Journal de l’Opération sabotage littéraire

Deuxième journée. Objectif : publicité à vocation immobilière

par

9h48 : état des lieux

Rien à signaler sur le fil d’actualité : le Brésil, la Moravie Silésie, la SNCF les rides et... on ne sait pourquoi une invitation à écouter RTL... Bref nous sommes en été, je suis une femme, je n’ai pas vingt ans et c’est la Coupe du monde.

Les rides (oui j’ai compris), ainsi que le Brésil et une garde d’animaux sont toujours là sur ma page dite personnelle.

9h50

J’appelle Prévert à la rescousse et lance, sans plus attendre, ma première citation immobilière :

Dans ma maison vous viendrez
D’ailleurs ce n’est pas ma maison
Je ne sais pas à qui elle est
Je suis entré comme ça un jour
Il n’y avait personne
Seulement des piments rouges accrochés au mur blanc
Je suis resté longtemps dans cette maison
Personne n’est venu

10h12

Sur ma page personnelle, Big B. se met sur le sentier de la guerre et me propose à nouveau (il est loyal) des habits militaires, sans oublier de m’envoyer des piques : lotions de soin et remboursements de frais dentaires (ciel mes implants), tout cela sur le fil d’actualité.

10h14

Je balance ma seconde citation immobilière (empruntée à Balzac et plus exactement à Pierrette) :

Dans ce bout, le plus paisible de la place, le jeune ouvrier reconnut la maison qu’on lui avait indiquée : une façade en pierre blanche, rayée de lignes creuses pour figurer des assises, où les fenêtres à maigres balcons de fer décorés de rosaces peintes en jaune sont fermées de persiennes grises. Au-dessus de cette façade, élevée d’un rez-de-chaussée et d’un premier étage, trois lucarnes de mansarde percent un toit couvert en ardoises, sur un des pignons duquel tourne une girouette neuve. Cette moderne girouette représente un chasseur en position de tirer un lièvre. On monte à la porte bâtarde par trois marches en pierre. D’un côté de la porte, un bout de tuyau de plomb crache les eaux ménagères au-dessus d’une petite rigole, et annonce la cuisine ; de l’autre, deux fenêtres soigneusement closes par des volets gris où des cœurs découpés laissent passer un peu de jour, lui parurent être celles de la salle à manger. Dans l’élévation rachetée par les trois marches et dessous chaque fenêtre, se voient les soupiraux des caves, clos par de petites portes en tôle peinte, percées de trous prétentieusement découpés. Tout alors était neuf.

11h12 : il ne se passe rien

Aucun changement sur ma page personnelle. Et sur mon fil d’actualité non plus, si ce n’est qu’on me propose à nouveau de présenter mon chat à un concours du plus beau chat (Big Bro, tu es un peu lent : les chats, c’était hier).

Il est temps de dégoupiller ma troisième citation...

11h20 : après quelques hésitations

Après quelques hésitations, je me décide pour Nathalie Sarraute :

Je suis surprise en voyant que les objets qui m’appartiennent ne sont plus dans ma chambre, une assez vaste chambre donnant sur la rue. La grande et grosse femme qui s’occupe de tout dans la maison m’apprend que j’habiterai dorénavant dans la petite chambre qui donne sur la cour, tout près de la cuisine. « Qui va habiter dans ma chambre ? ».

11h23 : grande taille

Une publicité pour les robes grande taille apparaît : BB a bien aimé la « grande et grosse femme » et n’a pas encore vu toutes ces maisons ? Tu as des goûts et tu tries, BB ?

11h25

Ma collègue des Classes préparatoires aux grandes écoles tente de modifier mes données expérimentales, par un commentaire dont la bienveillance est sujette à caution (maladresse scientifique ou rivalité comme il en existe entre les femmes de Science ?), mais je l’inclus immédiatement dans l’expérience et ne lui envoie pas dire :


— Ma collègue des Classes préparatoires aux grandes écoles : La grande et grosse femme est-elle ménopausée ? (Sabotage du sabotage, suite.)

— Sophie Rabau : Trop tard... je viens d’avoir une pub pour les robes femmes « grande taille » : Big Bro avait réagi plus vite que toi !!

11h47

Une autre honorable correspondante vient m’aider dans ma quête. J’accepte son aide de bon cœur :


— Honorable correspondante 2 : J’ai pas compris : tu cherches un appart avec chambre sur rue ou avec chambre sur cour ?

