7 jours au Caire

23 novembre 2013

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Je suis en colère. Contre ce type qui m’a touchée dans la rue. Contre moi, surtout, qui n’ai pas réussi à réagir. Ce n’est pas la première fois que cela arrive, mais c’est toujours toujours terriblement humiliant. Je suis arrêtée au milieu de la rue. J’essaie de reprendre mon souffle, de calmer les battements de mon cœur. L’homme qui marchait devant moi, je ne m’en méfiais pas. L’homme s’est retourné brusquement et m’a agrippé le sein en me susurrant des saletés. Je me suis débattue, je l’ai repoussé et je suis partie en courant en entendant longtemps son rire résonner. Pourtant il n’était pas tard, pourtant nous n’étions pas seuls. Aurais-je dû le frapper ? Il était tellement plus fort. Je me sens vulnérable, je sursaute à la moindre occasion dans la rue. Welcome to Egypt, Beautiful, Fuck you.

Je trouve refuge auprès d’Hicham installé au café Bustan. Bustan, c’est le jardin. Jardin, c’est beaucoup dire. Plutôt quelques arbres qui poussent dans une allée entre deux immeubles délabrés et où sont disposées quelques chaises en plastique pour le thé koshari et les chicha. Je ne raconte pas mon histoire à Hicham. Elle est si banale. Tous les jours, des milliers de femmes en font l’expérience, dans la rue, dans les microbus et le métro. Un sport pratiqué par tous les hommes. Des plus jeunes aux plus vieux. Des plus riches aux plus pauvres. On ne compte plus les témoignages de femmes rapportant des histoires bien pires que la mienne. Des groupes se sont formés pour essayer de lutter contre ce qu’on appelle le ta7arrosh – mot immense qui peut désigner aussi bien les simples interpellations dans la rue que les épouvantables viols collectifs qui ont rythmé les rassemblements depuis deux ans. Mais il est difficile de lutter quand les femmes qui osent témoigner sont traînées dans la boue, humiliées par les autorités quand elles viennent déposer plainte, ou quand les hommes politiques et les présentateurs les vilipendent à la télévision.

Les cafés du Caire. Les cafés de longue attente où le temps se consume en cigarettes et en conversations politiques. Un gamin des rues vient nous vendre des mouchoirs. Il regarde ce que je dessine sur un carnet. Je lui tends le stylo. Il s’enfuie en courant vers le café Riche derrière lequel nous sommes nichés. Le café de la vieille garde intellectuelle, où aimaient à venir Oum Koulthoum, Naguib Mahfouz et les étoiles littéraires de la grande époque. Un lieu en voie de moisissure, selon certains. Un militant m’a raconté qu’un jour il passait devant pour rejoindre les affrontements de la rue Mohammed Mahmoud et qu’il y a entraperçu un groupe de vieillards regardant un ballet de danse classique à la télévision. Mais les journalistes cairotes continuent de s’y réunir tous les vendredi matins sous le regard sévère du patron, Magdi.