7 jours bruitistes aux Buttes Chaumont

Troisième jour, en hauteur depuis les branchages d’un arbre : mercredi

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J’entends des sons semblables à ceux du deuxième jour. Mais le frou-frou continuel de la pluie légère qui tombe et la pelouse alentours étouffent les voix. Pendant près d’une demi-heure des milliards de petits battements s’enchaînent, dans une respiration inaudible et périodique. Quand la pluie cesse, on n’entendra plus que le son mat de quelque grosses gouttes qui frappent les feuilles de platane à proximité du micro. Toute une série de sons s’étagent plus loin, sans ordre : des crissements rythmiques, des sons gutturaux, des trilles aigus, des lambeaux de mélodies apportés par le vent. J’écoute et réécoute certains passages précis de manière à les mémoriser, pour les isoler et identifier progressivement les sons. Les écoutes successives, de fait, sont une manière de découper la bande sonore : on isole toujours des laps de temps cohérents, des cellules qui s’articulent les unes sur les autres dans une forme déterminée. J’ai également dans l’oreille ces paroles de Brian Eno rapportées par David Toop dans Ocean of Sound :

J’ai fait une expérience. Depuis que je l’ai faite, je pense qu’il s’agit plutôt d’un bon exercice que je recommanderais à d’autres personnes. J’avais emporté avec moi un magnétophone DAT à Hyde Park et, à proximité de Bayswater Road, j’ai enregistré un moment tous les sons qui se trouvaient là : les voitures qui passaient, les chiens, les gens. Je n’en pensais rien de particulier et je l’écoutais assis chez moi. Soudain, j’ai eu cette idée. Et si j’en prenais une section – une section de trois minutes et demies, la durée d’un single – et que j’essayais de l’apprendre ? C’est donc ce que j’ai fait. Je l’ai entrée dans SoundTools et j’ai fait un fondu d’entrée, j’ai laissé tourner pendant trois minutes et demie, puis un fondu de sortie. Je me suis mis à écouter ce truc sans cesse. Chaque fois que je m’asseyais pour travailler, je le passais. J’ai enregistré sur DAT vingt fois de suite ou quelque chose comme ça, et donc ça n’arrêtait pas de tourner. J’ai essayé de l’apprendre, exactement comme on le ferait pour une pièce de musique : ah oui, cette voiture, qui fait accélérer son moteur, les tours minute montent et puis ce chien aboie, et après tu entends un pigeon sur le côté là-bas. C’était un exercice extrêmement intéressant à faire, avant tout parce que je me suis rendu compte qu’on peut l’apprendre. Quelque chose d’aussi complètement arbitraire et décousu que ça, après un nombre suffisant d’écoutes, devient hautement cohérent. Tu parviens vraiment à imaginer que ce truc a été construit, d’une certaine façon : « ok, alors il met ce petit truc-là et ce motif arrive exactement au même moment que ce machin. Excellent ! » Depuis que j’ai fait ça, je suis capable d’écouter beaucoup de choses tout à fait différemment. C’est comme se mettre dans le rôle de quelqu’un qui perçoit de l’art, de décider simplement : « Maintenant, je joue ce rôle. »

Eno isole une portion de field recording entre deux silences. Il pratique deux fois une découpe dans le continuum sonore : une première fois par l’acte même d’enregistrer, une seconde en isolant un fragment particulier qu’il va ensuite construire (comme on construit une phrase latine que l’on traduit) à l’aide de découpages internes. En proposant des points d’écoute impossibles, Chris Watson opérait, lui aussi, de son côté, avec ses fourmis, une découpe spécifiquement musicale.

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