Vacarme 18 / Chroniques

Tout début du troisième millénaire

par

Dans la nuit du 6 janvier 2001 un ancien de mes étudiants devenu entre-temps un ami tout juste âgé de trente-cinq ans se déshabilla entièrement et s’enfonça dans mon lit pour se presser contre moi moins de six mois plus tard se referma cette parenthèse j’entrai dans ma cinquantième année et

c’est le pas au-dessus du plancher défoncé qui est décisif de la planche à claire-voie à l’entrée de la salle de bain il fallait enjamber une claie de planchettes pour pénétrer dans la salle de bain qui fait aussi wc et j’y vais toujours beaucoup parce que je suis nerveux je bois de l’eau et je fume des cigares bon marché chaque fois que revenait cette histoire de soirée ratée avec cet autre au profil de poire platie il fallait trinquer avec nos verres d’eau et les boire cul sec histoire de noyer échoués sur la rive les mots jaillis du fond du gosier le silence de quelques secondes joyeuses la claie dessus les lattes pourries effondrées communiquant avec les occupants du dessous des scarabées heureux arpentant les raies du plancher d’en dessous autour d’un gosse à l’air accablé en imperméable ni blanc ni jaune un drôle de chapeau sombre sur la tête je m’appelle Charly bredouillait-il inaudible le regard fixe sur tout ce qui passe à sa portée attendant ce moment du pas qui surnage et qui menace de se dérober entraînant le corps derrière lui une chute de la valeur d’un étage dans un monde parallèle juste plus bas baigné d’une autre lumière ou bien qui s’élance pour l’enjamber saisi par la peur des précipices ce vertige chercher un pull pour se couvrir et ne pas risquer de prendre froid reprendre sa place ou décoller d’un doigt l’écorce d’une mandarine glisser chaque quartier du bout de la main la forte odeur pincée sous les ongles celle qui chasse les chats mraou vexés les mots au sec dans le conduit de l’oreille si quelqu’un est en train de vous dire quelque chose d’important à continuer dans le silence et la peur de tomber la démarche titubante hésitant devant la claie à claire-voie avec cette envie nerveuse de se soulager et de revenir tenir sa place dans le dialogue répondre par une blague et lever son verre pour profiter du silence s’étirer comme un chat souple et sentir subtil le sang refluer vers les joues et beaucoup plus bas picoter l’entre-jambe en toute innocence agité d’un tic nerveux bien connu une moue des lèvres pour envoyer un baiser de mauvais garçon comment pouvais-je avoir cet air canaille et vulgaire et sourire avec les yeux plissés une invite à un baiser de chat dans les poils de la barbe et plus bas dans le cou ou juste humide sur les lèvres serrées une pichenette sur le nez pour brouiller les pistes les traits du visage la simple présence de ce copain de plus de quinze ans qui voulait être enveloppé dans mes bras lissé comme un moineau les yeux vrillés dans les miens m’arriverait-il de l’effaroucher d’un revers de la paume d’une main lovée en queue d’aronde sur son crâne crissant de petits cheveux ras saisir et secouer son menton l’assentiment vaillant je ne sais pas si ça me fait plaisir mais ça ne m’embarrasse pas simple continuant les discussions de quinze ans les bourrades verbales pour atteindre au moelleux de son esprit maintenant d’autres organes étaient concernés prenant le relais augmentant le domaine un courant alternatif dans les veines celui qui prévient les troupeaux qu’au delà ne s’étend plus le pré autorisé calme cadence acheminée j’étais bien pris au piège de cette affection on a le droit de s’obstiner et de formuler sans s’offusquer soi-même à ce moment précis de l’équilibre au-dessus du gouffre piloté par l’équilibre inscrit dans chaque muscle relayé par les battements espacés du cœur ceux de la marche lente on ne voyait à travers les lattes effondrées qu’un noir mat attirant retentissant des pas précis des scarabées une seule idée en tête joindre dans leur marche les points d’un canevas de pas désœuvrés trottinés à l’aune des sentiments ordinaires mais le jeune colombo à l’imperméable informe attendait patiemment avec ses gestes doux et incomplets les scarabées arpentant le réseau des artères ouvertes sûr et certain de ne pas être en reste avec ses mots trempés de chaux vive rien à côté des propositions vivantes et romantiques tu peux faire de moi ce que tu veux je ne vais pas me dérober comme ce mijauré ce poire platie vieux dégueulasse tu t’approches en douce de mon sexe replié mou alors fais-le une algue flottante à l’aplomb de mon ventre moite si tu veux je vais avoir mal je ne l’ai jamais fait je ne sais pas j’en ai rêvé possédé par le cul traversé délicatement caressé par un autre homme ce n’est pas facile ça n’a pas été si facile pour moi de te le dire mais je m’en fiche maintenant blotti nu contre toi merci de me serrer je n’ai pas rejoint poire platie dans son lit ce soir-là à Vieuxville tant mieux je lui aurais bien foutu sur la gueule à cause de cette torture et parce qu’il te faisait tellement d’accord mais reviens vite j’ai froid dans le sac de couchage pourquoi devais-je écouter son monologue dévidé les yeux clos passer ma main autour de sa taille les doigts jouant dans le fin duvet rare au-dessus de ses fesses amical je fais le père c’est plus facile je me disais ce soir si je n’entre pas dans son lit si mon courage à deux mains si maintenant c’est dit c’est fait puisque je suis là il n’est pas même question que je le renvoie demain je ne regretterai rien c’est réfléchi mûri dis-moi ce que tu attends dans mes bras amicaux offert passif de l’autre côté de la claie de planchettes les doigts des mains inactifs inexpérimentés sûr de son coup sans aucun doute dans la candeur laiteuse du cadeau de chair fraîche toi ou un autre autant que ce soit toi tu m’as bien regardé ce soir-là j’ai remarqué sa peau douce que je n’avais jamais caressée des cinq doigts de la main ni du bout de mes lèvres respirer un grand coup avaler une gorgée d’air mais surtout préoccupé de chasser de mon champ de vision ce visage laiteux vaporeux en lambeaux le gosse Charly à l’air accablé en imperméable ni blanc ni jaune un drôle de chapeau sombre sur la tête le regard fixe les petits yeux des billes d’acier lourds sans reflets une présence flottante dans un imperméable et un chapeau mou sur le crâne des demi-gestes arrêtés dans leur course comme ses demi-mots à peine audibles traversant la barrière du sourire trop jeune pour être moi et pourtant poursuivant un dialogue familier de questions insistantes les cendres de lessive les caillots de charbons de bois racornis calcinés comme s’il était monté de l’étage en dessous faufilé à travers les planchettes et installé confortablement sans gêne dans la conversation hésitant sur chaque mot dans une langue rugueuse et assourdie un renvoi de nourrisson s’étouffant de lait tiède sentant le caoutchouc de la tétine

