avant-propos

par

« Mon pays : [...] La défense, l’intégrité et la sécurité de ces trois espaces terrestre, maritime et aérien sont l’objet de préoccupations constantes de la part des pouvoirs publics. » [1]

Depuis vingt ans, l’espèce d’espace de Perec s’est déformé : la frontière s’est détachée du territoire et n’en marque plus la limite, visant moins à protéger qu’à identifier, trier et délimiter les individus, dont la circulation sera contrôlée en amont, avant même qu’ils n’entrent sur le territoire. Il s’agit de cartographier les flux, de les gérer, d’en accélérer le mouvement : plus qu’à enfermer, la loi française sur les zones d’attente vise à faire circuler le plus rapidement possible.

Les règles se concentrent sur ceux qui doivent être exclus, selon une logique « pro-active » qui intervient avant l’infraction (l’entrée sur le territoire) par le recueil d’informations anticipant les comportements. Un arsenal de fichiers, tant nationaux (SIRENE) qu’européens (SIS, Eurodac, Europol, etc.) aident à mettre en place ce contrôle social, où le policier prime sur le judiciaire. Au panoptique, ces dispositifs ont substitué un « ban-optique » [2].

Depuis vingt ans, tant les états que l’Europe ont déployé une énergie considérable pour développer ce contrôle. Le droit des étrangers, de discipline policière est devenu une spécialité valorisante. Auto-allumage de la production de textes réglementaires : Dublin I est un échec et Eurodac un fichier liberticide, on met en chantier Dublin II, dont l’application reposera sur le même Eurodac. La France réactive les zones internationales des aéroports, supprimées en 92, où errent les demandeurs d’asile que la police refuse de voir.

Nouvelles activités de police et d’administration, nouveaux concepts juridiques (reconduite à la frontière, rétention), nouvelles pratiques (les « contrôles-passerelle »), nouveaux lieux, aussi. Le reportage photographique réalisé par Olivier Aubert sur le « centre d’accueil et d’hébergement de Sangatte », publié dans ces pages, permet d’en entrevoir la singularité (ni centre de rétention, ni zone d’attente, étrange organisation du transit), c’est-à-dire, pour ceux qui y attendent, l’aberration [3].

Quelle place, dans ces conditions, pour la simple hospitalité ? Les textes qui suivent montrent que non seulement l’asile a cessé d’être une exception aux frontières mais qu’il est devenu un moyen de les maintenir, dans leurs formes nouvelles. Ces textes et ces photos témoignent aussi, par la pratique de leurs auteurs, de l’énorme énergie déployée, dans les collectifs, les associations, les réseaux, parfois en vain, mais toujours arc-boutée sur ce principe d’inconditionnalité que, après d’autres, Nous sommes la gauche réaffirmait en juin 97 : « Parler de droits inconditionnels, ce n’est pas élever des revendications jusqu’au boutistes : c’est inverser la logique qui voudrait que l’on commence par renoncer, que l’on pose des limites avant même d’avoir affirmé ce que l’on croit être juste. C’est refuser d’être raisonnable, si la raison consiste à prendre ses habitudes et ses vieux tics pour les contraintes définitives du réel. »

Notes

[1Georges Perec Espèces d’espaces, Galilée 2000

[2Didier Bigo Identifier, catégoriser et contrôler : police et logiques pro-actives in La machine à punir (L’esprit frappeur, 2000). Voir aussi les archives de Cultures & Conflits