Des lycées traversés

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d’un continent à l’autre, les lycées français perpétuent l’archétype du grand lycée, celui dont la configuration spatiale et symbolique est inscrite dans nos mémoires d’élèves . À travers les murs et les pays, deux lycéennes voyageuses se souviennent.

Des lycées traversés comme autant de lieux interchangeables. Quels que soient le pays, la langue ou la nationalité de l’élève. C’est vrai, si le lecteur se promène, de Nairobi à New York, dans la très reconnaissable patrie des lycées français à l’étranger. C’est encore vrai, s’il se tourne ensuite avec les yeux d’une étrangère sur les lycées français de France. À travers les mots et la voix d’une élève qui a traversé trois fois l’immense,unique et minuscule lycée de la Grande France, on peut entendre le même sociolecte de la beauté des choses, de leur « charme et mystère », qui règne encore dans les écoles. On devine aussi qu’on voyage peu dans ces annexes de l’ambassade, avec toujours l’illusion du voyage, sans doute, comme on feuillette les pages d’un manuel de littérature. Un texte de morceaux choisis, donc, est lisible dans la seconde traversée, celle de Maria-Livia, de Rome à New York, sans vraiment qu’elle ait quitté, un jour, l’espace national. Les frontières, les murs s’écartent et c’est toujours la même chose : le lycée, les classes, la cour, l’heure. « Ils » – les élèves – ne sortiront jamais de l’alphabetdes formes de l’école. Des fragments détachables comme des morceaux de langage social habillent ce lieu-là. Et la géographie fantaisiste de ces bâtiments scolaires de luxe dressés à l’étranger est toujours elle aussi traversée par l’élève qui y reconnaît ce qui nous vient toujours à l’esprit quand nous pensons à l’école. Villa Borghese et town houses sont peu de choses dans le Grand Lycée car il faut toujours y pister ce qui échappe à l’exotisme ou plutôt l’exotisme est seulement toujours une manière de voir qui échappe totalement à l’étrangeté. Tout y est suspendu en dehors et à l’intérieur des murs. Pas d’Histoire dans ces lieux historiques.

Ce lieu interchangeable est aussi visible dans les lycées traversés par Neijia. D’une ancienne colonie de la métropole à un arrondissement banal de Paris, le regard de l’élève, avec plus ou moins de lucidité,repère les continuités éternelles qui sont la remise des prix, l’idéologie du niveau et la hiérarchie des classes et des êtres. L’économie différente des lieux n’y change rien car, riche ou pauvre, une remise de prix est toujours identique. C’est encore et aussi la représentation scolaire que rien, ni élèves, ni lieux, ni nationalités ne traverse. À la salutation au drapeau dans un lycée qui n’est pas français celui-là – c’est le drapeau tunisien qui est salué à Zarzis – succède la seconde 9 Langue vivante I arabe du lycée Voltaire dont l’organisation symbolique vaut bien tous les drapeaux et chants patriotiques du monde. Cinquante années ainsi qu’une frontière de régime séparent ces deux lycées. Et ils sont identiques. Ou presque. Que les républicains actuels y réfléchissent. La polémique actuelle autour de la suppression de l’option Arabe au lycée Voltaire désigne avec intensité le mimétisme républicain de la dictature tunisienne. On n’a jamais autant parlé arabe en France et on n’a jamais autant parlé français en Tunisie. Mais les élèves sont toujours en rang dans les deux pays. Ils font la queuedéclarefinement Neijia, avant de se reprendre, car elle connaissait aussi l’expression correcte qui désigne les élèves rangés avant d’entrer en classe. Ce rapprochementdu 2 mars 1934 tunisien et d’un Voltaire républicain raconte ainsi que les élèves font aussi la queue en France. Ils attendent pour quitter les classes de niveau au numérotage honteux. Ils attendent pour faire éclater les regroupements sociologiques. Ils attendent pour accéder aux filières de leur choix, bref, ils font la queue pour « manifester » ou bien pour « apprendre la langue de l’ennemi ». La représentation de l’école n’est plus seulement un imaginaire de la métropole, elle est devenue un système de rangement.