Je me suis endormi et plus tard dans mon sommeil apparut mon amoureux précédent perdu de vue depuis quatre ans

avec moi dans une grande pièce nue la porte à double battant côté jardin ouverte sur une antichambre le mur tourne du côté cour sur la droite au lointain une porte vers le milieu plus petite que celle de la pièce où nous nous tenons huniers foulant le pont trinité de clartés italiennes mur diagonal de l’antichambre haute ouverture carrée en découpe précise des rayons jusque dans la grande pièce une haute fenêtre allongée sur le mur de gauche fait entrer une lumière douce qui conduit à penser que cette fenêtre ne donne pas directement sur l’extérieur mais sur une coursive ou une loggia chute de lumière sur le parquet sous la fenêtre un triangle d’ombre dans lequel nous nous tenons assis côte à côte appuyés contre le mur pieds nus à la limite de la découpe du mur de l’antichambre je réfléchis agenouillé décalé devant lui profil surligné d’un liseré brillant tête ciselée par la lumière visage baigné de gris bleuté ailleurs arrière levant de voiles froissées claquées lumière faible et diffuse murs de couleur crème plancher doré lumière chaude couleur orangée presque pâle galbe silencieux durée coulée le bruit si distinctement qu’on finit par l’imaginer d’une goutte tombant d’un robinet qui fuit s’évanouir dans un son mat à la surface d’une bassine retour sur les événements de ce dernier mois il me dit que je n’ai certainement pas compris son état d’esprit ni l’espèce d’énervement qui l’agitait il m’en donne la raison il m’avoue avoir rencontré une certaine « Sand » ou « Sandy » ou peut-être encore « Sandrine » le refrain de Gainsbourg « sea sex and sun » me trotte dans la tête depuis l’après-midi et se résume dans ce prénom ensablé je réagis comme si j’étais accoutumé à ce genre de révélation pétrifié par une vague froide et calme dont l’effet affleure à la surface de mon visage un timide sourire les paupières à peine un peu lourdes sur mes yeux clairs j’accepte de mon mieux ce coup du sort censé transformer toute ma vie j’essaie de rester et far buona figura mes paroles contredisent pourtant cette conscience que rien ne sera plus comme avant puisque je lui explique que ça n’est pas important pourvu qu’il m’ait dit ce qu’il se passait je me suis agenouillé décalé devant lui le haut du corps droit reposant sur mes talons bras le long du corps en angle droit jambes repliées cuisses serrées mon visage m’apparaît clairement mes sentiments en sculptent les traits de l’intérieur modelant la chair grise et bleue des joues le menton fragile le front vaillant le sourire qui s’efforce d’être compréhensif l’eau sans consistance des yeux le triangle lumineux me tient prisonnier dans la posture mentale équivalente-poule saisie de frayeur par une ombre et le bruit de pas qui s’avancent le mouvement en arrêt les ailes déformées déboîtées acérées figées hors norme anatomique un homme jeune pieds nus longe la courbe du mur de l’antichambre poitrine creuse petit vêtement léger sans manche ouvert sur le torse jodhpurs de toile écrue entre gilet et taille sa peau mate oreille ourlée de cheveux courts bouclés noirs l’image que je me fais d’un ami mort sa ressemblance à peine si ce n’est lui c’est donc son frère un vieil adolescent silhouette de personnage de bande dessinée maladroit et embarrassé par son corps maigrelet dans la découpe de lumière son corps obscurci profil surligné d’un liseré brillant tête ciselée molle par les rayons je reconnais l’enquêteur de la veille Charly mais il est tête nue les doigts serrés au collet d’une serviette de bain inerte au bout du bras en fait son imperméable