— Sophie Rabau : Oh c’est gentil de m’aider dans ma recherche d’appartement (ma recherche d’appartement absolument, c’est bien ce que j’ai dit) : en fait ce que je voudrais, c’est un appart traversant.

Mes données expérimentales sont quelque peu modifiées mais j’en ai conscience et puis il faut ce qu’il faut…

11h48 : attente

Aucune réaction de Big Bro…

Il faut attendre…

11h50

Une troisième et honorable correspondante vient m’aider à son tour et je change presque mon fusil d’épaule, désespérant de faire réagir BB :


— Honorable correspondante 3 : En viager..... ???

— Sophie Rabau : Bon... viager + ménopause... Si je n’ai pas dans les cinq minutes une pub pour une maison de retraite, je mange mon ordinateur (peut-être).

11h51

Moment de doute : perdrais-je un peu de ma rigueur scientifique ?

11h55 : recettes de cuisine

Aucune réaction de BB sinon une publicité hors sujet où il m’invite à consulter un site de voyance... Il va falloir mettre mon vœu à exécution et manger ma machine. Je consulte les recettes pour accommoder les ordinateurs.

12h40

Aucun changement. Je m’inquiète… (j’ai renoncé à ingérer ma machine, maîtrisant, contrairement à BB, l’usage du sens figuré).

12h41 : stratégie

Une honorable correspondante numéro 4 me remonte le moral et adopte une intéressante stratégie en anticipant sur mon programme à venir :


— Honorable correspondante 4 : Combien de pièces ? N’oublie pas que tu dois y loger de jeunes enfants, une âme sœur et du matériel de plongée…

— Sophie Rabau : Excellente stratégie militaire (cf. la pub pour les vestes militaires) : anticipons sur les sports nautiques !!

13h36 : un incident fâcheux

Mon honorable et, pourtant sagace d’ordinaire, correspondante numéro 1 fait tomber toutes les données sur la paillasse et les mélange. Je ne me décourage pas pour si peu :


— Honorable correspondante d’ordinaire sagace : Je croyais que tu vivais à l’étage, avec ascenseur, d’un immeuble moderne, sécurisé. Je m’inquiète… A part ça, tu comptes toujours refaire ta cuisine avant de te remettre à la gym ? Pour ma part, depuis que j’ai rencontré Jim sur Mythe hic, je fais dix ans de moins. Les carottes bio y sont-elles pour quelque chose ? Je te laisse, je dois aller récupérer ma nouvelle Mastercard à la banque, je pars au Brésil demain : prix cassés…

— Sophie Rabau : Aaaaaaaaaaaaaaaaaaarg. Toutes les données sont toute mélangées… Mais ce n’est pas ce malheureux accident qui m’arrêtera dans le dur et cahoteux chemin qui mène à la Vérité Scientifique. J’intègre les nouvelles données.

13h37 : pendant ce temps

Pendant ce temps là, Big Bro fait la sieste et il ne se passe rien.

Cette absence de réaction commence à me sembler suspecte.

Serait-il en train de bluffer ?

13h40

Belle intervention de mon honorable correspondante numéro 2… Mais toujours rien, aucun frémissement. Je ne peux que l’applaudir et constater que rien ne se passe :


— Honorable correspondante 2 : Jim, c’est celui qui collectionne les armes ? Il fait un peu peur, quand même, le gars, avec ses grenades, poignards, gros et petits calibres. Il bosse dans la sécurité, c’est ça ? Une vraie protection anti-cambriolage ! Enfin, les goûts et les couleurs. Ceci dit, il faut appeler un chat un chat, hein, même si je sais, Sophie, qu’avec ta recherche d’appartement, tu as d’autres chats à fouetter.

— Sophie Rabau : Très belle intervention sur l’aile droite… BBrother fait la gueule et ne bouge pas…

13h45 : à la rescousse

J’appelle discrètement à la rescousse mes honorables correspondantes, espérant secrètement provoquer BB... Mais ne recueille que d’étranges réactions de sa part. Au passage, nous prenons du recul et nous livrons à quelques réflexions d’intérêt général qui ne modifient pas les données expérimentales :


— Sophie Rabau : (Je n’ose pas lui dire qu’elle devrait arrêter avec Jim… Tu ne sais pas qu’ils parlent de se mettre ensemble ? De faire un emprunt ? Moi je lui ai dit en tout cas : s’ils ne trouvent pas à se loger, pas question qu’ils viennent s’installer dans mon nouvel appart.)

