Vacarme 19 / Arsenal

l’hallali anti-homo les 52 du Queen Boat

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Récemment, l’état égyptien jetait sur le devant d’une scène apocalyptique une minorité homosexuelle nouvellement visible. Nous nous sommes demandé ce que signifiait ce mauvais carnaval. Pourquoi les défenseurs des libertés civiles en égypte restent-ils muets ? Comment la société est-elle intimement affectée par ses prohibitions religieuses, et comment s’en accommode-t-elle ? enquête dans le pays qui fut un jour le plus moderne du monde arabe.

Dossier coordonné par Emmanuelle Gallienne & Jean-Philippe Renouard

Au Caire, le Queen Boat est une discothèque amarrée sur le Nil. S’y croisaient noctambules égyptiens, touristes, et une minorité homosexuelle qui en avait fait un lieu de rencontre.

Le 11 mai 2001, la fête bascule dans la tragédie. Dans une rafle conduite par la police de sureté de l’Etat, 55 personnes sont arrêtées, sur le Queen Boat mais aussi aux alentours, tous des hommes, tous égyptiens, tous présentés comme homosexuels. Trois sont relâchés dans les heures qui suivent. Pour les autres, un terrifiant cauchemar commence.

Une presse -instrument du gouvernement- s’empare de l’affaire, publie les noms et les photographies des présumés coupables. Tout est bon pour distraire l’Egyptien de la rue de ses difficultés quotidiennes, occulter une situation économique exaspérante et un climat politique délétère.

Rien dans la loi égyptienne ne condamnant explicitement l’homosexualité, il faut imaginer d’autres charges. La police avance l’histoire -fausse- d’une célébration de mariage gay, les journaux invoquent une secte satanique, le sionisme, un complot étranger... Le 18 juillet 2001, enfermés dans une cage exiguë, cherchant désespérément à échapper aux flashes des photographes, les prévenus comparaissent devant un tribunal militaire d’exception. On ne compte bientôt plus les irrégularités de procédure, les tortures pour obtenir des aveux, ni les examens intimes pour de sordides constats médicaux.

Deux jeunes hommes sont jugés le 18 septembre devant un tribunal pour mineurs et condamnés à trois ans d’emprisonnement et trois ans de probation. Pour les autres, le procès se poursuit jusqu’au 14 novembre. Dans une ambiance survoltée tombe le verdict : cinq et trois ans de travaux forcés pour « attentat à la pudeur » et « mépris de la religion » pour les deux présumés « leaders » ; deux ans de travaux forcés pour « attentat à la pudeur » sont infligés à vingt autres ; un dernier est condamné à un an pour le même motif ; 29 sont relaxés. Gradations absurdes de condamnations révoltantes qui signent l’embarras des autorités judiciaires.

L’absence de réactions en Egypte et à l’étranger -exception faite des ONG de défense des droits de l’homme- a encouragé à poursuivre cette « si bienvenue » politique anti-homo tellement populaire et qui coûte si peu cher. La police égyptienne s’est depuis spécialisée : une section est vouée à la traque aux homos sur le net... avec faux rendez-vous et vrais guet-apens. Arrestations et condamnations arbitraires se multiplient : de converser dans un chat, d’organiser un anniversaire entre mecs tout comme de louer un appartement à plusieurs a coûté, ces derniers mois, à des gays égyptiens des peines de prison ferme et de travaux forcés.

Atomisée, sans soutien intérieur ni extérieur, la communauté gay égyptienne se terre tandis que le gouvernement Moubarak affiche avec une fierté obscène son rôle de gardien des bonnes mœurs face à des islamistes qui se sentent pousser des ailes... Pour l’heure, les anges sont derrière les barreaux.