Vacarme 20 / Anne Tristan

La citoyenne paradoxale entretien avec Anne Tristan

« Ceux qu’une frontière traverse au coeur ne peuvent que ressentir l’absurdité des tris et des limites. » Clandestine

S’il est une notion qu’Anne Tristan revendique et défend, c’est bien celle de passage. Dans ses différents ouvrages comme dans ses combats politiques (il serait d’ailleurs absurde de dissocier les deux), elle s’est battue pour construire des passages, pour créer ce qu’elle appelle des « courants d’air ». En amont de ses enquêtes, il y a toujours des passeurs, qui lui font rencontrer les luttes kanaks, les immigrés haïtiens, les massacres du 17 octobre 61. Le passage est l’objet autour duquel s’est construit le travail d’Anne Tristan ; mais il est aussi devenu sa technique de travail. Pour mieux défendre les passages, elle est devenue elle-même passeur. Pour elle, un passeur est quelqu’un qui paradoxalement doit d’abord s’installer, dans un lieu ou une situation, dans une identité, jusqu’à y apprendre quelque chose à transmettre, de quoi fabriquer un passage, de quoi créer un courant d’air.

Pour comprendre pourquoi et comment on risque de se fracasser sur une limite politique (le FN), elle construit un passage vers ceux qui adhèrent aux idées du FN dans les quartiers Nord de Marseille, en s’installant parmi eux de janvier à juin 1987. Ce qui donne son premier livre, Au Front. En 1990, elle participe à la création du réseau Ras l’Front, dont elle dirige toujours le mensuel. Pour créer un passage vers les luttes indépendantistes kanaks, menacées d’invisibilité après le massacre d’Ouvéa et la signature des accords de Matignon, elle va vivre pendant six mois en Kanaky. À son retour en métropole, elle écrit L’Autre monde, tout à la fois récit des luttes et profession de foi anticolonialiste. Dans sa dernière enquête, Clandestine, elle prend l’identité d’une demandeuse d’asile dominicaine. Des zones franches de Saint-Domingue aux rues parisiennes, en passant par les zones d’attentes des aéroports français, elle transmet ainsi l’histoire de tous ceux qui rêvent de territoires sans nations.

Inclassables dans la terminologie habituelle, à mi-chemin du journalisme et du militantisme, les enquêtes d’Anne Tristan interrogent autant le travail des médias que celui de la sociologie, et fabriquent des documents uniques et troublants.

Avant tout, on pourrait commencer par parler de votre trajectoire militante, puisque votre travail de journaliste et vos livres se sont toujours construits dans des liens très forts avec vos investissements militants, comme, inversement, vos enquêtes ont nourri par la suite vos réflexions et vos stratégies militantes.

À treize/quatorze ans j’ai été anarchiste, comme beaucoup de gens en province. Puis j’ai fait partie de groupes féministes, avant de militer à la LCR au début des années 1980. En 1984, j’ai été journaliste à la télévision pendant cinq mois, le temps de gagner assez pour partir au Nicaragua comme brigadiste ramasser du coton ; c’était l’époque où la guerre sévissait sur la frontière avec le Honduras et dans les ports. À mon retour, j’ai placé quelques articles à Témoignage chrétien, au Matin et à Afrique-Asie, où je suis entrée. C’était du journalisme militant. Grâce à Afrique-Asie j’ai rencontré la Nouvelle-Calédonie, à un moment de grande mobilisation en Kanaky. Dans l’urgence, c’est moi qui ai rencontré les représentants du FLNKS à Paris. C’est là qu’a commencé mon aventure avec le comité Kanaky qui existait déjà depuis deux-trois ans.

Au même moment, aux élections européennes de 1984, le Front National confirme son score de 1983. Puis, en 1986, il a quatre élus régionaux à Marseille. Ma première réaction a été qu’il fallait absolument « bousiller » ce parti avant qu’il ne se développe. C’est alors que, par un concours de circonstances, j’ai rencontré Edwy Plenel, qui m’a demandé si j’étais prête à faire quelque chose sur le Front National. Évidemment, j’étais plus que prête. Il m’a dit de réfléchir à une enquête sur Marseille. L’affaire a pris forme, et je suis allée m’y installer en 1987.

au front

Comment avez-vous procédé pour faire votre enquête ?

En partant, je ne savais pas grand-chose, mais je voulais vérifier cette idée de « vote volatile » à laquelle renvoyaient les discours de gauche et d’extrême-gauche : « D’accord, le FN fait des voix, mais on ne voit pas de militants à Marseille, ce parti n’existe pas sur la ville. » Je devais m’installer pendant plusieurs mois dans un quartier qui avait voté entre 30 % et 40 % pour le FN, et observer ce qui s’y passait.

Tous les soirs je rapportais les faits anodins de la journée. Beaucoup de pages de mes cahiers sont bêtement personnelles et intimes. Pour le livre, je suis repartie des carnets, en m’en tenant à ce que j’avais récolté sur le terrain, sans chercher à prendre du champ. Au moment de la relecture, cela m’a permis de voir mon évolution, et de comprendre comment on s’habitue à un discours. Au fur et à mesure, j’essayais d’argumenter contre, j’avais besoin de mettre noir sur blanc mon désaccord (ce qui ne se posait pas au départ, en janvier 1987). Des liens se nouaient sur place avec certains, de la sympathie naissait — de l’amitié, non, le contexte l’empêchait mais cela aurait pu déboucher sur de l’amitié.

