Vacarme 23 / Processus

Pour l’idiotie « Dancing », de Patrick Mario Bernard, Xavier Brillat et Pierre Trividic

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Comment une photo devient un corps ? Comment suspendre
le principe de non-contradiction  ? Comment fonctionne le désir au sein d’un couple ? Comment renoncer à ses contours ? Réponses dans Dancing [1].

« Le célibataire n’a rien devant lui et, de ce fait, rien non plus derrière. Dans l’instant, cela ne fait pas de différence, mais le célibataire n’a que l’instant. (…) Il n’a de sol que ce qu’il faut à ses deux pieds, de point d’appui que ce que peuvent couvrir ses deux mains. » Kafka écrit ces lignes dans son journal, une « nuit de la comète » de mai 1910. Au lecteur rêveur, elles évoqueront d’autres figures – le Bartleby de Melville, le Malone de Beckett. Vendons la mèche : le dancing qui donne son titre au film de Patrick Mario Bernard, Xavier Brillat et Pierre Trividic, est visité par un personnage de cette lignée.

Disons qu’il s’appelle Bernard. Il n’a pas de papiers, mais il est né de ce nom-là, qui est aussi celui de René Bernard, l’un des protagonistes du film, et de Patrick Mario Bernard, son interprète et l’un de ses réalisateurs. Un matin, René a trouvé dans un magazine la photo de deux clowns en robes-tablier vichy. Imprimée au revers d’un article consacré à Patrick, l’amant scénariste, elle lui est d’abord apparue dans la transparence de son portrait. Née du crâne de Patrick, la photo va faire son chemin dans la tête de René, puis dans son propre corps. Dancing raconte ce trajet.

Ceux qui connaissent Ceci est une pipe verront dans Dancing la poursuite de la question qui animait le film précédent de Trividic et Bernard, auquel avait déjà contribué Brillat : une interrogation sur la puissance des images, sur la confusion des choses et de leur représentation. Ceci est une pipe décrivait un trouble et en faisait la théorie. Dancing saute le pas et choisit de prendre la confusion à la lettre. La silhouette entrevue dans le journal s’incarne, et finira par partager une soupe avec René. Il est rare qu’une image finisse les restes.

Le film ne dit pas pourquoi c’est précisément cette image qui vient hanter René. Est-ce parce qu’il partage un nom avec ceux qu’elle représente (la légende du magazine indique qu’ils s’appellent les Bernard Brothers) ? Est-ce le duo masculin qui évoque le couple formé par Patrick et René (on entreverra d’abord deux silhouettes dans la cave du dancing) ? Est-ce la qualité propre d’une image qui fait écho, chez René le plasticien, à ses préoccupations d’artiste (la duplication, l’artifice) ? Tout cela sans doute, mais peut-être surtout la singularité et l’intensité de la présence de ces deux personnages qui déjouent toute tentation du jugement, inquiètent les catégories, interdisent le second degré. Voyez vous-mêmes, on les a reproduits dans le sommaire de Vacarme. Ils mettent tant de cœur à leur ouvrage qu’on ne sait pas s’ils sont pathétiques ou sublimes, admirables ou dérisoires.

À en croire les auteurs, la découverte de cette photo aurait été elle-même à l’origine du scénario. Les Bernard Brothers seraient un duo de fantaisistes anglais des années 1940 et 1950 ; on dit d’eux qu’ils inventèrent les numéros de play-back sur scène. Au-delà de l’anecdote, et même si le film ne s’embarque pas sur la piste documentaire, la manière des Bernard Brothers historiques s’inscrit subrepticement dans le récit de Dancing : ceux-là ont prêté leur corps à des voix qui n’étaient pas les leurs.

