Vacarme 22 / Processus

Le feu sacré au lac entretien avec René Gonzalez, directeur du Théâtre Vidy-Lausanne

Quel est le lien entre la création théâtrale, l’espace où elle s’élabore et l’espace public ? Comment s’agencent un geste d’artiste, un lieu et le public qu’ils cherchent à gagner ? Comment s’orchestre une programmation ? Les questions de production et de diffusion traversent Vacarme. Nous les avons posées cette fois à René Gonzalez, qui dirige actuellement le théâtre Vidy-Lausanne. en vingt-cinq ans, René Gonzalez a occupé trois lieux emblématiques de la création théâtrale contemporaine : à Saint-Denis et Bobigny, deux scènes de banlieue aux programmations exigeantes drainant un public plutôt parisien ; à Vidy, un théâtre au bord d’un lac, à l’écart d’un assoupi chef-lieu de canton suisse de 120 000 habitants, qui a acquis sous sa houlette une réputation internationale. Réponses d’un artisan, chez qui pointe l’inquiétude d’un théâtre qui deviendrait le fait du prince.

À Saint-Denis, Bobigny, Lausanne, vous dirigez des lieux dont le point commun est de posséder plusieurs salles de représentation. Il est important de disposer de plusieurs espaces scéniques ?

C’est vital. Un lieu de spectacles qui n’a pas deux salles – une petite et une grande – est un lieu unijambiste. Il me serait impossible d’animer – au sens étymologique du terme – une salle unique. Il y a des textes, des créations qui ne peuvent supporter un grand ou un petit espace. C’est une question d’adéquation entre le choix d’une œuvre et l’espace dans lequel elle est créée. Des erreurs ont été faites à ce sujet qui ont tué des créations.

Qu’est-ce qui vous séduit à Vidy quand vous arrivez à l’invitation de Matthias Langhoff ?

D’abord les trois salles. Il y a la grande scène de 400 places ; une plus petite scène de 100 places avec un plateau de 9 mètres sur 9 ; le petit chapiteau qui est de l’ordre de l’éphémère dans l’éphémère et fait près de 200 places. Quand il vient, Bartabas s’installe au milieu de la forêt… Il y a des possibilités pour tous les spectacles ; je n’en vois pas ailleurs d’équivalent. Ce lieu créé pour une exposition était fait pour être provisoire, durer six mois, il est toujours démontable. Il a été fait avec des matériaux industriels extrêmement légers ; il est l’œuvre de Max Bill, un grand architecte élève du Bauhaus, qui a eu le génie de l’implanter à cet emplacement inouï, au bord du lac. Je ne serais jamais resté à Lausanne si le théâtre se trouvait au cœur de la ville. Il m’arrive de dire que je ne vis pas en Suisse, ni à Lausanne, je vis à Vidy au bord de l’eau. Cet endroit rare crée des conditions idéales pour travailler. Ce n’est pas un hasard si tant de peintres, d’écrivains, de musiciens, de cinéastes ont choisi cette région pour vivre leurs utopies. Cet espace est d’une simplicité confondante : au fond, c’est juste une boîte, un outil au service du plateau et du public. Il y a la lumière, une fluidité de la circulation, à l’intérieur comme à l’extérieur.

N’y a-t-il pas la tentation de proposer des spectacles intimistes mais porteurs de public dans la plus grande salle ?

Le choix s’impose bien davantage en termes de scénographie, de nécessité d’habiter et de faire vivre l’espace. Il m’est arrivé de présenter des spectacles très lourds dans de petits espaces et des spectacles très légers dans une grande salle. Un exemple : Jacques Lassalle travaillait l’an dernier sur Henry James. James a besoin d’espace comme d’un partenaire du spectacle… même s’il n’y a que deux ou trois acteurs en scène.

La salle Charles Apothéloz est une bénédiction parce que ce n’est pas une grande salle (400 places), mais c’est un grand plateau. J’ai de plus en plus de mal avec les grandes salles de 700 à 1000 places. Nombre de spectacles en souffrent. Une partie du public ne voit pas le même spectacle qu’une autre. J’ajouterais qu’il vaut mieux jouer un spectacle plusieurs semaines que de le proposer dans une très grande salle sur quelques jours. Pour les acteurs, au moment d’une création, le besoin est de jouer, jouer encore, pour approfondir le travail. La deuxième raison tient au public. Si on est dans une attitude dynamique par rapport à lui, je pense que plus on fait de représentations, mieux c’est : pour pénétrer à l’intérieur de nouveaux publics, il faut jouer et encore jouer. Avec de grandes salles, on arrête trop rapidement – et on risque d’avoir toujours le même public, celui qui va le plus souvent au théâtre.

