultatif d’étrangers comme celui qui a été mis en place à Saint-Denis ? Au nom de quoi si ce n’est d’un nationalisme élargi de la France à l’Europe, excluant d’une citoyenneté totale tous ceux qui ne sont pas conformes au stéréotype du caucasien chrétien de culture blanche ayant eu la chance de naître dans les frontières de Schengen ? Cette citoyenneté locale à deux vitesses est celle qui creuse le plus profondément la tombe des promesses inhérentes au principe du suffrage démocratique : c’est la tombe la plus cruelle car elle est coloniale, phobique et malhonnête simultanément. Jamais elle ne cesse de se parer des idéaux de la révolution française. Jamais elle ne cesse d’agiter l’épouvantail hypocrite de la nationalité qui les contredit. À ceux-là qui creusent, qui creusent avec la pelle quand il fait froid après avoir craqué les allumettes, il est temps de dire que nous les tenons pour les artisans coupables de cette citoyenneté au rabais que vivent depuis des années les Arabes et les Africains dans ce pays qui est aussi devenu le leur. La pelle, c’est l’impunité totale donnée aux fossoyeurs du suffrage universel.

le manteau

Sur cette fosse, on jette pudiquement un voile. Ou un manteau. Celui de l’aménagement des procédures requises pour la naturalisation et celui du report nécessaire du droit de vote parce que les esprits ne sont pas prêts ou parce que la volonté politique à mettre en œuvre pour obtenir la majorité des 3/5ème au Congrès n’est pas présente. C’est au gouvernement socialiste de François Hollande qu’on doit ce voile d’hypocrisie jeté sur une de ses promesses électorales. Proposition n°50 : J’accorderai le droit de vote aux élections locales aux étrangers résidant légalement en France depuis cinq ans. Ce qui se passe ? Avant les élections, on extrait le serpent de mer du droit de vote. Après les élections, on l’enterre à nouveau dans la fosse de la naturalisation. Ça s’appelle une résurrection avortée sciemment. Ou encore une manipulation électorale opérée sur le dos des plus démunis. Ou encore une trahison du peuple de gauche. Manuel Valls a supprimé le questionnaire sur Brigitte Bardot et la Paimpolaise pour alléger les procédures de naturalisation [6], mais ça ne fait pas oublier la radicalité de la Proposition n°50. Une promesse, c’est une promesse. On n’assortit pas une promesse à un manteau pudique comme une condition. Désormais, sous la gauche, le droit de vote pour les étrangers véritables ne dépendrait plus que d’une procédure formelle, simplifiée, relégitimée. C’est faux. En Amérique, il a fallu le Voting Rights Act signé par le président Johnson en 1965 pour que toute la population noire puisse voter alors que le droit de vote était acquis depuis 1870 pour l’ensemble de la population. Mais dans certains États, il fallait payer une taxe importante et réussir un test scolaire exigeant, si bien que beaucoup de citoyens de nationalité américaine, des Afro-américains, étaient de facto privés du droit de vote. Cet exemple historique lègue deux enseignements sur le manteau jeté sur la fosse de la naturalisation. 1/ Si la nationalité est un droit qui peut s’acquérir techniquement au terme d’une procédure ou en raison d’amendements, il en est bien autrement d’une citoyenneté active et c’est pourquoi l’ensemble d’une population civile engagée s’est battue en Amérique dans les années 1960 pour obtenir l’égalité de tous les droits politiques, pas seulement l’effectivité du droit de vote pour une minorité sociale et politique. 2/ La reconnaissance des communautés d’étrangers véritables qui constituent la population française réelle (= qui habite en France) ne passera jamais par le manteau de chagrin d’une naturalisation assouplie mais par l’extension du droit de vote des étrangers véritables à une véritable politique de visibilité et de reconnaissance de toutes les minorités : que ces dernières vivent en France en situation régulière ou non. C’est ça, le feu.