Un jour que Patrick s’est absenté, le Bernard du film se montre à René. Il lui a emprunté son corps massif, son crâne ras, sa moustache cosaque. Il porte à même les épaules la robe à bretelles de la photo ; un gros nœud du même tissu est fiché sur sa tête. Un peu Alice, un peu garçon de ferme, un peu diable en boîte, sa façon de ne ressembler qu’à lui résulte d’une multiplicité de références, qui provoque un court-circuit. Il a le buste raide, mais son visage est traversé par des impulsions convulsives. Les pieds vissés au sol et le bassin chaloupé, on dirait qu’il danse, mais il s’interrompt sans raison, et s’accroupit pour ramasser des cailloux. Il ne dit que les mots qu’on lui prête. Peut-être ne fait-il, au fond, qu’imiter ce qui l’entoure et qui le contemple : son instabilité ne serait que le miroir de la nôtre, qui le regardons, partagés entre l’inquiétude, le rire et la gêne ; à moins qu’elle ne soit celle du ciel de cette petite ville de Bretagne où le temps se fabrique à vue d’œil – météo incertaine, tempête à l’ouest, éclaircie brutale. Le Bernard ne fait que passer mais il ne demande rien. Il semble venir d’un lieu où la pensée a lâché prise, il partira sans laisser de message. Pour l’heure il est seulement présent – d’une présence aussi nue qu’irréductible.

Quand on les interroge, Bernard, Trividic et Brillat répondent que le Bernard est un « idiot ». Cette notion est au cœur du travail de Clément Rosset : « Idiôtès, idiot, signifie simple, particulier, unique ; puis, par une extension sémantique dont la signification philosophique est de très grande portée, personne dénuée d’intelligence, être dépourvu de raison. Toute chose, toute personne sont ainsi idiotes dès lors qu’elles n’existent qu’en elles-mêmes, c’est-à-dire sont incapables d’apparaître autrement que là où elles sont et telles qu’elles sont. » (Le Réel. Traité de l’idiotie). Chez Rosset, la reconnaissance de l’idiotie du réel est une exigence difficile de la pensée – contre la manie fâcheuse de ne voir dans ce qui arrive que ce qu’on savait déjà, de n’y retrouver que ses propres catégories et de l’assigner à résidence. C’est sans doute l’un des enjeux discursifs d’un film dont le seul événementconsiste en une arrivée : pour procéder d’une image et avoir mûri dans l’imagination de René, le Bernard excède, par sa présence, les conditions qui l’avaient rendu possible. Mais c’est aussi son pari plastique et scénarique : comment désamorcer chez le spectateur les réflexes du savoir préalable et des significations préconçues ? comment enregistrer une arrivée qui ne soit pas un retour ? comment, en d’autre termes, rendre compte d’un événement, de ce qu’il vient rompre d’habitudes, ébranler de certitudes, ouvrir dans l’ordre du possible et du devenir ?

À ces questions, Dancing répond en empruntant la voie du fantastique. La solution est apparemment paradoxale – peu de genres qui donnent comme celui-là prise aux lectures symboliques. Justement : l’extrême minutie avec laquelle le film performe les codes du genre permet, par contraste, de marquer la différence et de déplacer l’horizon d’attente.

On l’a dit, Dancing raconte la façon dont une hantise prend corps. Le film enregistre les étapes de cette incarnation, depuis les premières hallucinations jusqu’à la rencontre en chair et en os. Elle a significativement lieu dans une maison que son histoire rend propice aux apparitions : Patrick et René habitent un dancing désaffecté construit dans les années 1930. La journaliste à qui Patrick le fait visiter dans l’une des premières scènes du film ne s’y trompe pas : elle conclut son article par l’évocation rhétorique de « paisibles fantômes » qui n’attendraient que la nuit pour « reprendre leur bal silencieux ». L’ensemble de l’action se tient en Bretagne, à l’exception d’une courte embardée au Danemark, comme s’il fallait qu’on passât d’une terre de contes à une autre. Ici ou là, ce sont des forêts bruissantes qui réveillent des terreurs enfantines, des météores qui traversent le ciel en jetant leur lumière de magnésium. Le film tisse des correspondances bizarres (la traversée d’un chien noir sur la ligne d’horizon qui dialogue avec un scarabée filmé au premier plan), multiplie les rimes visuelles (la formation des nuages en accéléré dans le ciel breton et la dilution d’un médicament en poudre dans un verre d’eau), suscite les réminiscences (tel travelling arrière sur le visage cadré serré de René rappelle le Shining de Kubrick). Enfin, Dancingsemble obéir rigoureusement au principe d’indécidabilité entre explication rationnelle et surnaturelle, par lequel Todorov définit le genre fantastique. Dans la façon qu’ont les images et les nouvelles du monde de rentrer dans la tête de René pour ne plus en sortir, dans cette sensation, d’abord, que « quelque chose va arriver », puis que « tout fait un peu trop d’effets », le médecin diagnostique opportunément les symptômes d’une anxiété, puis d’une dépression. L’autre piste est formulée par un autre spécialiste, le physicien Arne Nygren, de l’Université royale de Copenhague, qui développe une théorie des univers parallèles. On s’en doute, elles ne suffisent ni l’une ni l’autre.