Avant de partir à Marseille, j’avais lu Retour du Front, de Jean Michel Zelig, très intéressant parce qu’il dresse des portraits de militants du FN. Mais il s’agissait de portraits types : l’ancien de l’OAS, le Papon du village, etc. En refermant le livre je me disais : « Je ne comprends pas, si c’est vraiment ça le FN, pourquoi sont-ils déjà 10 % d’électeurs, 4 millions Cela ne fonctionne pas, ce n’est pas un poseur de bombes de l’OAS qui peut séduire tant de gens. Il y a autre chose. J’oubliais que les idées d’extrême-droite sont si répandues qu’elles n’ont pas besoin d’être portées par un militantisme traditionnel tel qu’on le voit à gauche avec banderoles, tracts, affiches, apparitions publiques. Il suffit d’être dans un café et de parler haut et fort, de faire une fête dans un restaurant, sans banderole à l’entrée, pour que les idées passent.

Je ne veux pas minimiser les choses, ni dire que ce ne sont pas des fascistes. Si, ce sont des fascistes ! Mais on peut être très gentille, ouvrière aux abattoirs, et fasciste, comme la Véronique de Au front.

Le quartier de Marseille où vous vous installez en 1987 faisait partie de ces quartiers massivement tenus par le PC ou le PS ?

Oui, mais longtemps auparavant. Le PC battait de l’aile, du fait des licenciements massifs dans les entreprises à la fin des années 1970 ; les sections syndicales disparaissaient. Les partis d’extrême-gauche n’étaient pas présents dans ces quartiers-là, même leurs militants avaient quitté les cités pour des petits pavillons plus en marge. En six mois de présence sur place, j’ai dû voir une seule distribution de tracts, le 1er mai 1987, par des militants CGT, sur la défense de la sécurité sociale... Avant 1984, Gaston Deferre avait tenté avec un certain succès de s’allier avec un petit courant de droite sur le thème de la sécurité. Il y avait eu des batailles autour des maisons de quartier installées par la municipalité socialiste dix ans plus tard, elles étaient plutôt des rouages de la mairie que des lieux d’accueil, les habitants les avaient désertées. Le tissu associatif des quartiers avait éclaté on y traînait, loin du centre-ville. Des bruits couraient sur les bus pris d’assaut par les jeunes.

C’était aussi une période où le discours des syndicats et des partis commençait à coller de plus en plus à celui du FN. On parle pour la première fois de « seuil de tolérance » en 1978, en 1981 le maire communiste de Vitry fait détruire au bulldozer un foyer de travailleurs immigrés, en 1984 Laurent Fabius estime que Le Pen pose de vraies questions auxquelles il apporte de fausses réponses, Pasqua voit en 1988 des valeurs communes entre le RPR et le FN, en 1991 Giscard parle d’invasion à propos de l’immigration, sans oublier le discours de Chirac sur « le bruit et l’odeur » en 1994...

À la fin des années 1980, ce qu’on a appelé par la suite la « lepénisation des esprits progressait fortement, alors qu’en même temps les contre-feux possible étaient très limités. Ils reposaient sur des mobilisations de jeunes Marocains et Algériens d’origine, qu’on a appelés les Beurs, et sur d’autres réseaux qui recoupaient les réseaux anticolonialistes, et qui restaient très minoritaires.

Pendant toute cette période — on l’a un peu oublié — être militant de gauche convaincu passait très mal. C’était la grande époque des yuppies dans les milieux favorisés et, dans les milieux défavorisés, la grande époque du rien, ou alors des marches des jeunes immigrés qui, vers 1984, avaient été cassées par les récupérations socialistes, comme SOS-Racisme.

À l’extrême-gauche s’organisaient des contre-manifestations. Mais elles étaient très mal vues, on disait qu’elles « nourrissaient le Front National, et, n’étant relayées par personne, elles restaient le fait de l’extrême-gauche. Et pour ceux qui étaient de longue date victimes du racisme, cela ne suffisait pas contre le racisme plus profond qu’ils vivaient tous les jours, il fallait faire un autre travail.

À quel moment et comment s’est fait votre départ du Front ?

J’ai quitté Marseille en juin 1987, comme une voleuse. J’ai passé l’été dans mes cahiers et mes tentatives d’écriture. Une fois le manuscrit remis, j’ai envoyé une lettre aux gens que j’avais côtoyés, en leur donnant mon adresse, pour leur dire « Vous vous souvenez de moi En juin, j’étais encore avec vous, voilà en fait qui j’étais, ce que je faisais. Un livre sortira à l’automne...

J’ai reçu des lettres qui essayaient de me convaincre que j’étais une ordure, d’autres qui se contentaient de m’insulter, d’autres encore qui me menaçaient de mort. Toutes étaient anonymes.