Vous attirez l’attention sur la taille d’une salle. S’agit-il de possibilités scéniques ?

La première chose est le rapport entre la scène et la salle. J’en veux beaucoup à nombre d’architectes de salles de spectacles : ce sont des killers. Ils devraient de façon prioritaire réfléchir au rapport scène/salle, quelle que soit la jauge de la salle. Le grand luxe – avant l’argent même – c’est l’espace, espace de jeu et relation entre cet espace et le spectateur. C’est la clef de toute décision quand on doit construire une salle de spectacle vivant. L’autre luxe est d’avoir un lieu équipé d’une technique relativement sophistiquée aux plans du son et de la lumière. Pour la machinerie, il vaut mieux se calmer : les plateaux tournants, tout ça, c’est plus une contrainte qu’autre chose. Il faut une technique qui soit au service du spectacle et pas l’inverse. La troisième donnée, ce sont les équipes, tant sur un plan humain que professionnel, les tribus qui s’organisent. J’ai l’habitude de parler du « pack de Vidy ». Sans ces artisans de l’ombre, on peut toujours rêver d’un spectacle, il ne se fera pas.

Un lieu mais un lieu juste, un rapport d’intimité entre la scène et la salle, une équipe… avec ça, on peut aller au bout du monde. J’oubliais la cafétéria ! Un lieu vital quand on parle de convivialité. Par boutade, je dis parfois que Vidy c’est la cafétéria et qu’on fait un peu de spectacles autour. Mais quand je vois le temps que le public passe dans le hall avant et après un spectacle… À partir du moment où il fait le geste de se déplacer, ce n’est pas rien.

L’existence d’un lieu de fabrication de décors est importante ?

Forcément. Un espace de production et de création – je fais la différence, même si dans la production il y a de la création et de la création dans la production – doit disposer d’un lieu de fabrication de décors, et aussi d’un lieu de répétition. La qualité d’une création dépend beaucoup de ce temps de préparation. Il y a une trilogie des lieux : lieu où l’on fabrique, lieu où l’on répète, lieu où l’on joue.

De ce point de vue, que pensiez-vous de la MC93 en y arrivant ?

Ce sont Fabre et Perrotet qui l’ont conçu, tout comme le Théâtre de La Colline et celui de Sartrouville. Ils ne s’en sont pas si mal tirés. J’ai eu très peur la première fois, je me suis assis sur le plateau, j’ai regardé cette grande salle et je me suis dit : qu’est-ce que je peux faire ? Finalement, Bobigny, c’est un peu la Rolls du théâtre. Il faut des outils comme ça, mais ils induisent un certain type de propositions. Quand j’ai quitté Bobigny, c’est parce que j’avais un vrai problème de programmation : j’étais vraiment trop « programmé », condamné à faire certaines choses sans pouvoir en faire d’autres.

À Vidy, vous éditez un nouveau programme chaque trimestre…

Nous annonçons le début de la saison et des pistes pour le reste de l’année. Je ne sais pas comment on peut construire et verrouiller une saison un an, voire deux ans à l’avance. Je pense qu’il faut laisser au contraire le plus de fluidité possible et se réserver des choses inattendues. L’autre jour, j’ai pris un coup de poing dans la gueule avec le spectacle d’Arpad Shilling, et il n’est pas dit que je n’essaie pas de caler des représentations dans la deuxième partie de cette saison.

Cette liberté dont vous témoignez est aussi une liberté financière ?

Je vais en surprendre quelques-uns, je connais la situation en France et en Europe depuis le temps que je traîne mes guêtres : les moyens de Vidy sont ceux d’un petit centre dramatique ou d’une scène nationale en France. Nous nous autofinançons depuis dix ans à plus de 50 % de notre budget, sur la base essentielle de la billetterie, qui représente 10 % comme dans tous les théâtres, et bien évidemment de mécènes – ce qui fonctionne un peu mieux en Suisse qu’en France, mais toujours dans des proportions maîtrisées. Ce qui est important, c’est la collectivité publique, qui est garante de la liberté du travail. Le reste c’est le soutien en terme de coproductions et de tournées.

Comment se monte une coproduction ? On vient vous voir ? Vous travaillez toujours avec les mêmes partenaires, c’est au coup par coup ?

