L’UE pour les nuls

L’UE marche sur trois pieds, ses trois piliers institutionnels : le Conseil, le Parlement, la Commission. Certes ses institutions sont un peu complexes. Mais cette complexité tient peut-être avant tout à ce qu’elles sont différentes des institutions françaises, et à l’écart entre la très classique division des pouvoirs et les contours des trois institutions.

La Commission est une administration, mais contrairement à celle d’un gouvernement, elle ne joue pas de rôle dans la mise en œuvre des politiques. Ce sont les États qui en mettront l’essentiel en œuvre. Elle s’éloigne donc de ce que peut être un pouvoir exécutif. C’est peut-être la plus purement européenne des institutions, mais aussi celle qui n’a pas de mains. Elle compte vingt-huit commissaires, un par État-membre, qui détiennent chacun une aire de responsabilité politique et sont épaulés d’une imposante armada administrative. C’est une machine à produire et à digérer de l’analyse, à préparer des textes législatifs mais aussi de la « doctrine » (livres verts, livres blancs, communications de la Commission…). Elle le fait avec une incroyable efficacité.

Le Parlement est une instance législative. Il partage la prérogative de faire des lois avec le Conseil. C’est l’institution la plus éloignée de l’inter-gouvernemental et la plus transnationale, avec ses partis multinationaux [1] et ses 766 élus au suffrage universel direct. En cela elle est très fortement européenne. Un peu faible encore dans le processus européen, le Parlement ne cesse pourtant de monter en puissance depuis sa création. Depuis peu, une procédure d’initiative a levé le monopole de la Commission en matière de préparation de textes et a introduit, comme c’est le cas en France, la possibilité pour le Parlement de proposer des lois (émanant du Parlement) à côté des projets de lois (préparés par le gouvernement) : s’opère ainsi une lente et constante montée de l’institution parlementaire dans l’Europe communautaire.

Le Conseil européen regroupe les chefs d’État de l’UE. C’est l’institution chargée de définir les priorités de l’UE, qui émane des États-membres. La moins évidemment européenne, la plus hétérogène dans ses intentions et ses intérêts, la plus intergouvernementale, et d’une certaine façon, si on se rapporte aux évolutions de l’UE au fil du temps, la plus archaïque. Mais c’est celle qui ressemble le plus à un exécutif dans la mesure où ces mêmes États, on l’a vu, seront chargés de mettre en œuvre les politiques qu’ils auront co-définies. Et le Conseil participe — ce qui pour des Français est troublant — au pouvoir législatif. C’est aussi une part peu transparente du dispositif européen : le Conseil a très peu de visibilité dans l’espace public, si ce n’est lors de mises en scène ponctuelles qui ne disent rien de ses positionnements ou de ses activités. Les positions qu’il avance face aux autres institutions ne sont quasiment jamais rendues publiques, ni par les journalistes, ni par les gouvernements. Obscurité qui ajoute, sans doute, à l’imprévisibilité de ses tensions centrifuges.

Comment se produisent des politiques dans ce jeu à trois voix ? La Commission fait des propositions de nouvelles législations. Ces textes sont ensuite envoyés au Parlement et au Conseil européen. Le Parlement les étudie, les critique, les amende ; le Conseil européen travaille de son côté sur les mêmes textes. Au Parlement la machine administrative se met en branle. Des députés, leur armada d’assistants et de conseillers fabriquent en quelques mois une contre-expertise. Au bout d’un processus à la fois complexe et très calibré institutionnellement, le texte est modifié et voté, par la Commission parlementaire en charge du dossier, puis par le Parlement en plénière. Puis le trilogue commence. Il s’agit pour les trois institutions de se mettre d’accord. Dans la négociation, la Commission est représentée par la Direction générale chef de file sur le dossier, une parmi la trentaine de Directions générales qu’elle comprend. Le Parlement est incarné par le rapporteur du dossier : un député, lui-même à la tête d’une équipe composée de représentants de chacun des groupes politiques. Si la règle et l’éthique veulent que cette équipe soit alignée sur les positions votées en plénière par le Parlement, elle n’en est pas moins composée d’élus aux vues politiques divergentes, ce qui peut entraîner quelques coups bas. Le Conseil est représenté par les diplomates du pays qui préside l’UE au moment des débats (la présidence change tous les six mois), mais il dispose de ressources administratives propres. Ses positions sont celles des États, négociées entre eux lors des réunions du Comité des représentants permanents des États (Coreper) ou par des fonctionnaires qui prennent leurs instructions de leurs ministères respectifs.

Une forteresse imprenable ? Peser sur les choix n’est pas simple. La structure institutionnelle est complexe, et elle fait la part belle aujourd’hui à des logiques gouvernementales difficiles à contrôler. Mais il ne s’agit jamais que de politique — c’est-à-dire de rapports de force. Dans ce contexte, élire des députés européens est une façon pour le citoyen d’investir le champ politique. Pour les activistes, la Commission sera la cible la plus évidente, parce qu’elle produit les projets de textes et parce qu’elle a les ressources qui permettent d’aller dans les plus infimes et les plus techniques détails d’une proposition de loi — détails dans lesquels niche le diable et que peu ont les moyens d’analyser et de commenter, si ce n’est les lobbies industriels et, dans une moindre mesure, une poignée d’ONG internationales. Mais on peut aussi investir le Parlement : le traité ACTA (Anti-Counterfeiting Trade Agreement) qui visait sous couvert de lutte contre la contrefaçon à renforcer les droits de propriété intellectuelle au prix de mesures fortement liberticides, a été rejeté en 2012 par le Parlement quand les citoyens ont utilisé les mêmes méthodes que les lobbies industriels, envahissant les boîtes aux lettres et appelant leurs députés pour leur dire quoi voter. Enfin la grosse machine est poreuse et les informations remontent, autant que les influences, par capillarité et selon de multiples canaux : experts nationaux et internationaux, évaluateurs de programmes, corps plus ou moins constitués, partis politiques, débats nationaux influençant les positions défendues par les États-membres au Conseil et par les députés au Parlement européen… Comme partout ailleurs il faut trouver les canaux d’expression, de critique, d’expertise pour faire valoir des positions plurielles. Il n’y a pas de fatalité à ce que l’UE mène exclusivement des politiques de droite.

Notes

[1Parmi lesquels le Parti Populaire Européen (PPE), l’Alliance progressiste des socialistes & démocrates (S&D), les libéraux (ADLE), les Verts/ALE, la gauche unie (GUE), etc.