Je ne suis pas « sortie » du Front, parce que, quoi que je fasse, cette réalité est toujours là. Mais « sortir » de l’emprise des idées du Front, oui, bien sûr, c’est possible. Le travail d’écriture a facilité cette sortie. Ce n’est pas tant les idées du FN qui m’étaient rentrées dans la tête, que l’inquiétude et l’angoisse des gens que j’avais rencontrés parmi les sympathisants FN. Il fallait se déprendre de cette anxiété, de cette inquiétude sociale dans ces quartiers.

Ras l’Front est fondé en 1990. Qu’est-ce qui fait qu’à un moment quelque chose se cristallise ?

Le point de départ fut « l’appel des 250 », une pétition écrite par Gilles Perrault et une petite vingtaine d’écrivains, publiée dans Politis, qui disait « Leurs avancées sont faites de nos reculs. La profanation des tombes de Carpentras, qui a suscité un énorme dégoût et une manifestation monstre, lui a donné un écho terrible.

C’était l’époque du gouvernement Rocard et des consensus malodorants sur le dos de l’immigration. On avait eu droit à une nouvelle attaque contre les arrivants en France, avec la première remise en question du droit d’asile. Même au sein des associations, il y avait un débat sur la défense de l’asile politique. En fait, il fallait sauver le droit d’asile en expulsant les demandeurs d’asile Puisque c’étaient tous des « faux » demandeurs d’asile, on allait galvauder le droit d’asile. À des représentants de Ras l’Front qui venaient voir la LDH, SOS racisme, le MRAP, pour leur dire « Il ne faut pas que l’on recule sur le thème de l’asile, là on est sommé de faire quelque chose, certains répondaient « Mais on ne peut pas piétiner comme cela le droit d’asile, il faut le défendre, il faut faire le tri, faisons le tri, trions... Ce genre de réponse nous faisait froid dans le dos. Peu après, en 1991, a eu lieu l’affaire des zones d’attente qui a débouché sur leur institutionnalisation.

L’appel des 250 donnait des arguments pour dénoncer le « consensus-le mot est de Rocard-sur le soi-disant trop-plein d’immigrants, et montrait que si le gouvernement allait si loin dans la fermeture de nos frontières, c’était sous la pression de l’extrême-droite.

L’organisation en groupes a immédiatement pris une allure de réseau. Dans la moitié des années 1990, il y a eu jusqu’à 180 collectifs. La manifestation de Strasbourg en 1997 contre le congrès du FN a été un moment de remobilisation et d’élargissement. Avec la scission FN-MNR en 1999, on est rentré dans une période de veille le nombre de collectifs est tombé à 65-70.

Pourtant, fin avril 2002, même nous, on ne croyait pas que Le Pen serait au second tour. En 1984, on nous a dit bien sûr le score s’est élargi par rapport à 1983, mais c’est passager. En 1988, le FN est monté à 15 %, mais on a dit que l’échéance présidentielle était favorable à Le Pen et que ça ne durerait pas. Ensuite, il y a eu les alliances entre la droite et l’extrême-droite. Aujourd’hui on est soulagé qu’il n’aie fait que 18 %... Vingt mille personnes du FN qui montent à Paris en 2002, c’est normal. Il y a vingt ans, ça ne l’était pas.

Je suis surprise que des gens lisent Au Front aujourd’hui alors que ce livre a quinze ans. Il peut donner une impression d’actualité dont il faut se méfier le FN est malgré tout à un degré d’organisation bien supérieur à celui d’il y a une dizaine d’années.

Comment est passé le discours anti-fasciste dans les mouvements sociaux ? Vous avez participé en 1997 dans les semaines qui précèdent les élections législatives à « Nous sommes la gauche » [1]. Pourquoi, de votre point de vue, était-ce réjouissant ?

On garde encore, en 2002, cette drôle d’idée que ce n’est pas l’antifascisme qui viendra à bout du FN, mais la prise en compte des vrais problèmes sociaux d’où le rôle porteur attribué au mouvement social, syndical ou associatif. Mais je pense que les mouvements sociaux doivent avoir une dimension antifasciste, tout comme l’antifascisme doit être lié au mouvement social. Il faut à tout prix que ce que « Nous sommes la gauche » a tenté de faire se traduise par des liens réels et par des actions communes. En face du FN et de la droite, il n’y a toujours pas la cohérence qu’il devrait y avoir.

On a retrouvé ce même défaut dans les AG au lendemain du premier tour des présidentielles. C’était très frappant, beaucoup de gens disaient la même chose, mais comme s’ils étaient les seuls à le dire et essayaient de convaincre les autres.

On a tous une part de responsabilité, même Ras l’Front. Si depuis 1995, on a laissé une large place au « mouvement social » dans notre journal, on n’arrive pas vraiment à constituer des groupes communs. C’est pour cela que « Nous sommes la gauche » me semblait un lieu de courants d’air, parce qu’on y articulait les discours qui nous semblent évidents et que du coup on ne prend pas la peine d’expliciter et de lier.

Êtes-vous favorable à l’interdiction du Front National ?

