Vacarme 23 / Chroniques

Le bon mot de monsieur Pigeon

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Il est plus difficile de s’appeler Poulet que Bœuf dans le cadre d’une équipe de jeunes.

Dans les buts, Bruetschy ou Butticker. Au niveau championnat départemental minimes, le choix du gardien s’effectue souvent par défaut. Butticker jouait dans les buts parce qu’il était quand même très très gros, et Bruetschy parce qu’il était très très mauvais au football. Les membres de l’équipe ne s’adressaient à lui que pour lui dire « Bruetschy, tu es une croûte ». Pourquoi venait-il avec tant d’assiduité se faire humilier aux entraînements ? J’ai beaucoup médité sur cette question. Mon poste d’arrière droit et ma façon de l’aborder m’en laissaient le temps. Je pense avoir été un des arrières latéraux les plus contemplatifs du football français.

Arrière gauche, Benoît Bœuf. Le patronyme animalier des deux latéraux de l’équipe autorisait à l’entraîneur – Monsieur Pigeon – une blague récurrente : « Bœuf du nerf, Poulet à l’aile. » Rires. Cette expérience me permet d’affirmer qu’il est plus difficile de s’appeler Poulet que Bœuf dans le cadre d’une équipe de jeunes. J’accorde d’ailleurs une grande attention à la carrière du joueur de première division qui s’appelle Patouillard.

En charnière centrale jouait un drôle de type complètement lymphatique et pas très adroit. Il s’appelait Hol. Inamovible dans l’équipe, du fait que son père était dirigeant et nous emmenait personnellement jouer les matchs à l’extérieur. Je me souviens maintenant que pour ces matchs, nous avions rendez-vous au café Bruetschy. Ce qui explique, hormis la surcharge pondérale, le net avantage que possédait Bruetschy sur Butticker pour un poste de titulaire.

Je ne me rappelle plus le nom du stoppeur. Il était d’ailleurs assez discret, récupérait tous les ballons et semblait constamment désolé du niveau général de l’équipe.

Milieux de terrain, les frères Dalamano. César et Robert Dalamano. Élégance italienne, des yeux incroyables et bons au foot. César, un jour que j’intervenais pour éviter à Bruetschy une nouvelle humiliation, m’a demandé, incrédule et un peu écœuré : « tu as pitié ? » J’ai beaucoup médité sur cette question. Bien sûr j’avais pitié. Une autre fois, particulièrement inspiré, je dribblai deux joueurs adverses. César m’a lancé : « tu te prends pour Chico ? » J’ai beaucoup médité sur l’idée qu’en étant brillant, je sortais immédiatement de mon personnage.

Chico avait du poil aux jambes et une moustache naissante. Il dribblait super bien, marquait des buts et tout le monde l’appelait Chico. Pas la même classe tout de même que les frères Dalamano. L’éternel combat entre l’Italie du Nord et le Mezzogiorno. Juventus contre Napoli.

Ailier gauche, Schaal. Complètement blond et complètement blanc, il détonnait un peu dans une ligne d’attaque plutôt méridionale. Schaal était gaucher et il courait très vite. Il gagnait des coupes en cross country. Il voulait être sympa avec moi, mais il était tellement habitué à parler alsacien que je le comprenais parfois à peine.

Wassmer complétait la ligne d’attaque. Il était rachitique, aîné d’une famille nombreuse. Un soir, il m’a invité à venir voir un match chez lui. Quand je suis arrivé, il s’est précipité à ma rencontre pour me demander de dire que la télé était cassée chez moi. Monsieur Wassmer était alcoolique et effrayant, j’ai passé une soirée horrible. J’aimais bien Wassmer et je crois qu’ensuite j’ai un peu médité.

Un jour, un nouveau est arrivé. Il s’appelait Richard, était noir et l’attitude de mes camarades à cet égard m’a plongé dans une douloureuse méditation. Mais les temps ont bien changé et depuis, Anelka l’a vengé.