L’arrivée du Bernard, dans ce contexte, tranche résolument avec un système où le spectateur reconnaissait ses petits. Là où le double avait servi jusqu’à présent de matrice formelle et narrative (un couple, un duo de music-hall, des plans qui se répondent, des scènes redoublées, etc.), le Bernard apparaît dans une abrupte solitude. Il en va de son traitement visuel : pas de halo brillant, nulle évanescence, aucun effet, comme si son étrangeté était toute entière rassemblée dans son corps. Le film était en vers, le Bernard est en prose. Mais il en va aussi de la façon dont Dancing s’emploie à « décevoir » une attente. Le Bernard vient pour rien. Il ne demande ni son dû, ni la place.

Réclamer une dette, c’est le fait des revenants. Toutes les histoires de fantômes racontent cela. Un meurtre inexpliqué aurait pu avoir eu lieu dans la maison ; les Bernard Brothers, avec leur dégaine impossible, auraient pu avoir été lynchés par la communauté villageoise ; le dancing aurait pu avoir été construit à l’emplacement d’anciennes tombes gaéliques. Mais le Bernard ne revient pas : il arrive.

Quant à exiger la place, c’est l’apanage des doubles. Le Bernard aurait pu apprendre à René qu’il était le plus vrai des deux ; il aurait tenté de le convaincre définitivement de sa faiblesse et de sa folie ; l’hésitation fantastique aurait trouvé sa conclusion dans la victoire définitive de l’un sur l’autre, au terme d’un conflit sans relâche – soit une résolution rationnelle (René aurait recouvré la raison), soit une échappée surnaturelle (le Bernard aurait investi son âme après avoir pris son corps). Trividic, Bernard et Brillat écartent ces deux solutions d’autant plus manifestement qu’ils en avaient installé les conditions.

Le fantastique auquel convie Dancing est un réalisme, non seulement parce qu’il est dépourvu d’effets, mais parce que la seule « révélation » à laquelle il conduit tient dans la reconnaissance de l’inintelligibilité d’un réel auquel on ne parviendra pas à faire rendre raison, de l’étrangeté de la présence des choses et des êtres, de cette insignifiance et de cette indifférence qui caractérisent le Bernard. S’il prétend n’administrer qu’une preuve, c’est celle de l’existence hors de la pensée, dont témoignent d’ailleurs l’attention de l’image à la vitalité irrépressible du monde, et la finesse d’une bande son qui la manifeste sans cesse. L’impossibilité de trancher entre le rationnel et le surnaturel, entre le littéral et la métaphore, relève moins de l’hésitation que du choix – le seul qui ne cède pas au sacrifice d’une solution pour une autre et à la violence qu’il suppose.

On s’était peut-être trompé quand on avait cru voir dans Arne Nygren, avec sa théorie des univers parallèles, un gourou de l’irrationnel, l’alternative au sage discours du médecin. On avait oublié que le Danemark, où Nygren est physicien, n’est pas seulement la patrie d’Andersen (pour le merveilleux) et d’Hamlet (pour les fantômes), mais aussi de Niels Bohr (pour la physique quantique). La conception de Nygren des univers parallèles, qui rompt avec le principe de non-contradiction (« Ce n’est pas l’un et l’autre, c’est l’un ou l’autre. Les deux sont vrais. ») est la formulation romanesque du concept de « complémentarité », qui veut que les corpuscules et les ondes, sur la distinction desquels reposait la physique classique (soit l’un, soit l’autre) soient en fait deux aspects complémentaires de la réalité (l’un et/ou l’autre). Le Bernard est pour Patrick le même et l’autre, les deux sont vrais. Les Bernard Brothers sont sublimes et pathétiques, Bernard est un nom propre et commun, tout cela est encore vrai.