Tout ce qui touche à nos utopies – je me suis toujours défini comme un gestionnaire d’utopies – c’est du désir et rien d’autre. Cela se saurait s’il y avait une règle. Le désir d’un acteur ou de quelques acteurs – parce que chez moi ça part souvent de l’acteur, peut-être parce que j’ai pensé un jour que je pouvais l’être avant de découvrir que non –, d’un texte ou d’un metteur en scène. René Char dit que l’acte est vierge même répété. En termes artistiques, c’est vrai, mais ca l’est également en termes économiques. À chaque fois, on réinvente en fonction d’un montage économique, du désir que l’on suscite chez tel ou tel de ses amis, et des concours qui spontanément naissent parce qu’au bout d’un certain temps, ce qu’on fait a été repéré.

Vous arrive-t-il de renoncer à des projets ?

Je n’en ai pas souvenir. Peut-être parce que je me suis autocensuré dès le départ en comprenant que je n’y arriverais pas. Sur toutes ces années, les spectacles que j’ai choisis, ou qui m’ont choisi – parce qu’en terme de programmation je ne sais plus très bien si je programme ou si je suis programmé – j’ai pu les faire… Je n’ai pas le souvenir d’avoir rêvé des spectacles.

Vous suscitez personnellement des spectacles en découvrant des auteurs, des textes, en réfléchissant avec des metteurs en scène ?

On ne découvre pas un auteur. C’est l’inverse. C’est une conviction profonde, on ne découvre personne. Je ne suis pas metteur en scène, je laisse le soin aux poètes d’être des défricheurs de terres vierges. Je me sens plus comme un aiguilleur ou un péripatéticien : mettre en rapport les uns avec les autres. Il faut seulement garder les yeux ouverts et être là au moment juste. Rester sensible à ce qui vit ici ou là, être là quand un metteur en scène, une équipe, font le choix, car bien évidemment ce sont eux qui font ce choix, de rejoindre notre aventure. Et c’est un cadeau. Non, je n’ai pas le sentiment d’avoir aidé à découvrir qui que ce soit. Par contre des artistes m’ont aidé à découvrir l’attachement que j’ai, et qui empire au fil des ans, pour ce monde, de l’artisanat d’art.

En terme de programmation, comment s’équilibre une saison ?

Ça ne se pèse jamais au kilo, c’est instinctif. La programmation,c’est comme la marche : une suite de déséquilibres. Le risque économique en est un ; et le risque artistique doit s’imposer au fil d’une programmation. Je me sens un peu un animal, en tout cas c’est ma façon de travailler depuis toujours ; je vais là où le désir me pousse, vers où je n’ai pas d’autre choix que de faire. Ça s’impose et ça prend sa place dans le calendrier, dans le financement, dans l’exploitation. Ça rallie des amitiés. Même s’il est plus difficile d’avoir des compagnonnages a priori et non a posteriori, mais c’est de l’ordre du possible…

Il y a des créateurs, André Engel, Joël Jouanneau, d’autres encore, Wilms, Hourdin, Desarthe, avec qui vous travaillez depuis très longtemps…

Je suis fidèlement infidèle. Parce que sinon on travaillerait toujours avec les mêmes. Char parlait des jeunes arbres qui reboisent la forêt : je m’efforce de laisser la porte ouverte à de nouvelles pratiques du théâtre.

Avez-vous le sentiment de poursuivre la même aventure de lieu en lieu ou plutôt que les aventures sont différentes à Saint-Denis, Bobigny, Vidy-Lausanne ?

La banlieue, où j’ai passé une grande partie de ma vie, c’est plus difficile qu’ailleurs mais en même temps, cela offre des possibilités que peu d’autres lieux offrent. Vilar disait : « Je ne fais pas mieux, je fais autrement. » Je crois que de Saint-Denis à Bobigny, et maintenant Vidy – oublions la parenthèse Bastille – je tente effectivement de faire un peu autrement. Cependant, on creuse toujours le même sillon. À Vidy, je peux prendre un certain nombre de risques que ne m’autorisaient ni Saint-Denis, ni Bobigny… Ce que j’appellerais le décloisonnement entre les différentes approches du plateau – tout en préservant la part du lion à l’écriture et à ce qui touche au texte. Quand on ne peut plus dire les choses, on les chante, on les danse, on les chevale avec Bartabas, on les cirque avec le cirque… Je pense qu’il n’y a pas de définition du théâtre. C’est un acte, que je revendique comme un acte politique. À partir et au-delà du contenu.

La direction de l’Opéra Bastille pendant quelques mois, c’était une erreur dans ce parcours ?

Je croyais que la deuxième salle de l’Opéra Bastille verrait le jour. Il y avait là l’occasion de faire d’autres productions en dehors des quelques dizaines de titres repris dans tous les opéras du monde et c’est cela qui m’intéressait. Quand j’ai compris que ça ne se ferait pas, j’ai appelé Jack Lang et suis reparti. Aucun regret.