Aujourd’hui la vieille nouveauté apportée au mélange scolaire qu’est devenu le Grand Lycée diversifié est la construction des centres d’éducation fermés – destinés uniquement à l’éducation – explique Ferry lui-même. La France, pays de culture, répugne à abandonner l’alibi de l’éducation ets’avère être encoredupe des alibis qu’elle produit pour faire régner l’ordre civil. Je suis sûre que le ministre Ferry croit à ce qu’il dit. Qu’il souhaite conjuguer le désir légitime de sécurité et le bien des enfants. Qui bene amat, bene castigat ou « Qui aime bien, châtie bien », dit le proverbe. Ce n’est pas plus compliqué que cela. La « sanction éducative » est le rêve du Prince car, en elle, se combinent performance, justice et adhésion des esprits. Dans son cours à l’EHESS, intitulé La Bête et le Souverain (2002), Derrida nouait « l’obscure et fascinante complicité » de la bête, du criminel et du souverain. Quelle est donc la complicité du Prince-Philosophe et de sa figure inversée qu’est l’enfant sauvage ? Pourquoi se lit-elle dans la fermeture nouvelle du Grand Lycée ? Signe des temps, on veut désormais gommer la géographie sensible du parc d’enfermement. Plus d’odeur, plus de couloirs surplombants mais des salles de gym, des douches, des éclairages étudiés, de nouveau de beaux bâtiments. Les journalistes s’émerveillent du neuf. Les centres d’éducation fermés seront des petits musées pimpants de pratiques répressives.

Lycée 2 mars 1934, Tunisie. Lycée Voltaire, France.

Neijia Boujnah est née en Tunisie en 1982. Elle traverse en premier lieu le Lycée 2 mars 1934, à Zarzis, dans le sud de la Tunisie (1995-1999). Puis elle passe trois ans au lycée Voltaire, dans le XXème arrondissement de Paris, (2000-2002).

Bon. Les bâtiments. Les murs. Entre le lycée du 2 mars 1934 [naissance de la Constitution tunisienne] et Voltaire, ça n’a rien à voir. J’étais dans un lycée très petit avec deux étages et un nombre très limité de salles. En Seconde, j’arrivais tout le temps en retard car je n’arrêtais pas de chercher la bonne salle à Voltaire et je me souviens de mon prof de Seconde qui me disait tout le temps, « d’accord, je veux bien comprendre que les lycées en Tunisie, ils sont très petits, ils sont petits par rapport à Voltaire mais c’est pas une raison pour arriver en retard. » Comme quoi, j’étais complètement perdue car il est très grand le lycée Voltaire. À Zarzis, c’était petit car il n’y avait pas autant d’élèves. (…)

Là-bas, c’est calme, bon, d’accord, je prends 15 minutes et j’arrive facilement. J’y vais à pied. C’est beau. Je vois – c’est le matin d’accord – je vois, il y a des lycéens qui viennent avec moi, dans toute la rue. (…) On dirait qu’il n’y a pas de bus. Il y a des bus mais ils ne mènent pas à ce lycée. Il n’y a pas le métro. Je suis zarzizienne, je ne me rends pas très bien compte, je marche et c’est tout. Je pense que là, si je retournais… Il n’y a pas de trottoirs. C’est goudronné. Il y a des animaux. Il n’y en a pas partout mais en tout cas on peut les voir et puis on voit des gens qui s’en occupent le matin, qui leur donnent à manger. Des ânes, des moutons, des poules, quelques chameaux. Tu as des chèvres. Il y a des chats. J’arrive à l’école. Là-bas, c’est trop strict, c’est-à-dire qu’on ne peut pas rentrer avec n’importe quels vêtements. (…) Pour le lycée, c’était des blouses bleues et pour le collège, c’était des blouses roses. On est mélangé mais les garçons ne mettent pas de blouses, chose que je n’ai jamais comprise. (…) Et puis, il y a une chose, en fait, je ne sais pas comment dire : on fait la queue avant de rentrer en classe, c’est vraiment quelque chose de fondamental pour la discipline, je veux dire, une classe qui ne se met pas en rang, c’est très malpoli. Même au lycée. C’est très mal vu. Donc, il faut absolument le faire. Et puis, là, je vais avoir du mal, je n’arrive pas à m’exprimer mais le matin, on chante, non, on ne chante pas mais il y a des chants. Il y a une salutation au drapeau. C’est obligatoire. On doit passer par là. Tout le monde le fait. Quand on était en primaire, c’était les élèves qui chantaient. Au lycée, c’est enregistré et on écoute chaque matin, chaque matin, avant de commencer les cours. C’est purement patriotique. Ça n’a rien à voir avec la religion. On est rangé par classe (…) et puis, à côté, il y a tous les professeurs qui sont aussi, je ne sais pas, ils se mettent là. En tout cas, il y a tous les profs d’un côté et tous les élèves dans un autre. (…)