Le tour de force du film n’est toutefois pas dans cette leçon, ni seulement dans la manière dont le motif y est partout disséminé. Il tient à une organisation narrative qui semble aller à l’encontre du sens commun et du savoir intime de ce que devrait être, en toute rigueur, une bonnehistoire. Pas de doute, Dancingraconte une histoire prenante ; mais il récusele principe narratologique de base qui veut qu’une histoire procède d’une crise, s’achève dans sa résolution, et que le sens progresse à cette condition. Ce n’est pas qu’il n’y a pas de crises dans Dancing, c’est qu’il y en a trop, c’est qu’aucune ne parvient à satisfaire l’intelligence du récit, c’est qu’elles se révèlent toutes à la fois incontestables et accessoires. De même que Trividic, Bernard et Brillat produisent un personnage dépourvu de résonance par excès de références, ils font disjoncter la mécanique dialectique du récit par la multiplication des crises possibles. Le Bernard survient-il à la faveur d’une panne créative ? Après tout, le film montre avec précision un plasticien au travail. L’hypothèse n’est pas fausse : René rencontre des problèmes, et son galeriste le rappelle à l’ordre et au calendrier. On le voit pourtant sans cesse à l’œuvre, et c’est surtout Patrick qui témoigne de la difficulté qu’il éprouve à écrire son scénario. S’agit-il plutôt d’une crise amoureuse ? C’est possible, si l’on en croit quelques réflexions aigre-douces adressées à Patrick par René dans l’une des premières scènes, mais l’hypothèse reste en plan : Dancing observe le couple dans un fonctionnement qui, pour être routinier, n’est jamais critique. Une crise du désir, alors ? Et pourtant ils baisent, même si René, un soir, « n’y est pas ».

Si le film ne progresse pas selon le modèle classique de la crise à surmonter, c’est pour les mêmes raisons qu’il refusait tout à l’heure de trancher entre des hypothèses contradictoires, ou de souscrire à la logique conflictuelle inhérente aux histoires de fantômes (paie ta dette) et de double (laisse ta place). Dancing est un grand film non violent. Son moteur narratif n’est pas dans la crise, mais dans le lâcher prise.

Retour à la case départ. Les premières scènes font visiter avec une application presque tropexemplaire un monde impeccablement balisé. L’agencement du dancing obéit à une stricte répartition des espaces privés et publics, des locaux de travail et des lieux de vie. La distribution professionnelle au sein du couple semble résulter d’une sorte de Yalta artistique : à René les images et le visible, à Patrick les histoires et la parole. L’univers initial de Dancingest d’une stabilité à toute épreuve : complet, clos, autarcique, comme cette carapace de crabe que décrit un documentaire animalier entrevu à la télévision (« On est protégé sans même s’en rendre compte »). S’il y demeure des communications avec le monde, elles sont soigneusement contrôlées : blanc de Meudon badigeonné sur les fenêtres, à peine effacé par endroits pour ménager la visibilité ; postes de télévision qu’on éteint ou allume à sa guise.

Tout est donc disposé pour que rien n’arrive. Mais les frontières ne sont jamais assez étanches. Le sale temps mord à l’intérieur de la maison. On n’est pas à l’abri d’une image dans un magazine, ni surtout des nouvelles du monde. Elles occupent la bande son comme un élément musical. Elles parlent de centres de rétention, de clôture des frontières, de ces réfugiés échoués à Calais qui n’aspirent qu’à traverserla Manche. Alors que les Bernard ne sont encore qu’une photo, René a une vision qui le conduit illicochez le médecin. À la télévision, un Kosovar de Sangatte dit le prix qu’il a dû payer pour acheter un droit de circulation qu’il se voit maintenant refuser. Derrière lui on aperçoit une silhouette : la caméra de Dancing zoome sur l’écran de télévision : le réfugié au second plan a la tête de René. On disait que le Bernard arrivait dans le dancing à la faveur d’un nom et d’une image. Il naît aussi de cette nouvelle : partout en Europe, des étrangers butent sur des frontières et s’y affrontent au risque de leur vie.