Vous venez de dire que le théâtre en banlieue, c’est différent… Quel lien établissez-vous entre l’institution théâtrale, son lieu d’implantation et son public ?

Les villes de la petite couronne – et d’abord les villes communistes – ont permis la naissance d’un certain nombre de théâtres. Les soutenir comme elles le font est admirable. Ce qui s’est passé dans ces années-là a été extraordinaire. Un moment unique. La petite couronne se trouve dans une situation particulière par rapport à Paris, aux villes de province et même à la deuxième couronne où l’on peut plus facilement fixer un public. Le spectateur qui habite la banlieue, quand il sort, pour des raisons géographiques, mais aussi pour des raisons historiques, vient à Paris. Fixer ce public est difficile. Mais ce que j’ai pu vérifier à Saint-Denis et à Bobigny, c’est qu’une chose est la fréquentation d’un public local, autre chose l’idée que ce public se fait de cette activité. Je me souviens de deux études dans lesquelles on demandait aux habitants quels services rendus par la ville ils appréciaient le plus. Dans ces deux villes, la culture arrivait quasiment en tête même si le pourcentage des habitants profitant des lieux culturels était mineur. Mais ce sont des agglomérations qui bougent ; rappelez vous la sociologie de la Plaine Saint-Denis au début du XXème siècle, une population ouvrière, tout ça a muté. S’acharner – certains ont tenté de le faire mais ont vite compris la difficulté – à remplir le théâtre avec un public spécifiquement local, je crois que c’est impossible. Par contre être vivant dans une ville, toucher un noyau de public qui s’intéresse au théâtre, cela reste possible. Faire ce travail en banlieue est plus difficile aujourd’hui qu’il y a vingt ans car les sollicitations culturelles sont beaucoup plus nombreuses. Il faut parvenir à créer à partir de chaque lieu une singularité qui fait qu’on saura que dans cet endroit on ne voit pas la même chose qu’ailleurs.

Est-ce à dire qu’un théâtre est déconnecté du lieu où il se trouve ?

Il n’est pas déconnecté pour autant. Le théâtre comme tous les arts vivants est un art de symboles. La fréquentation du théâtre, au regard du nombre de ceux qui s’y rendent, reste symbolique par rapport aux « arts de masse » comme le cinéma ou la télévision. Il faut donc que le symbole soit fort. À partir du moment où l’acte poétique, et la vitalité d’un lieu, émergent, on peut être au cœur d’une proposition extrêmement forte. De toutes façons, il faut arrêter d’ « audimater » le théâtre. C’est une hérésie. Que je sache, au début, les pièces de Beckett, c’était 40 ou 50 spectateurs… Aujourd’hui de grands créateurs, Marthaler à Zurich ou Forsythe à Francfort, sont récusés parce qu’ils ne seraient pas ou plus assez « rentables ». C’est d’autant plus grave que ces villes sont extrêmement riches. Mais le problème est ailleurs. Visiblement les bourgeois de Zurich ne voulaient plus de Marthaler. Le comble est qu’il y a eu un référendum qui a plébiscité l’action culturelle, la population a indiqué de façon extrêmement claire que les augmentations de budget ne posaient aucun problème. On a reproché à Marthaler d’avoir moins de public. Avant, il y avait peut-être un public, mais ce théâtre était un cimetière.

On en revient au fait du prince : quand certains politiques sont gênés par le poète, ils le dégagent comme un malpropre. C’est une erreur politique grave parce que la force poétique du travail de Marthaler est telle que ce sera un manque. Ce que Berlusconi est en train de faire en Italie, c’est du même tonneau, avec Forsythe, c’est pareil. On ne veut plus d’immenses artistes en prétendant qu’on n’a pas d’argent, qu’ils ne font pas de public. Sur le plan de l’intendance, un certain nombre de politiques feraient mieux d’être plus modestes : en terme de gestion, je trouve que les saltimbanques ne gèrent pas si mal leurs affaires.

À Bobigny, à Vidy, votre travail plaide pour une circulation transnationale d’inventions théâtrales. N’y a-t-il pas le risque de produire, en fait, un théâtre « mondial », autrement dit « global »… un équivalent théâtral du luxe mondialisé ?