Ce lycée, c’est comme n’importe quel appartement, mais en grand. Tu vois, il n’a pas vraiment l’aspect de lycée. Ça n’a rien à voir, Voltaire, Voltaire, je ne sais pas, ça fait plus de cent ans qu’il est construit. Ils ont fêté, il y a dix ans, son anniversaire, alors, pas son anniversaire, je veux dire, qu’il y a cent ans qu’il était construit. Et le « Lycée 2 mars » – ça s’appelait comme ça où j’étais – il n’y a même pas vingt ans qu’il est construit. C’est vraiment très moderne. Et puis Voltaire, même par rapport aux autres lycées, c’est pas du tout pareil, il fait partie du – est-ce qu’on ne dit pas patrimoine ? (…) En terminale, j’ai complètement oublié l’autre monde. Je me concentrais sur Voltaire, Voltaire, je, ça y est, l’autre monde était un peu effacé. Je sors de la maison, d’accord, je sors de la maison aux Quatre-Chemins [Aubervilliers]. Je marche un peu, je prends le métro, je rencontre des gens qui sont très stressés, ça n’a rien à voir. Pourtant, à Aubervilliers, les gens sont un peu moins stressés qu’à Stalingrad, mais en même temps, là-bas, c’était des gens calmes. Quand je dis qu’ils s’occupaient des animaux, ils étaient tranquilles, on le voyait très bien. (…) Pas de salutation au drapeau. Au début, j’attendais un peu, parce que, là-bas, on bavarde un peu avant de faire les cours et les cours ne commencent pas immédiatement. C’était un truc qui me manquait un peu et après je me suis habituée. Donc, on rentre directement et le cours commence. Et puis, c’est tout.

Être arabe à Voltaire. On porte toute notre culture sur le dos. En Seconde, j’arrive, j’étais en Seconde 9, si je me souviens bien, oui, j’étais en Seconde 9 et il n’y avait que des étrangers. Surtout, des Arabes. (…) Le niveau était très, très bas. Et les notes, elles étaient assez catastrophiques. C’est à dire qu’après, au passage de Première, la plupart des élèves que moi je connais – tout le monde n’a pas eu le choix qu’il voulait – la plupart, ils sont allés en S.T.T [1]. Ni L., ni S., ni E.S. [2]. On était quatre ou cinq à passer en générale. C’est tout. (…) Comme c’était le seul lycée qui faisait langue vivante arabe, alors j’ai été acceptée et j’ai été à Voltaire. Par contre, si je faisais une autre langue et que je l’avais choisie, je n’aurais pas été acceptée là, de toutes façons. Comme j’habitais à Paris, donc c’était possible d’y aller. Tourkia [la sœur cadette de Neijia], c’était pareil. Comme elle fait langue vivante arabe et Lazhar aussi [le frère cadet], ils ont été acceptés. On a pensé que ça allait être pareil pour Djamel [lefrère benjamin], mais il n’a pas été accepté parce qu’il n’habite pas à Paris, il habite dans le 93 [la famille Boujnah qui habitait Porte de Clignancourt a déménagé à Aubervilliers-Quatre chemins en mai 2000]. Même si, géographiquement, c’est juste à côté du XIXème. (…) En première S., il n’y avait pas du tout d’Arabes. C’était une très bonne classe. (…) L’enseignement en lui-même, c’est ici que ça me plaît car, là-bas, il y a trop de bourrage du crâne. Là-bas, il faut trop apprendre. Quelqu’un qui a une bonne mémoire, il arrive à passer, c’est bon, c’est bien. Quelqu’un qui comprend très bien, qui est très intelligent et qui n’aime pas apprendre, il est vraiment désavantagé par rapport aux autres. Alors qu’ici, ce qui compte, je trouve que c’est très, très méthodique. (…)

