7 jours au Caire

22 novembre 2013

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J’ai rendez-vous avec le musicien Salam Yousry au café Horreya, temple des marginaux, de la petite bourgeoisie libérale et des journalistes étrangers, qui discutent à l’infini de cette révolution qui ne trouve ni son programme ni ses leaders, et semble n’intéresser plus qu’eux. Le panoptique Horreya, aux murs tapissés de miroirs, où l’on boit des Stella tièdes sous le souffle des ventilateurs, protégé des regards de la rue par de grands panneaux en carton qui bouchent les fenêtres. Comme pour tous les bars vendant de l’alcool, il est hors de question que l’on puisse apercevoir les consommateurs de l’extérieur et Milad, historique serveur de Horreya – dont on dit qu’il a commencé à travailler à l’âge de 5 ans – a fait poser ces grands cartons jusqu’à hauteur d’homme. Cela crée une drôle d’impression d’enfermement, compensée par les glaces qui permettent d’observer les moindres recoins de la salle.

Photo Zoé Carle

Salam arrive. Malgré sa moustache d’ottoman qui lui donne un air de Frère musulman, il est considéré comme un révolutionnaire. Il dit pourtant qu’il ne se sent pas militant, qu’il a arrêté toute forme d’engagement actif dans des groupes politiques depuis la bataille de Mohamed Mahmoud en 2011. Il préfère se consacrer à sa chorale, qui s’appelle Mashrou3 Choral. « Ça oui, c’est révolutionnaire », dit-il, pas peu fier. « C’est une exploration collective, sans chef, tout le monde apporte sa pierre à l’édifice et les chansons s’écrivent spontanément. » Il revient d’Azerbaïdjan où il a mené un atelier, sans comprendre la langue : mais ça a marché quand même.

Ammar Abo Bakr le graffeur nous rejoint. Cheveux fous et lunettes en écaille, sorte de hipster de Haute-Égypte. Ils parlent du type tué l’autre soir par la police. Un mec qui se trouvait là par hasard. La police l’a pris pour cible. Puis les heurts ont continué jusque tard dans la nuit, entre la police et les manifestants, dans un centre-ville saturé de gaz lacrymogènes.

Photo Zoé Carle

Le soir tombe doucement. Salam part pour une répétition. Nous nous promenons dans le Wast avec Ammar dont le sac à dos est plein de pinceaux et de carnets de croquis. On va vérifier sa planque à couleurs dans un garage souterrain, derrière une pile de canapés défoncés, puis il m’explique le sens de ses graffitis posés rue Mohamed Mahmoud. Le bout de la rue est maintenant barré par deux rangées de fils barbelés et trois tanks autour desquels des militaires attendent. « Ne prends pas de photos, je ne veux pas qu’ils me fouillent. » On parle des martyrs qu’Ammar peint avec entêtement sur les murs du centre-ville : « J’en ai marre des martyrs, c’est devenu commercial. Les gens viennent avec des photos de leurs enfants et me demandent de représenter leurs morts mais, déjà, je ne travaille pas sur commande, et ensuite, comment choisir entre les martyrs ? Les gens disent : “Mon fils est mort et j’aime venir au mur où vous l’avez peint.” Mais je les emmerde. J’ai recouvert le mur parce que ces martyrs, ils sont morts et que nous, nous voulons vivre. Il faut initier une nouvelle phase. » Donner de la beauté au peuple égyptien, occuper les murs, rendre leur ville aux Égyptiens. Il n’a que le mot peuple à la bouche. Le lendemain, il peindra un nouveau martyr sur le mur, un enfant abattu pendant une manifestation. À n’y plus rien comprendre. Ammar est comme ça, il dit une chose et fait sans problème son contraire.