coquille d’œuf lancé sur l’épaule le long du bras en balance à l’épaule la jambe nue cou du pied nu il le lance sur son épaule et s’arrête devant la petite porte en nous regardant je vous dérange il forme avec nous un autre triangle il semble dire quelque chose peut-être ne fais-je que penser qu’il bredouille excusez-moi êtes en train de parler ou tous les deux vous parlez je ne voudrais pas ou je n’arrive pas au bon moment êtes en train de parler tous les deux derrière trottine et le dépasse un petit chien toute petite tête de cocker corps en forme de cornue sur pattes tacheté museau rose il l’accueille de la main que le cocker lèche comme un chat je flatte le cocker à contrecœur essayant d’éviter que son maître ne s’attarde et je n’arrive pas au bon moment êtes en train de parler tous les deux ne pas lui laisser voir que j’assiste à sa gêne il rappelle son chien et entre dans la salle d’eau comme dans le bureau d’une agence où j’ai rendez-vous tout à l’heure avec lui il a tout son temps mais je ne dois pas en profiter je ne dispose plus que d’un très court moment je reviens vers mon interlocuteur le personnage de l’ancien fiancé pressé d’en finir nous changeons d’espace et occupons le bord de l’image accotés au vide nous parlons de façon plus animée il s’agit d’une véritable explication nos relations il veut les caractériser et me dit qu’il va employer un mot trop fort mais juste malgré tout ne prends pas ce que je vais dire ou ce n’est pas ce que je veux dire ou ce que je vais dire est une caricature mais c’est pour te faire comprendre son visage est animé et il passe une fois très vite sa main devant sa bouche sans l’effleurer en agitant les doigts comme pour effacer par avance les mots qu’il va dire je suis prodigieusement intéressé depuis un moment « nos relations sont bio » il cherche un instant en guettant ma réaction et ajoute « pourries » je comprends immédiatement ce qu’il veut dire l’expression juste si juste et à propos qu’elle dénoue toutes les tensions cette explication me fait sourire et le met de bonne humeur mais j’ai l’impression une seconde d’être en face du lieutenant Charly ou qu’il a pris sa place usurpé l’identité d’imperméable chapeau mou billes d’acier qui exhale ses mots de bouillie blanche prédigérée je me prépare à être furieux mais ce n’est pas ça il dit « bio-pourries tu comprends » puis esquisse un mouvement assis les genoux pliés dans le fond d’une barque un tambourin à bout de bras décrivant un quart de cercle latéral du dessus de sa tête jusqu’à son côté droit et sa main gauche le fait résonner en cadence je connais le jeu qui consiste à essayer d’atteindre le tambourin en déjouant la vigilance de l’adversaire forcé de le rendre s’il perd jusqu’à ce qu’un de ses coups victorieux fasse une fois encore changer le tambourin de mains et ainsi de suite mais je n’y joue pas je rejoins mon rendez-vous ce gosse à l’air accablé en imperméable ni blanc ni jaune un drôle de chapeau sombre sur la tête le regard fixe le gamin malingre au visage gris qui m’attend derrière son bureau de nouveau coiffé de son chapeau mou enveloppé dans son imperméable de ses lèvres sortent des mots que je n’entends pas des raclements qui ne veulent rien dire le blanc des yeux a entièrement disparu les pupilles grises métalliques occupent toute l’orbite et lui donnent un air de robot puis il se lève et se déplace dans le bureau je vois que l’hémisphère droit de son cerveau n’envoie pas correctement les ordres à sa jambe gauche elle traîne ou s’ébranle par à-coups il fait des gestes ronds sans aller jusqu’au bout des courbes suspendant ses intentions dans l’air au milieu d’une phrase