Le concours général. C’est ma prof d’arabe qui me disait depuis la Première qu’elle voulait me présenter au concours et qui me disait que j’avais de fortes chances de l’avoir. J’étais pas vraiment d’accord. Parce qu’elle m’avait expliqué qu’il n’y avait que trois prix et que tous les lycées le passaient, c’est à dire pas seulement les lycées en France mais aussi les lycées dans les pays étrangers. Alors en Terminale, je lui ai dit que je n’étais pas du tout d’accord pour le passer. Elle a parlé avec d’autres profs qui m’ont convaincue. (…) La remise des prix. Il n’y avait pas d’Arabes encore une fois. Il y avait des gens, on voyait bien leurs parents qui étaient riches, c’est pas ça qui compte, ils avaient un niveau assez élevé, ils avaient des diplômes et tout et même les gens qui ont eu le prix d’arabe – il y avait avec moi deux Libanaises et une Marocaine – j’ai vu leurs parents qui sont venus du Liban et du Maroc. C’était des docteurs et professeurs à la fac qui préparaient des thèses et des choses comme ça. Encore une fois, j’ai eu le prix mais il y avait un fossé social qui m’a choquée dès le début. On s’est assis. Ils faisaient discipline par discipline et, à chaque fois, ils appelaient les lauréats de chaque discipline et l’arabe, c’était à la fin. (…) On attend. Ils ont appelé le premier et le deuxième. Et le troisième prix, c’était moi. Et quand je marchais, j’étais en train de trembler mais je ne voulais pas le montrer et il y avait ma prof d’arabe qui disait : « Ce qui compte, c’est qu’elle ne tombe pas. » Tellement c’est quelque chose qui fait très peur et qui est très émouvant, surtout ça, devant tout le monde. Donc, on m’a appelée et j’ai eu mon prix et c’est tout. Mais c’était quelque chose, c’était vraiment, c’était l’instant le plus beau que j’ai vécu, je ne sais pas si c’est dans ma vie ou dans mon parcours scolaire. En Tunisie aussi, j’avais eu un prix, le seul prix de Zarzis. Donc, il y a des instants dans mon parcours scolaire qui vraiment font très plaisir. Je n’arrive pas à m’exprimer lorsque j’y pense. Je retrouvais la même ambiance – c’est ce que j’ai dit à la maison –, d’un prix à l’autre, c’était à peu près pareil, c’est toujours tout ce qui est matériel, l’amphi, il était plus grand, le décor et tout ça mais sinon, l’ambiance en elle-même, les ministres, les discours, c’était pareil. Sauf que la proviseure de Voltaire n’est pas venue. Soi-disant qu’elle s’occupait des corrections du bac, chose que je n’ai pas comprise. J’ai découvert ça le jour où j’ai reçu le prix, des journalistes m’ont dit [qu’elle voulait supprimer l’option arabe langue vivante 1 au lycée Voltaire] et je me suis dit, s’il y a quelque chose d’officiel, il faut se battre, manifester avec tous ceux qui ont fait langue vivante 1 arabe. Elle a dit que les langue vivante arabe étaient responsables de l’échec à Voltaire, que la plupart n’avait pas eu leur bac. (…) Elle a dit aussi que tous les arabophones à Voltaire considèrent l’anglais comme la langue de l’ennemi. Ce n’est pas du tout ça, ce n’est pas du tout ma conception de l’anglais, ce n’est pas du tout ça que je vois. Pour moi l’ennemi c’est une chose, et la langue, c’est autre chose. Même si un jour j’avais un ennemi, j’aimerais bien apprendre sa langue, je pense que c’est le meilleur moyen pour lutter. (…)

Les statues de Voltaire à l’entrée, c’est quelque chose que j’adore. C’est Voltaire. Il y en a deux à l’entrée que je regarde beaucoup et souvent. On me dit que pour certaines personnes, c’est pas très beau mais moi, je ne sais pas, je trouve ça vraiment sublime. À Zarzis, c’était la cour où il y avait tous les élèves. C’est quelque chose de physique, je ne sais pas. Une cour plutôt ordinaire, avec des plantes partout. S’il y a quelque chose qui manque un peu à Voltaire, c’est ça. J’aurais aimé qu’il y ait ça, c’est vraiment tout ce qui est végétal, c’est la couleur verte. À Zarzis, il y avait les fleurs, il y avait les plantes très, très belles, il y avait de grands arbres en même temps. Et c’est ça que je garde.

Paris. Novembre 2002

Lycée Chateaubriand, Italie. Lycée Denis Diderot, Kenya. Lycée français de New York.

Maria-Livia Brauzzi est née en Italie en 1983. Elle traverse le lycée Chateaubriand de Rome pendant l’école primaire (1991-1994). Ensuite, elle passe quatre ans au Lycée Denis Diderot de Nairobi (1994-1998). Puis elle reste trois ans au Lycée français de New York (1998-2001).