Dancingne fait pas pour autant de son récit une parabole de l’accueil, ni du Bernard un réfugié symbolique. En posant la question des frontières et des identités, le film décrit les conditions d’une arrivée. Le Bernard ne peut advenir dans l’univers de René que parce que ce dernier a renoncé à ses propres frontières, à des clôtures obstinément verrouillées. Mais le Bernard engage, à rebours, René dans un devenir, il le plonge dans le temps des métamorphoses. C’est le secret bouleversant de Dancing, qui permet de comprendre pourquoi il ne devait pas y avoir de contradiction entre le même et l’autre, pourquoi le Bernard pouvait être en même temps l’identique et l’étranger. L’autre, dans ce film, c’est à la fois l’étranger qui arrive sans frapper et celui qu’on devient si d’aventure on prend le risque de ne plus coïncider avec ses contours.

Le Bernard imitait René ; René imite le Bernard quand, vêtu d’une robe découpée dans du plastique à bulles, il en reproduit la danse pour Patrick et Maurice, son galeriste. Et ce devenir est contagieux : Dancing inaugure un cycle de métamorphoses. Avant Maurice, c’est Patrick qui s’y engage, en acceptant à son tour de devenir un Bernard, selon des modalités qu’on ne trahira pas. Auparavant, quand René lui avait demandé s’il s’appellerait comme lui Bernard au cas où ils seraient mariés, Patrick avait doucement récusé la question.

Elle n’était pas une plaisanterie, pourtant. Car le couple est l’une des clés du film, sinon son sujet. Dancingest aussi évidemment une histoire d’amour qu’il est un film fantastique. Mais il la raconte, là encore, à contre-pente. Ni récit d’une crise conjugale, ni passion fatale : le conflit, on l’a dit, n’est pas le genre de la maison. Un soir, René propose à Patrick de lui « remettre les idées en place », et l’on comprend très vite qu’il s’agit d’une suggestion sexuelle. Patrick n’en a pas le « courage », mais il rend la pareille : c’est lui qui remettra les idées en place à René. En débarrassant la représentation amoureuse de ses clichés romanesques, les trois auteurs se collettent avec une question stupéfiante et enthousiasmante : comment fonctionne le désir à l’intérieur d’un couple ? Cette scène avance une réponse en deux temps. 1) le désir peut faire l’objet d’une négociation – il n’y a qu’au cinéma que le désir est toujours synchrone. 2) le désir est aussi affaire de techniques. C’est l’un des mérites de la pornographie, ou de ce qui s’en approche, que de rendre justice à cette dimension-là : au plan suivant, René dévisse un embout de douche et le remplace par un tube de métal : les corps étant ce qu’ils sont, un cul peut être plein de merde, et le sexe requérir des préalables.

Cette scène n’est pas une parenthèse, qui ferait diversion à l’affaire du Bernard. Qu’est-ce qu’un couple, demande encore le film ? et c’est une autre façon de poser la question du lien entre le même et l’autre. 1) un couple est un espace de métamorphoses ; un lieu où l’on prend le risque de devenir un autre que soi – on pense cette fois au Kubrick d’Eyes Wide Shut, où Tom Cruise devenait le rêve de Nicole Kidman. 2) un couple forme une entité idioteau sein de laquelle chacun des protagonistes est à la fois lui-même et un autre. Les deux sont vrais, et c’est vrai de tous les couples. L’homosexualité de Patrick et René n’y est pour rien. Celui qui écrit ces lignes s’est affronté si souvent à l’argument selon lequel l’homosexualité priverait de « l’expérience éthique de l’altérité » qu’il ne peut s’empêcher d’y trouver un ultime motif d’allégresse. Pierre Trividic : « L’autre n’est pas le différent. La différence relève d’une nomenclature, d’un découpage préétabli. Elle relève d’un savoir déjà bouclé, qui permet de nommer les différences et de les décrire. L’autre est ce qui, en arrivant, met ce savoir hors-jeu. L’autre, en fait, c’est toujours l’autre, celui qu’on n’attendait pas. En arrivant, il prend de court, parce qu’il périme les découpages des savoirs établis. Au moment où on croit pouvoir l’attendre sous le visage du différent, il peut très bien se présenter sous le visage du pareil. »

La preuve est dans Dancing.

Notes

[1En salles le 30 avril 2003