Je me réveille en sachant que mon veuvage a pris fin j’ai rendez-vous au Louvre devant l’esclave de Michel-Ange avec mon nouvel amoureux armé d’une caméra super huit qu’il veut braquer sur moi depuis l’esclave jusque dans la rue devant les vitrines autour de la gare du Nord et mon départ de Paris pour la Moselle

Début janvier 2001 mais quel rythme barbare quelque chose aura commencé d’embaumer combien les fleurs nous aident si dans une vie jamais rien n’aura pris naissance comme à l’aube du millénaire l’horizon de la fin hors d’atteinte au-delà du regard l’avenir consistant serein sûr de ses dimensions je devais simplement regarder dans des vitrines étrangères les yeux fixes d’effigies de celluloïd aux lèvres cernées de couleur sombre les joues haves les fronts bas le genre incertain dans des oripeaux joyeux et colorés et déambuler dans la rue le pas rassuré la démarche pleine de qui se sait saisi par le geste enveloppant d’un œil attentif et nu lié par un filin ténu les mains crispées de déplaisir et de jouissance comme un cri mat figé par Michel-Ange dans du marbre de Carrare mon désir tendu comme ma peau rebondie sur mes os luisante irriguée la chair raffermie par la vive circulation des pensées mais à l’angle de la rue planté ce neveu de monsieur hulot loin d’être solidaire l’air ailleurs la démarche indéterminée le feutre mou sur la tête l’imperméable de couleur grège fermé à la taille feignant de s’intéresser aux vitrines à deux pas devant moi planquant dans la rue ventée le ciel n’avait pas évité ma tête en l’atteignant dans sa chute pluie lambeaux d’air pollué frais capital ravageant mes joues dans les poils de ma barbe parce qu’il faut vivre pour être vieux et se soucier enfin de soi comme ce gosse à l’air accablé en imperméable ni blanc ni jaune un drôle de chapeau sombre sur la tête le regard fixe ce gamin de rocher gris tintin sang de navet épuisé par son adolescence immuable se souciant de moi m’emboîtant le pas pour sa filature comme au matin de ce monde pouvoir faire le récit de ce qui ouvre une ère nouvelle en se rengorgeant d’être le premier d’une multitude anonyme ne sachant être seul souffrant de solitude et pensant à ceux nombreux qui dépeuplent et me manquent mais seul jouissant de soi dans le commerce de soi-même comme enfant sans dialogue éperdu suspension des questions silence des échos écoulement pointillé des sources crissement deux doigts roulant les rideaux de percale retenus par l’embrasse dans la chambre des parents entre le fauteuil repu bleu sous le champignon du lampadaire une sieste assourdie un conte à dormir debout la véranda à ciel ouvert sur les moussons à travers la porte de communication fermée à double tour entre la terrasse et la cuisine il était question de montre-moi je te donne de la crème Mont-Blanc à la vanille quand le soir vient où tout rentre dans l’ordre je t’avais dit de ne laisser entrer personne c’était pour ranger la vaisselle égouttée pour attiser l’après-midi jaune paille et les nèfles brunes grandir en mouillant ses lèvres chasser rire étendre affûter régler comprendre si le carême peut se briser sur le rictus d’un gosse effronté comme l’espiègle Lili ce jour où tout fut clair comme tous les jours où ce fut éclatant d’évidence et de promesses d’avenir de vies échafaudées tirées poussées entraînées par des courroies et des jeux démultipliés de roues dentées jusqu’à précipiter dans cette nausée vêtue d’un imperméable d’un blanc cassé ce gosse à l’air accablé en imperméable ni blanc ni jaune un drôle de chapeau sombre sur la tête le regard fixe le visage à moitié formé sous le chapeau de feutre sombre les mots mort-nés à la commissure des lèvres le regard luisant faiblement comme des bougies d’anniversaire sur le haut bord de la génoise étouffe-chrétien ce détective mou et salé lombric son œil porté se sentir surveillé pressé allongé d’une longueur par une ombre sur le bitume entouré précédé et par l’œil du cinéaste capté brillant de biberonner et marcher dans la rue aux vitrines des mannequins portant des sarées transparents bordés de motifs rouges être salué sous la caméra par un passant sergent d’une autre guerre selon le règlement en vigueur gonfler ses joues de blédine et pousser trois pas essoufflés la tête dans les épaules les corolles des fleurs offertes et grandes ouvertes combien l’eau se répand sur les pétales combien les fleurs nous aident