De toutes les écoles que j’ai traversées pendant ma scolarité – précisément cinq écoles, réparties sur trois continents –, celle dont je garde le meilleur souvenir, au niveau des lieux, c’est le Lycée Chateaubriand de Rome. Elle est enfouie en plein milieu du plus beau parc de la capitale italienne, appelé Villa Borghese.

Dans cet immense parc public, les frontières de mon lycée n’étaient pas bien définies. À vrai dire, elles l’étaient sûrement, mais pour une fille de 9-10 ans l’espace dont il disposait était tellement grand qu’il semblait impossible à circonscrire. Je n’avais en réalité aucun besoin de savoir où il s’arrêtait, je ne me serais sûrement jamais aventurée jusque-là. Mais je parle pour moi car une légende veut que des élèves se soient enfoncés dans une zone inexplorée du parc et aient découvert une grotte, un tunnel qui déboucherait dans une salle du Musée de Villa Giulia, limitrophe à Villa Borghese. Il y en avait beaucoup, de ces histoires, qui contribuaient remarquablement à faire de notre école un endroit mythique. (…)

Quand je suis passée au collège, j’ai déménagé au Kenya, au Lycée Denis Diderot de Nairobi. (…) Ce qui était vraiment triste, dans le bâtiment du secondaire, c’était des rideaux bordeaux, en velours, dans certaines classes. Le soleil africain peut être aveuglant, mais quand même… (…) L’image qui se présente plus spontanément à mes yeux est celle de tous nos déplacements, dans les couloirs, d’une classe à l’autre, dans les escaliers, d’un étage à l’autre, ou carrément d’un bâtiment à l’autre, quand on devait migrer chez le primaire, où se trouvaient les laboratoires et la salle d’informatique. C’était le lycée le plus complet parmi ceux que j’ai traversés, avec notamment beaucoup d’espace réservé au sport comme des terrains de foot, basket, volley, une piste de 250 m, un gymnase, etc. (…) Personnellement, je ne me suis jamais laissée convaincre par aucun des sports disponibles, ni par les arts martiaux ou la danse (je tiens à préciser que je faisais du tennis ailleurs !). Je peux seulement avouer, à ma grande honte, avoir suivi au lycée un cours de mannequin : pendant une heure, on marchait (…)

Avec le Lycée français de New York, je retournais dans des bâtiments qui n’étaient pas pensés pour accueillir des élèves. (…) Le lycée se confondait parfaitement avec les town housesvoisines, de la même façon que ses élèves se camouflaient sans problèmes parmi les New-yorkais, avec leur élégant (et triste) uniforme bleu, blanc et gris. En début de Seconde, ma prof d’anglais demanda à des élèves qui lui semblaient fort mécontents du lycée d’en décrire un aspect positif. Un élève répondit que le lycée offrait le grand avantage de nous épargner des séances de fitness. C’est vrai que monter quatre étages avec un gros sac sur le dos, dans une cage d’escalier étroite comme tout, pouvait être entreprise hardie parfois (…). Ma réponse avait été différente. J’étais au lycée depuis peu et j’étais saisie par la beautéet la richesse des bâtiments en eux-mêmes. On rentrait par des portails imposants et, tout de suite, un grand escalier avec une rampe en fer battu donnait la bienvenue. (…) En trois ans, je me suis attachée à ce lycée, à cette « prison dorée », comme l’appelaitquelqu’un, de manière incroyable. (…) Trop de salles, trop d’épisodes, trop de détails que je n’ai pas encore oubliés. (…) La salle 24 était en absolu ma préférée, celle dans laquelle on a fait n’importe quoi et, de temps en temps, un peu de philo. Une fois, agacés par le fait que seul le prof avait en face de lui l’horloge,alors que les élèves, pour savoir l’heure, devaient se tourner de 180° et lever bien haut la tête en passant très difficilement inaperçus, les Terminales L décidèrent de tout changer. Ils retournèrent toutes les tables et placèrent le tableau sous l’horloge. Cela ne dura pas longtemps (à peine quelques heures), mais ç’avait été une grande idée, à mon avis, au-delà bien sûr du prétexte de l’heure, pour donner un autre sens (c’est le cas de le dire), ou faire propre notre classe.

Rome. Novembre 2002

Notes

[1les classes S.T.T. sont les classes technologiques

[2la lettre L. désigne les classes littéraires, S. les classes scientifiques et E.S. les sciences économiques et sociales.