Si effectivement on peut constater que certains spectacles connaissent un parcours international, c’est simplement parce qu’à Hong Kong, à Los Angeles, Moscou ou Minneapolis – mais tout cela reste finalement très modeste au regard de la carte du monde – il y a quelques affinités électives ou sélectives qui font que, ici ou là, on est sensible à la nature de nos propositions. C’est tout. Mondialiser, globaliser, c’est encore une autre paire de manches. On est quand même dans le symbole, cela peut alors paraître inquiétant à certains. Peut-être que notre petite île, à Vidy au bord de l’eau, apparaît un peu insolente parce que les choses sont de plus en plus difficiles partout, mais je crois qu’on a décidé – tout en étant extrêmement lucides – eu égard à des situations politique, économique, sociale, préoccupantes, de rester désespérément optimistes.

Comment partir vers des territoires ? Vous travaillez avec des correspondants ? Vous voyez beaucoup de spectacles ?

Finalement peu. Des correspondants, non… Il y a forcément dans les affinités des choses qui nous reviennent. Mais je reste beaucoup sur le pont à Vidy. Néanmoins il peut m’arriver d’accompagner certains de nos spectacles et d’aller en voir d’autres au passage. Je vais de plus en plus vers ce que je ne connais pas. Une part d’information me parvient sans que je me déplace beaucoup. Cela ne sert à rien d’être un VIP de la création. Sans me déplacer je reçois beaucoup de choses, Vidy aspire. Ce que je trouve merveilleux c’est qu’il s’agit de toutes les générations de metteurs en scène, dont beaucoup de jeunes qui ont repéré qu’à Vidy c’était possible.

Une école à Vidy ?

Transmettre est difficile. Je comprends qu’on associedes écoles de théâtre à des lieux dirigés par des metteurs en scène comme le Théâtre National de Strasbourg. Si Matthias Langhoff était resté, je pense qu’il y aurait une école. En ce qui me concerne, je sais où je peux rendre le plus de service, et on ne peut pas tout faire. Il n’empêche qu’on ne va pas se priver d’organiser des ponts entre le nouveau Conservatoire de Suisse romande et Vidy. Mais l’enseignement doit conserver son autonomie et sa dynamique. Reste que la conjonction des deux peut être très bénéfique : dans ce lieu d’utopies, il y a des techniciens qui sont d’extraordinaires professionnels dans le domaine du son, de la lumière, des décors et qui peuvent transmettre leurs savoirs.

Ce que j’essaie de transmettre en dernier lieu, c’est qu’un lieu de spectacle vivant doit être impérativement un lieu de plaisir et de désir. Je crains qu’il existe un certain nombre de lieux de spectacle vivant qui aient oublié la terminologie : ce sont des lieux de spectacles pas du tout vivants.


de la rue blanche au bord de l’eau

Après l’École de la rue Blanche, René Gonzalez entre dans la troupe de José Valverde qui dirige le Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis. Codirecteur, il prend en charge la programmation avant d’en devenir seul responsable à partir de 1976. Pendant les presque dix années où il en assure la direction, le TGP devient un centre du spectacle vivant en région parisienne, participant à faire connaître le Groupe TSE d’Alfredo Arias, accueillant Klaus Michael Grüber, André Engel, Giovanna Marini, Jan Fabre, Gérard Desarthe, Philippe Clévenot. En 1983, le TGP, de scène municipale, devient Centre Dramatique National. 1985-1989 : René Gonzalez est à la tête de la Maison de la culture de Bobigny. Il y met en place le Centre International de Création et de Diffusion Artistiques qui fait de la cité ouvrière de Seine-Saint-Denis un lieu phare de la création théâtrale européenne. Au-delà du premier cercle – André Engel, Joël Jouanneau, Jean-Louis Hourdin, Jourd’heuil et Peyret, Gérard Desarthe, André Wilms –, Gonzalez accueille Bob Wilson, Peter Sellars, Alain Cuny, Matthias Langhoff, Anatoli Vassiliev, Lev Dodine, Vittorio Gassman, Marcello Mastroianni… Des auteurs – Pinget, Thomas Bernhard, Heiner Müller – sont à l’honneur. Impossible de tout citer. Après un bref passage à l’Opéra Bastille, Gonzalez est sollicité par Matthias Langhoff pour lui succéder à la tête du Théâtre Vidy-Lausanne E.T.E. (pour « Espace Européen Théâtral ») en 1990. Douze ans plus tard, le bilan témoigne d’un insatiable talent de producteur et de diffuseur de spectacles : Bruno Boëglin, Claude Régy, Benno Besson, Peter Brook, Jacques Lassalle, Luc Bondy, Klaus Michael Grüber, Brigitte Jaques, Hansgünther Heyme, Christoph Marthaler, Heiner Goebbels, Bartabas sont passés par le « théâtre au bord de l’eau ».