le feu

Le feu explose les allumettes et le manteau. Quand il fait froid, il faut mettre le feu. Le feu, c’est entendre qu’une minorité, une minorité en nombre et en droit, en dépit de son propre — son propre qui est son statut minoritaire — est dotée faussement de grands pouvoirs. Toujours un effet de renversement quand on met le feu. Il faisait froid. Et ensuite il fait chaud. Cette minorité à laquelle on refuse le droit de vote véhicule des fantasmes inouïs dans l’imaginaire des pro-nationaux. On a beau être un pauvre vieux ou une mère de famille, faire partie des 500 000 mineurs que compte la population étrangère en France, ou encore être un adulte responsable qui fait la plonge dans un restaurant étoilé Michelin et qui paye ses impôts locaux, on n’en représente pas moins à leurs yeux un djihadiste en puissance capable de piquer le pain au chocolat d’un petit cé-fran ou d’être la taupe d’un parti islamiste invisible dont la mission planétaire serait de détruire les fondements de toutes les démocraties occidentales laïques et, en premier lieu, la France. Pour le dire vite, la minorité privée du droit de vote en France est élevée fantasmatiquement au rang d’un parti de l’étranger terroriste et tentaculaire mondial dont l’armée française ratatinerait au Mali l’une de ses ventouses les plus extrêmes au moment même où nous écrivons.

Pas question de défendre ceux qui utilisent la religion comme puissance terrorisante au Mali ou ailleurs. Mais pas question non plus d’unifier derrière leur bannière tous ceux qui prient Allah, notamment ceux qui, parmi les étrangers véritables, aimeraient voter un jour dans ce pays où ils vivent et qui est la France. Notre minorité pauvre et métèque est considérée à tort comme une minorité globalisée, globale, globalisante, qui enlèverait le pain de la bouche des Français, souhaiterait recouvrir de la burqa toutes les femmes de la planète et bénéficie de la manne des monarchies pétrolières sans modération. L’individu qui a acquis la qualité de Français peut, par décret pris après avis conforme du Conseil d’État, être déchu de la nationalité française (…) s’il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme (…) S’il s’est livré au profit d’un État étranger à des actes incompatibles avec la qualité de Français et préjudiciables aux intérêts de la France [7].

Ces vieux ouvriers, ces mères de familles, ces mineurs, et tous ces autres qu’on ne veut pas catégoriser, tous ces citoyens qui n’ont pas la nationalité sont tous les jours dotés faussement d’une grande puissance à seule fin d’être maintenus dans une grande impuissance. En ce sens, ils sont les descendants esclaves d’alors, ceux avant 1848 dont il ne fallait pas éveiller les consciences au moyen de discours abolitionnistes prononcés à la Chambre de peur qu’ils mettent le feu aux propriétés esclavagistes. Ce sont aussi les femmes d’alors, celles de l’année 1945 et des années qui précèdent, dont le tempérament impétueux et le nombre faisaient si peur que jusqu’à la dernière minute il demeurait impensable de les doter du droit de vote sans l’atténuer, sans le minorer d’une façon ou d’une autre. Ce sont encore les prisonniers d’aujourd’hui déchus de leur droits civiques qui n’arrivent pas à réintégrer le corps électoral. Leur ancêtre romantique, c’est Jean Valjean, ancien forçat. Ou encore ce sont ces autres prisonniers qui n’arrivent pas à voter en prison parce que c’est compliqué de trouver un mandant quand on est en prison justement... Ce sont les handicapés et les fous. Ce sont enfin les sans-papiers de demain, déjà recensés pour partie dans les statistiques de l’Insee. On sait qu’ils finiront par prendre à revers l’homme supérieur blanc qui croit tenir tout le pouvoir dans sa main en monnayant le droit de donner sa voix (= d’exprimer son suffrage) au moyen de chartes, de tests, de questionnaires, de signatures, de serments. Mais comment prendre à revers l’homme supérieur blanc, les chevaliers de la Sarthe pro-nationaux ? En brûlant la trace de leurs propres pas, et les fantasmes qui leur sont attachés, en sortant du labyrinthe des procédures et de la naturalisation, non parce qu’ils l’auront maîtrisé en raison d’une quelconque puissance terroriste singulière, mais parce qu’au-delà d’une histoire orientée de la NATION qui a partie liée avec une démocratie conçue en partie comme un mémorial, ils habitent déjà la maison, ils font déjà cuire la soupe. Notre soupe. Qui, nous ?

Notes