En Moselle je m’occupai de corps et de machines pour un spectacle dont la première eut lieu avant Pâques puis je fis un court séjour à Budapest Hongrie prévu depuis longtemps

il peut se trouver que dans la boîte à jouer un baigneur de celluloïd soit placé de telle façon qu’il donne l’impression de glisser son regard à la dérobée sous la petite jupe rose d’une poupée inclinée juste au-dessus de lui et qu’elle donne l’impression qu’elle n’en sait rien il y a l’idée de perfection dans l’exactitude des montres suisses les machines surgies à la fin des comédies promettant des mondes meilleurs sans travail ni contrainte pourquoi se demander si l’innocence est singulière et jamais collective dès que s’assemble la foule des proches et des lointains qui circulent à vive allure enchevêtrant les trajectoires toutes à des rythmes différents et soutenues dans la perfection des machines porteuses de rêves doucereux qui ne s’effrayerait d’un amour de la sorte je bois à la santé des chaînes assermentées sur le pont de Budapest kedves egészségére ou bien installé sur la pierre chaude je reçois sur mon échine un bouillon continu d’eau tiède à l’odeur d’œuf pourri si le matin est à ce prix et que d’une main experte je sache jouer des volumes exalter les pistons enclencher les pompes mécanicien des astres et des météores berger des rues pavées ruisselantes de pluie gabier dévolu à la manœuvre des doubles rideaux de la chambre d’hôtel actionnant de courts leviers pour soulever le monde branché sur l’antique système des cintres et des pneumatiques une fois encore si je pouvais s’il m’était donné de si de deux choses l’une revoir Paris mais revoilà ce jeune hacker en chapeau mou et popeline grège bébé bogart monté en graine perché sur un rempart à la fenêtre du château entre les bras levés d’un héros soviétique jeunet sous les yeux gris des cernes et des poches ce gosse à l’air accablé en imperméable ni blanc ni jaune un drôle de chapeau sombre sur la tête le regard fixe bien sûr je suis cap’ t’y crois pas j’ai fait un truc plus difficile plus difficile et plus marrant un sous-marin tu vois j’suis cap d’ouvrir les vannes pour chasser l’eau tout le mond’ l’a vu r’monter t’as même pas besoin d’un mot d’passe tu craques la base de données c’est just’ qu’il faut rentrer le code ça dégringole c’est ça qu’est cool un jour j’ai ach’té cent casquettes des bicyclettes des freesbee la nuit personne ne voit comment tous les oiseaux crient à la fois ils se réveillent et ils s’envolent font du raffut et ils s’envolent se pose’ sur les fils électriques hou hou hou et s’envolent j’y arriv’ tu vas voir comment la nuit personne ne voit comment rien dans les mains rien dans les poches tab tab return and company même data pas sécurisé t’as plus qu’à rentrer le bon script ça dégringol’ waw’ c’est cool t’as même pas besoin du mot d’passe bingo enter Charly t’es classe la nuit personne ne voit comment tous les oiseaux crient à la fois ils se réveillent et ils s’envolent font du raffut et ils s’envolent se pose’ sur les fils électriques hou hou hou et s’envolent

Retour de voyage j’entrai dans ma cinquantième année

je suis allé chercher des plans puis j’ai choisi soigneusement du bois bien sec dense et point trop lourd et j’ai commencé à construire mon navire qui doit me permettre d’échapper aux eaux qui montent autour de moi sans discontinuer sur mon arche ma nef de fol unique je pourrais emporter un sentiment de chaque sorte la colère la nostalgie la générosité la mélancolie il en existe quelques centaines et je les porterais tous en moi aussi j’y serais seul à ressentir le sentiment de solitude seul celui d’agoraphobie seul celui de l’amour partagé seul à tirer et pousser les rames seul à braver le déluge seul à me poser au sommet affleurant les vagues du mont Ararat en éprouvant alternativement le sentiment de la défaite et celui de la victoire sans souci ni projet « l’être multiple vit dans mon unité sombre (le hacker maladroit colombo à l’air accablé en imperméable ni blanc ni jaune un drôle de chapeau sombre sur la tête me répond bredouillant : « J’n’aurais qu’à… souffler… tout tout tout… s’rait d’ l’ombre »)