Vacarme 71 / Cahier

Castro par lettres

par

Réécrire les textes, c’est-à-dire les allonger, les réduire, les concentrer, les croiser, les hybrider, bref en tirer tout le plaisir qu’on peut par une lecture qui s’écrit éphémèrement avant de disparaitre. « Castro par lettres » ouvre une série stendhalienne en laquelle chaque roman ou nouvelle finira en lettres, mots doux, billets, messages, et acabit.

J’examinais cette écriture, je reconnaissais ta main, mais non ton coeur.

Enfin, après quelques minutes d’hésitation, elle prit le bouquet, et, en touchant les fleurs dans l’obscurité profonde, elle sentit qu’un billet était attaché à la tige d’une fleur. Elle avait préparé cinq ou six petits billets tracés sur des chiffons de vieux papiers souillés avec de la terre détrempée d’eau, tels qu’on peut en trouver sur les dalles d’une église ; ces billets contenaient tous le même avertissement. En rentrant chez elle, une heure après, elle trouva sur le grand escalier du palais un fragment de papier qui attira ses regards par sa ressemblance exacte avec ceux dont elle s’était servie le matin. Ce ne fut toutefois que le troisième jour qu’enfin il eut l’espoir de faire parvenir une lettre à Hélène. Par ses ordres, l’on suivait exactement les deux sœurs converses chargées d’acheter une partie des approvisionnements du couvent ; l’une d’elles avait des relations avec un petit marchand. Et, enfin, sur le soir, Hélène écrivit à son amant une lettre naïve, et, selon nous, bien touchante, dans laquelle elle lui racontait les combats qui avaient déchiré son cœur. C’est pourquoi elle le faisait prier de remettre ses dépêches à une petite sœur que l’abbesse avait envoyée pour les prendre. A quoi Jules répondit que, dans le désordre qui avait accompagné l’agonie imprévue du seigneur de Campireali, il n’avait qu’une simple lettre de créance écrite par le médecin, et qu’il devait donner tous les détails de vive voix à la femme du malade et à sa fille. Ce fut donc en vain qu’Hélène, de retour dans Albano, écrivit lettres sur lettres, et dépensa, pour les faire porter à Branciforte, tous les sequins qu’elle avait. Les deux moines âgés, qui étaient devenus ses amis, car l’extrême beauté, dit le chroniqueur de Florence, ne laisse pas d’avoir quelque empire, même sur les cœurs endurcis par ce que l’héroïsme et l’hypocrisie ont de plus bas ; les deux moines, disons-nous, avertirent la pauvre fille que c’était en vain qu’elle cherchait à faire parvenir un mot à Branciforte. J’engage votre Révérence à lire cette lettre du vice-roi un peu mon parent, qui daigne m’annoncer cette nouvelle. Jules ne put rien refuser à l’ami de son père ; mais, avant tout, il voulait prendre les ordres d’Hélène. Le prince daigna se charger d’une longue lettre ; et, bien plus, permit à Jules de lui écrire de Flandre une fois tous les mois. Enfin, l’amant désespéré s’embarqua pour Barcelone. Toutes ses lettres furent brûlées par le prince, qui ne voulait pas que Jules revînt jamais en Italie. Le prince passait sa vie à lire et relire certaines lettres arrivées de Flandre. Elle était encore dans les premiers jours de son grand deuil, lorsqu’une main parfaitement inconnue lui remit une lettre de Jules. C’était pourtant bien l’écriture de Jules ; elle fut examinée avec la plus sévère attention. La lettre parlait d’amour ; mais quel amour, grand dieu ! La signora de Campireali, qui avait tant d’esprit, l’avait pourtant composée. Son dessein était de commencer la correspondance par sept à huit lettres d’amour passionné ; elle voulait ainsi préparer les suivantes, où l’amour semblait s’éteindre peu à peu. Une heure après, un de ses gens, expédié en courrier, portait la lettre suivante à sa mère, qui depuis dix années habitait Rome et y avait su acquérir un grand crédit. Quoique gravement indisposé, il prit la résolution de quitter Castro ; mais, avant de partir, il écrivit à l’abbesse. Eh bien, tiens-toi en dehors de ma prison ; je vais écrire une longue lettre que tu lui remettras toi-même ; je ne veux pas qu’elle passe par d’autres mains que les tiennes, n’ayant rien pour la cacheter. Tu peux lire tout ce que contiendra cette lettre. Je reçus tout d’abord une trentaine de lettres de toi ; juge des transports avec lesquels j’ouvrais les premières ! mais, en les lisant, mon cœur se glaçait. J’examinais cette écriture, je reconnaissais ta main, mais non ton cœur. Songe que ce premier mensonge a dérangé l’essence de ma vie, au point de me faire ouvrir sans plaisir une lettre de ton écriture ! J’ai fini, lui dit-elle, je crains que nos ennemis ne s’emparent du souterrain. Va vite prendre ma lettre qui est sur la table, et remets-là toi-même à Jules, toi-même, entends-tu ?