Ce que j’ai appris, entre janvier et juin 1987, c’est le sens de cette phrase « La nature a horreur du vide. Pendant ces six mois au FN, j’ai compris qu’on ne pouvait pas abandonner le terrain, même si on n’a pas grand-chose à dire contre. Au niveau politique « majeur » c’est évident, mais ça l’est aussi à mon niveau. Et c’est une conviction qui va rester avec moi jusqu’au bout, et dont je ne peux me défaire.

Dans les quartiers Nord de Marseille le FN profitait du vide et prospérait. Dans leurs tournées bi-hebdomadaires des bars, les militants du FN tenaient des propos absolument orduriers au comptoir, en prenant bien soin de ne pas boire d’alcool. Il n’y avait pas de réaction, alors ils en déduisaient : « Tu vois, tu vois, ils sont tous pour nous. », et se sentaient à chaque fois plus forts.

Je ne suis pas pour une interdiction qui tombe d’en haut, mais pour une interdiction pratique, oui, comme sur les marchés. Quand Ras L’Front s’est constitué, c’était avec l’idée d’interdire l’accès au FN, mais pas à coups de bâton ; les gens du collectif du 13ème arrondissement pourraient vous en parler. Pendant longtemps, dans les années 1990, il y avait deux militants du FN qui venaient régulièrement sur les marchés, et le collectif s’arrangeait pour que 4 ou 5 personnes y aillent au même moment pour vendre notre journal. Assez rapidement, il n’est plus resté qu’une petite dame du FN, qui a bientôt fini par abandonner.

L’enquête que vous avez faite est assez proche d’une enquête sociologique. Le FN est aussi devenu un objet de recherche, de sociologie électorale. Que pensez-vous de ces recherches ?

Le phénomène de l’extrême-droite doit être abordé de différentes façons. Mais un travail sociologique et universitaire n’est pas suffisant pour constituer une base de réponse au FN. Je suis d’accord avec le mouvement social, quand il dit « C’est nous qui sommes les porteurs de l’antifascisme. J’en suis convaincue. Dans les quartiers, dans les entreprises, il faut des groupes physiques, en chair et en os, qui portent le langage de la solidarité. Mais sur ce point, il manque une pédagogie suffisamment forte. Le travail politique doit mettre en perspective la mobilisation sur des intérêts particuliers. Si on ne lie pas les deux, on est condamné à avoir des bouffées de mobilisation et un discours politique qui, entre-temps, se désagrège.

Vous êtes professeur dans un collège, comment ressentez-vous l’attitude des profs, cet électorat de gauche qui est de plus en plus perméable aux idées sur l’insécurité, et d’abord à l’école ?

La seule solution, c’est de répondre à chaque intolérance, de ne pas laisser passer d’attitude ambigüe du directeur sur l’exclusion, ou l’entrée des policiers dans le collège, toutes ces choses qui semblent devenir normales. J’entends souvent des choses contre la jeunesse « qui fout le camp. C’est aberrant, comme si ces jeunes gens étaient devenus des étrangers pour les profs, qui pourtant sont quotidiennement en contact avec eux. Des légendes se créent les élèves viendraient armés. Avant, c’étaient les classes laborieuses qui étaient dangereuses, aujourd’hui c’est la jeunesse des banlieues, les immigrés, les chômeurs.

Éduquer, c’est toujours du tâtonnement, et voilà qu’on s’y refuse. Bien sûr qu’on fait des erreurs, bien sûr qu’il y a des enfants qui nous envoient parfois des cahiers à la figure... Bon, et alors, ce n’est pas pour autant que la jeunesse est plus dangereuse aujourd’hui qu’hier. C’est juste une donnée du travail de prof.

Il y a aussi les actions individuelles et violentes face au FN, par exemple celle d’Yves Peirat, qui a plastiqué un local du FN. Dans certaines associations, il y a eu des débats interminables pour savoir s’il fallait ou non soutenir cette action.

J’ai témoigné au procès d’Yves, c’était terrible. Dans la salle il y avait ceux qui le soutenaient et, forcément, des apparatchiks de la fédération départementale du Front. Or tout le souci du juge était d’obtenir des témoins-le sénateur Bret (PCF), quelqu’un de Ras l’Front Vitrolles pour parler de la « douceur démocratique » du FN et André Jurquet, ancien résistant FTP-qu’ils se démarquent de ce qu’avait fait Yves. J’étais là, sommée, avec les fachos dans mon dos, de dire « Non, ce qu’Yves a fait, ce n’est pas bien. C’est quand même incroyable Ce n’est que le reflet d’une situation plus générale, mais là c’était vraiment d’une indécence... J’imaginais ceux du FN derrière nous « Regardez comme nous sommes de bons démocrates...

Le débat posé par l’action d’Yves n’est pas clos, parce qu’on n’en a pas fini avec les contre-manifestations et qu’elles sont indispensables. Contre-manifester devant le FN n’est malheureusement pas une idée partagée par tous ceux qui étaient dans la rue le 1er mai. Pourtant, avant d’en arriver à la confrontation armée, il y a d’autres confrontations possibles.

À quoi tient cette peur des contre-manifestations ?

