Vacarme 18 / Processus

Libre à tout prix entretien avec Marie Vermillard, réalisatrice

Après Lila Lili, un premier long métrage, et avant Imago, son second film sorti en salles à l’automne, Marie Vermillard se laissa tenter par l’aventure télévisuelle. Son téléfilm, Libre à tout prix, ressemble à un OVNI qui résiste plutôt bien aux contraintes imposées par le télé-formatage. De cette expérience parfois douloureuse, elle témoigne.

Pourquoi avoir accepté de réaliser un téléfilm ?

C’était une expérience à tenter. Je suis venue à la mise en scène au terme d’un parcours en zig-zag. Après des études d’architecture, j’ai travaillé dans le social et ce n’est qu’à l’âge de trente ans que j’ai découvert le monde du cinéma. D’abord comme scripte auprès de réalisateurs comme Éric Rochant, Arnaud Depleschin et Cédric Klapisch, puis en réalisant des courts métrages. N’ayant pas d’autre formation que celle apprise sur le tas auprès des techniciens, je me suis laissé séduire par une aventure nouvelle : tourner un film dont je n’avais pas écrit le scénario. Il se trouve que c’était aussi pour la télé dont il m’intéressait de découvrir les méthodes de travail. Et cela déplaçait l’angoisse de réaliser un seond long métrage de cinéma.

Le scénario que l’on vous a proposé fut-il décisif dans votre choix ?

Il m’a tout de suite intéressée. Il s’agissait d’un très beau sujet : l’histoire d’une femme exploitée dans un centre d’appels téléphonique. Le fait qu’il ait été écrit à partir d’une enquête journalistique donnait au récit un aspect social important pour moi. Il y était question de conditions de travail déplorables, de lutte syndicale.

Vous êtes-vous lancée dans ce film avec des envies particulières ?

Je voulais, c’est vrai, montrer que l’on peut faire un téléfilm sans les habituels clichés véhiculés par le genre. Il était très important aussi d’y faire passer ma spécificité et ma différence auprès du public.

Tout s’est-il passé comme vous l’imaginiez ?

Pas vraiment ! D’abord le scénario que l’on m’avait fait lire a été remanié un nombre incalculable de fois, jusqu’à gommer presque entièrement l’aspect social qui me semblait être l’essence même du sujet. La scénariste était complètement usée. La fin a été transformée en un hymne au libéralisme puisque l’héroïne se sauvait en créant sa propre entreprise ! La chaîne m’a ensuite précisé quelles étaient ses attentes, une sorte de « bible » de M6 - parce que les dirigeants de cette chaîne savent exactement ce qu’aime le public : voir de jolies filles ; que les personnages portent des vêtements très colorés ; pas de plans larges... M6 tenait aussi à ce qu’on identifie l’image M6 juste en zappant. À force de me battre, j’ai obtenu que les scènes de lutte syndicale soient réintégrées au scénario. Je n’ai rien pu faire pour modifier le second travail de l’héroïne, si ce n’est imposer une fin plus ouverte. Tout cela a demandé des discussions serrées.

Vous a-t-on laissé libre choix pour les comédiens ?

Non, il a fallu aussi se battre pour obtenir le casting que je souhaitais. Dans Lila Lili, j’avais fait tourner Geneviève Tenne, et je tenais à elle pour le rôle principal du téléfilm. J’ai eu la mauvaise idée de faire venir Aure Attika pour des essais et la chaîne a immédiatement voulu que je la prenne. J’ai tenu bon, j’ai dû menacer de ne pas faire le film. Capa Drama, la maison de production, est à son tour montée au créneau et je me suis trouvée au centre de deux pressions. À cinq jours du début du tournage, M6 a lâché et j’ai offert un second rôle à mademoiselle Attika. Pendant le tournage, tout s’est bien passé : je n’ai vu personne. C’est ensuite que tout s’est de nouveau gâté. Le montage terminé, nous avons présenté le film à Édouard de Vesinnes, le responsable de la fiction de M6. À l’issue de la projection, il n’a pas eu un mot pour moi. Aux autres, il a dit trois choses : Comment va-t-on programmer « ça » ? ; Aure Attika est quand même plus agréable à regarder que Geneviève Tenne ; les syndicats de M6 n’ont pas fini de rigoler. Je n’ai eu aucune nouvelle pendant un an. Il a été sorti de la collection « Combat de femmes », puis déprogrammé plusieurs fois avant d’être diffusé en mai 2001. Pour couronner le tout, sans que l’on m’en informe, son titre a été changé.

La télévision, pour vous c’est terminé ?

Non, mais pour travailler avec des personnes respectueuses de ce que je fais.