Au départ, il y a la crainte de ne pas apparaître comme des démocrates. Mais il y a aussi une peur simple, liée à un autre fantasme sur le FN. Encore récemment, j’ai entendu quelqu’un dire à Maurice Rajsfus [2] « Tu n’as pas eu peur d’aller parler à tel endroit Ils ont voté massivement FN. Il faut en finir avec cette idée non, l’expression anti-FN n’est pas dangereuse, ou alors-c’est terrible à dire-elle l’est à la façon du fait divers. Ce ne sont plus les castagnes avec les fachos comme dans les années 1970. Dans les dix dernières années, pour beaucoup de gens reconnaissables à leur peau qui ont été agressés ou tués, il y a eu un militant socialiste agressé-un colleur d’affiches. C’est-à-dire un pour combien Et c’était un affichage isolé, au petit matin, pas une parole ouverte et commune.

Notre difficulté à lutter contre le FN vient du fait que l’on trace une frontière en grande partie imaginaire entre ces Français qui votent FN et nous. Or on est tous dans le même bain. Ils sont victimes comme nous du discours dominant sur la sécurité et sur les étrangers, ils sont victimes de la même absence de réflexion dans les collèges, ils sont victimes du licenciement... C’est cela la frontière faire comme si des hommes n’étaient pas sur le même plan. La frontière, on la retrouve entre Kanaky et nous, entre la France et l’Algérie, et on la retrouve avec les immigrés, qui osent passer la frontière, qui osent dire « Ben voyez, c’est possible. La frontière, ça se traverse, ce n’est qu’une idée.

Clandestine

Comment est apparu le désir de l’enquête qui a donné lieu àClandestine ? Dans le livre vous partez de l’histoire de terres inconnues, en République Dominicaine, et on retrouve cette même notion en France, dans les divers endroits que vous traversez, de lieux à la fois « invisibles » et très peuplés.

Le point de départ de Clandestine, c’est l’envie d’entrer vraiment dans les zones d’attente (qui venaient d’être institutionnalisées en juillet 1992). Les journalistes n’ont pas le droit d’y aller, il n’y a là que les policiers, et les associations ont un mal fou à y entrer. Des avocats du GISTI m’ont raconté les problèmes des gens pris dans cette nasse, l’impossibilité d’appeler à l’extérieur. Je suis partie avec la même idée que pour Au Front et L’autre monde séjourner dans un endroit, prendre le temps d’y vivre. Comme je n’avais pas envie de revêtir un uniforme policier, j’ai inventé cette drôle d’histoire de me faire passer pour Sonia, une demandeuse d’asile dominicaine. Plusieurs rencontres m’ont fait enrichir et dépasser l’idée initiale.

Dans la zone d’attente j’écrivais sur un tout petit carnet que je cachais dans une poche de jean, et là-bas, en République Dominicaine, je trimbalais des carnets que j’envoyais régulièrement en France. J’ai toujours eu la même technique de prise de notes. Une fois sortie de la zone d’attente, j’ai pris des cahiers de brouillon.

Quand j’ai arrêté, ce n’était pas parce que j’avais l’impression d’être arrivée au bout (en France, le bout c’est quoi), ni parce que je m’étais dit « Il faut tenir tant de mois. C’était je tiens tant que je n’ai pas la sensation, vraiment physique, d’avoir touché quelque chose. Et tant que je n’ai pas cette intime conviction, je continue.

Dans le style des enquêtes que j’ai pratiquées, j’ai toujours été dépassée par ce que je récoltais ; il y a un moment où je suis dans un flou complet, je ne sais plus ce que je fais, ni ce que j’entends. Pour Au Front, tout à coup, après le brouillard et l’accumulation des premiers temps, fin mai 1987, j’ai senti que j’avais quelque chose, mais je n’aurais pas su l’organiser si j’avais quitté Marseille à ce moment-là. Ce fut la même chose pour Clandestine. Ces enquêtes sont forcément très physiques, et vraiment pas intellectuelles.

C’est après la sortie deClandestineque vous renoncez au journalisme pour faire le choix de l’enseignement.

J’ai eu tant de difficultés à faire passer ce qu’est l’envie de bouger quand on est haïtien ou dominicain. Je ne m’en suis pas remise. Les gens ne commencent à voir les étrangers que quand ils sont là, sur leur sol un immigré n’a pas de passé. Derrière l’immigré, on voit forcément un misérable, un pauvre hère, mais jamais quelqu’un qui a envie de bouger, d’explorer le monde, de faire sa vie, de la réussir, qui a envie d’avoir un salaire pour s’acheter un walkman.

J’ai participé à plusieurs débats lors de la sortie de ce livre, et les journalistes, ou les amis militants, en revenaient toujours à l’idée que la misère est à l’origine de l’immigration. Quitter son pays c’est mal, les pays d’origine perdent leur substantifique moelle, donc il faut les aider à se développer. Alors que l’aide doit d’abord être une solidarité de lutte. C’est ce qui s’esquisse maintenant dans les luttes contre la mondialisation. Beaucoup de jeunes filles en République Dominicaine, qui migrent surtout vers les USA et vers l’Espagne, trouvent l’argent du voyage en travaillant dans les zones franches, où le salaire est misérable et où elles s’épuisent. Elles le disent quand on commence à travailler à 16 ans, à 24 ans on n’en peut plus. Il y a des gens qui luttent dans les zones franches, justement pour éviter de partir, pour essayer d’améliorer les conditions de revenu, et de vie.

Et les réactions du côté des associations de défense des étrangers ?

Il y a les associations qui, comme France Terre d’Asile, ont été prises en défaut par Sonia, la fausse migrante mais le livre n’a pas été très bien reçu par les autres associations caritatives, comme le Secours Catholique, ni même par la Cimade.

Je pense qu’en 1991 FTDA n’aurait jamais dû accepter les subventions pour ouvrir des foyers destinés aux demandeurs d’asile privés de travail, c’était céder à l’État d’une certaine façon même si j’entends l’argument « on ne pouvait quand même pas les laisser à la rue. Des militants du GISTI expliquaient bien qu’être pris au quotidien par la gestion de tous les problèmes que les immigrés rencontrent en France empêche de faire un travail politique. Mais, tout en étant convaincus que ce n’est pas « la misère du monde qui débarque, ils n’ont pas plus de moyens que d’autres groupes de le clamer haut et fort et de faire reculer le gouvernement sur ce terrain-là.

le silence du fleuve

LeSilence du fleuve, ce livre de témoignages et de photos sur le 17 octobre 1961, est encore une enquête sur un lieu, sur un moment d’occultation, d’invisibilité. Comment avez-vous rencontré cette histoire ?

Il y a d’abord eu des rencontres et des amis Mehdi Lallaoui, que j’ai connu au moment d’Afrique-Asie forcément on a parlé d’octobre 1961, de ce silence, de la blessure que c’était pour lui puis Agnès Denis, une amie de Mehdi, qui avait milité pour la paix en Algérie, et qui se demandait pourquoi la guerre dans les rues de Paris avait été invisible.

L’occultation de cette histoire a été possible parce que les victimes premières n’ont jamais été écoutées. C’est toujours le même mécanisme, et c’est pourquoi j’entends parfaitement Mogniss Abdallah [3] sur la nécessité, pour les communautés qui reçoivent le plus de coups, de se constituer une parole autonome. C’est un processus lent, mais capital, sinon il n’y aura pas d’écho dans l’ensemble de la société. Pour fabriquer cette parole autonome, Mogniss ou le MIB ont souvent été en rupture avec d’autres associations, ils ont travaillé sans trouver de partenaires, de camarades solidaires.

Les partisans algériens du FLN en France n’ont pas été entendus. On les a peu à peu cantonnés dans un discours, les solutions se sont rétrécies pour eux aussi. Puis Mitterrand a amnistié tout le monde à l’extrême-droite. Tout cela a constitué le terreau, pas uniquement social, du FN. Et ces histoires ne sont pas encore réglées aujourd’hui, ce ne sont pas les articles sur la torture qui règlent le fond de l’affaire coloniale. Pardon de le dire, mais le colonialisme commence bien avant la torture.

Est-ce que la vision héroïque et fausse de la Résistance portée par le PCF et les gaullistes, et le silence des partis de tous bords sur le colonialisme, n’ont pas permis au FN d’occuper le terrain, de manière fantasmatique ?

J’en suis convaincue. La ville de Marseille est forcément touchée par la guerre d’Algérie, dans la mesure où elle a accueilli énormément de pieds-noirs. Dans les bars et dans les fêtes, les militants FN refaisaient constamment leur guerre d’Algérie, en donnant leur version et leur façon de régler le problème, et on n’entendait aucun autre discours.

Les gens qui se sont battus pour l’Algérie indépendante se sont fait jeter de partout, y compris du PCF. Les gens qui ont fait de même pour la Nouvelle-Calédonie ont été minoritaires. Quand on dit que le FN a une audience qui dépasse son électorat même, c’est parce que la question coloniale en France n’a jamais été portée massivement par la gauche. Le courant anticolonialiste français, qui réapparaît chaque fois qu’une colonie se bat, a toujours été extrêmement minoritaire. Ce sont des gens très divers qui s’affirment souvent contre leur milieu ou contre leur organisation. Au XIXème siècle déjà, à part Louise Michel, peu de déportés de la Commune comprennent ce qui est en train de se jouer en Kanaky. La plus grosse manifestation de soutien à Kanaky, c’est 6 000 personnes en janvier 1985, quand Edgar Pisani a fait tirer sur Eloi Machoro, le leader kanak qui avait ré-initié en 1984 la mobilisation indépendantiste.

l’autre monde

La Nouvelle-Calédonie vous était familière depuisAfrique/Asieet vos contacts avec le comité Kanaky. Vous y partez en juin 1988 pourquoi à ce moment précis de l’histoire des luttes kanaks ?

Aux élections présidentielles de 1988, le FN se présente et fait de très bons scores, près de 15 % au premier tour. C’est la cohabitation entre lesdeux tours, Mitterrand et Chirac vont se livrer à une course effrénée pour récupérer les voix de cet électorat. En insistant principalement sur deux points les otages au Liban, et Kanaky. Les Kanaks refusaient de participer aux votes nationaux français, et se mobilisaient contre le gouvernement français en réclamant une fois de plus l’indépendance. Pour montrer que la nation française ne se laisse pas défier, on envoie l’armée à Ouvéa, où des gendarmes ont été pris en otages dix-neuf personnes sont tuées.

Pour moi, qui venais du FN et ressentais le poids de sa montée électorale sur nos choix profonds de société, cet entre-deux tours en a été une horrible démonstration. Par réaction, sur une impulsion, je me suis dit que je devais aller en Kanaky, pas pour interviewer des militants, mais pour partager la vie et le travail des tribus.

Je voulais aller là où le colonialisme sévit, là où on le vit vraiment. Il ne s’agissait pas de raconter la torture - d’autres journalistes en France l’avaient fait, et bien. Les tortures ne sont que la partie la plus purulente du colonialisme, en deçà il y a immensément de choses que la République liberté-égalité-fraternité pourrait dénoncer.

Sur place vous observez comment la gauche au pouvoir traite la question kanak.

Ce qui est encore aujourd’hui ressenti de façon très douloureuse, c’est le massacre d’Ouvéa, et aussi les effets néfastes de la politique de négociations qui a débouché sur les accords de Matignon. Le FLNKS a été délibérément cassé, non pas par le massacre, mais par la politique de Rocard, celle d’un État qui a su tirer les enseignements de la guerre d’Algérie. Par exemple le plan de Constantine, lancé par De Gaulle en 1958 (mais pas appliqué) pour essayer de rééquilibrer (c’était déjà le mot à l’époque) les communautés algérienne et européenne sur le plan économique et social, ce plan a parfaitement marché en Kanaky. Parce que l’État s’est vraiment donné les moyens de l’appliquer, en déversant des sommes d’argent faramineuses, mais sur certains Kanaks, pas sur le peuple Kanak, ce qui a cassé la mobilisation.

Les accords de Matignon ont permis la construction de quelques routes, la création d’administrations, mais n’ont pas permis que la plupart des tribus aient l’électricité, et des enfants crèvent toujours parce qu’au moment des pluies la rivière est trop haute pour qu’on puisse les emmener chez le docteur. Ils ont aussi favorisé le développement d’une corruption terrible. Mais ils ont surtout provoqué une division profonde dans le FLNKS, une cassure comme on en connaît peu d’exemples en France. En avril 1989 en Kanaky, la parole ne circulait plus, et on sentait bien que la tension et la haine montaient à l’intérieur de la communauté kanak, principalement entre deux camps, bien qu’en réalité ce soit plus complexe que cela.

Je suis restée de juin 1988 à mars 1989. À la fin de mon séjour chaque camp me sommait de prendre parti mais pour quelqu’un de passage c’est impossible. Ou alors il aurait fallu que je reste, mais je ne voulais pas devenir caldoche.

C’était devenu extrêmement douloureux pour moi de voir des gens que j’avais connus unis en 1988 se déchirer à l’intérieur du mouvement kanak. Je suis partie un mois avant l’assassinat, le 4 mai 1989, des deux principaux leaders du FLNKS, Jean-Marie Tjibaou et Yeiwené Yeiwené, par Djubelly Wéa. Je ne savais pas que cela allait se traduire trois semaines plus tard par des meurtres, par du sang, mais la tension était insoutenable. Je n’ai pas écrit tout de suite, les petits carnets sont restés longtemps enfermés.

Comment votre livre a-t-il été accueilli à sa parution ?

Le livre n’a pas été du tout entendu il y avait eu les accords de Matignon et un référendum avec 60 % d’abstention, et puis on voyait des spots publicitaires montrant Jacques Lafleur (le leader du RPCR, qui est le RPR local) et Jean-Marie Tjibaou avec des colliers de fleurs autour du cou, et la fameuse poignée de mains avant la signature des accords. Voilà, la guerre était finie. Et la mort de Jean-Marie Tjibaou est passée comme ça. Michel Rocard a pleuré à ses funérailles, et pour moi ce sont les larmes d’un assassin...

Quand je dis que Rocard est un assassin, c’est parce que sa politique avait pour but de couper à la racine les raisons d’être du mouvement kanak et la solidarité intérieure. Les accords ont été signés à la fin du premier semestre 1988, et Jean-Marie Tjibaou est allé les présenter au congrès du FLNKS. Il se tenait dans une prairie sous un auvent fait à la hâte les gens disaient « Mais ce n’est pas ce qu’on veut., Jean-Marie répondait « On sait, mais c’est ça ou la guerre. Il y avait eu une pression très forte sur les leaders kanaks « Vous acceptez les accords de Matignon, de toute façon vous savez bien qu’il n’y a pas d’issue. Le gouvernement n’était pas prêt à mettre un mouchoir sur les revendications des blancs installés sur place, pas seulement les caldoches, qui sont là depuis des siècles, mais les z’oreilles, ces métropolitains fraîchement arrivés qui touchent double salaire et que cela ne gêne pas du tout d’être dans des collèges et des lycées où il n’y a pas un seul enseignant kanak.

Quand Jean-Marie Tjibaou disait : « C’est ça ou la guerre., on voyait les nuques se raidir ce peuple venait de voir ce que c’était que la guerre. Ce n’est pas gros, une communauté de quelques dizaines de milliers de personnes. Comment faire le pari d’un guerre ouverte quand on est 70 000, et qu’il y a encore des vieux qui se souviennent qu’on a failli disparaître dans les années 1920, où la population kanak était tombée à 21 000 à la suite de maladies apportées par les colons, de la désorganisation des cultures, de l’invasion de l’alcool, du recul de l’agriculture kanak ? C’était très présent dans la mémoire du FLNKS à l’époque.

Cette histoire, vous la connaissiez lorsque vous arrivez en Kanaky ?

Non, juste par les livres. Mais c’est une chose de lire ça, et une autre de l’entendre dans la voix d’un vieux-on sentait la mort passer. Ce sont les individus qui me faisaient vraiment toucher du doigt ce que c’est qu’un peuple. Je n’ai pas senti ça ailleurs, une identité collective qui n’est pas uniquement culturelle, une façon de vivre qui reste très forte.

Vous y êtes retournée depuis ?

Non. Après les trois morts de mai 1989, Djubelly Wéa, Jean-Marie Tjibaou et Yeiwené Yeiwené, la parole, qui était déjà difficile entre les différents groupes, est presque devenue impossible. Et vis-à-vis de moi, qui étais partie, il y a forcément eu des rejets violents.

Mais je sais que j’y retournerai. Nous avons eu des contacts par lettres, très épisodiques car ce ne sont pas des fervents de l’écriture, mais je sais aussi que ces silences-là ne sont pas graves.

Je ne sais pas s’il y aura encore une lutte pour l’indépendance. Mais les enfants de dix ans que j’ai connus au moment de la grotte d’Ouvéa ont aujourd’hui 22 ans et ce n’est pas quelque chose qu’ils peuvent oublier, c’est trop fort. Il ne faut pas croire que c’est réglé. C’est tout un peuple qui a cette mémoire là, celle des dix-neuf morts d’Ouvéa. Cela va ressortir, cela s’est déjà produit. Les luttes de la fin du XIXème siècle ont été cassées violemment, mais cela n’a pas empêché le mouvement de ressortir.

D’ailleurs avant le premier tour de l’élection présidentielle, il y a eu des prises d’otages de gendarmes, on n’en a pas trop parlé. Ce n’est pas indifférent que ça se soit passé justement quelques jours avant les deux anniversaires, celui du massacre d’Ouvéa le 5 mai 1988 et celui de l’assassinat de Jean-Marie Tjibaou le 4 mai 1989.

En France, on n’en a plus parlé après, sauf Edwy Plenel dans son livre [4], et à l’autre bord des émissions à la gloire des négociateurs. L’absence d’échos de la lutte, entre 1997 et 1998, et pour le dixième anniversaire en 1999, a été très pénible à vivre.

Avez-vous le sentiment qu’il y a d’autres événements qui vous appellent aujourd’hui ?

Non... ils ne m’appellent pas, ils me tombent dessus. Mais ce ne sont jamais des événements, il y a toujours des hommes et des femmes qui jouent les intermédiaires. Mehdi Lallaoui, ou Michel, ce cinéaste qui venait de Kanaky, et d’autres. Il y a toujours des passeurs, ce ne sont pas des prises de conscience intellectuelles. Je crois qu’on a tous des passeurs. Ou bien on est soi-même directement impliqué, concerné, révolté, ou bien la révolte nous est communiquée par quelqu’un qui la tient dans ses mains, qui nous la passe.

Et pour comprendre, il faut que je me mette un peu à la place, physiquement, pour prendre un peu avec moi.

bibliographie Anne Tristan

  • Au Front (Au vif du sujet, Gallimard, 1987). Cette édition, comme la réédition Folio 1991, est épuisée. Le texte intégral est disponible sur le site de Vacarme.
  • L’autre monde, Un passage en Kanaky (Au vif du sujet, Gallimard, 1990)
  • Le silence du fleuve, Octobre 1961 (Syros-Au nom de la mémoire, 1991)
  • Clandestine (Au vif, Stock, 1993)

Notes

[1Lancé après la dissolution de l’Assemblée Nationale, en avril 1997, Nous sommes la gauche interpellait la gauche officielle et rassemblait autour d’un manifeste des associations issues du mouvement social.

[2Maurice Rasjfus, historien, ancien président de Ras l’Front, fondateur de l’Observatoire des libertés publiques, a publié récemment La rafle du Vel d’hiv’ (Que sais-je, PUF 2002) ;Opération étoile jaune (Le Cherche Midi éd., 2002) ; Les Français de la débâcle juin-septembre 1940, un si bel été (Le Cherche Midi éd., 1997) ;La police hors la loi (Le Cherche Midi éd., 1996)

[3Mogniss Abdallah est le fondateur d’IM’media, agence de presse de l’immigration et des cultures urbaines. Il a publié J’y suis, J’y reste (éditions Reflex, 2000) et réalisé plusieurs films dont Douce France, la saga du mouvement beur (1992) et La Ballade des sans papiers (1996). Voir IM’media, l’immigration par elle-même Vacarme n°17

[4Edwy Plenel et Alain Rollat, Mourir à Ouvéa. Le tournant calédonien (La Découverte/Le Monde 1988)