— Honorable correspondante numéro 1 (celle qui est sagace) : Jim est agent immobilier je lui toucherai… deux mots de la recherche de Sophie. Je crois qu’elle préfère l’ancien, lumineux, calme ; je crois savoir également qu’elle dispose d’un bon budget.

— Sophie Rabau : Big Brother propose toujours de m’envoyer en Moravie Silésie… Je crois qu’il se méfie...

— Honorable correspondante numéro 1 (celle qui est sagace) : Mon seul problème : Jim est monogame… Mais Sophie ne semble pas très disposée à louer son bien, à ce que je vois. Bon, je vais faire les soldes, na !

— Honorable correspondante numéro 1 (celle qui est sagace) : BB a un neurone et encore...

— Sophie Rabau : ???!!!! BB me propose de gagner un bocal exclusif pour préserver mes céréales... Un demi neurone ?

— Honorable correspondante numéro 1 (celle qui est sagace) : Et la finance est son amie.

— Sophie Rabau : Ben oui, mais toute la question est de savoir qui est le plus fort d’un cerveau plein de neurones qui n’aime pas la finance et d’un quart de neurone plein de fric...

— Honorable correspondante numéro 1 (celle qui est sagace) Un centième de neurone à tout casser... Refaire un appart, j’y songe aussi (tentative d’épuisement...).

— Honorable correspondante numéro 2 : Jim, celui qui a un très gros apport ?

13h50 : formation continue

Après l’intervention de mon honorables correspondantes numéro 1 et 3, Big B. me propose de valoriser mes acquis professionnels : j’allais le lui proposer moi-même...

14h00 : pause prandiale

Découragée, je pars déjeuner, laissant BB méditer...

15h20 : retour du déjeuner (étant une scientifique, par ailleurs fonctionnaire, j’ai besoin d’1h20 pour déjeuner)

Aucune réaction, si ce n’est que BB me suggère, non sans à propos en cette heure post-prandiale, d’acheter de l’expresso.

Désœuvrée, je lance mes citations sur le moteur de recherche dont le nom commence par un G. comme global... toujours rien...

15h21 : devrais-je ?

Toujours rien.

Je ne vais quand même pas essayer de vendre mes citations aux enchères sur un site bien connu ?

Ou devrais-je ?

15h23 : une consolation

J’ai une petite consolation sur mon site de vente discount dont j’ai déjà apprécié hier les talents de poète : comme il refuse la citation de Sarraute, et que je la lui traduis dans son langage — « chambre, cour, maison » — il me répond, superbe, à propos de cours à la maison, voire dans la chambre.

15h28 : enfin

J’obtiens sur le même site poète discount, un résultat positif avec Prévert, et la première phrase de son poème puisqu’une « annonce google est associée à dans ma maison qui n’est pas ma maison tu viendras ».

Enfin…

15h29 : Balzac aussi

Même succès avec Balzac.

Car s’il n’y a « aucun produit correspondant » à « une façade en pierre blanche, rayée de lignes creuses pour figurer des assises, où les fenêtres à maigres balcons de fer décorés de rosaces peintes en jaune sont fermées de persiennes grises », mon site poète discount me répond avec une publicité pour une agence immobilière...

Balzac aussi donc...

15h43 : interrogation

Est-ce que la présence d’une publicité pour « pièces » d’ordinateurs présente sur mon réseau social préféré a à voir avec ma tentative immobilière ?? (Les pièces, donc). Je me perds en conjectures...

16h07 : reviens !

Toujours aussi désœuvrée, je veux mettre ce temps d’attente à profit en approfondissant mon enquête et touche un ou deux liens afférents à la publicité que je reçois sur la page de mon réseau social.

Et me retrouve avec une page sans aucune publicité !!

Big Brother reviens !! Je plaisantais... Je t’aime bien...

16h38 : pourquoi Brive ?

Je crois que je suis repérée :

A preuve ces invitations à vocation commerciale, sur un site que je consultais pour une tout autre raison et qui me signale qu’avec immopassion vente maison particulier je saurai tout sur l’immobilier sur Brive et me signale également que si je suis propriétaire, je peux faire des économies sur mes mensualités de crédit et même simuler un rachat de prêt en ligne, sans parler des taux faibles et autres refinancements.

Pas mal… Mais pourquoi Brive ????

17h56 : bref retour

Bref retour des publicités sur ma page de réseau social.

Bilan provisoire au jour 2

Malgré de faibles résultats sur un plan quantitatif, cette journée, où j’ai appliqué avec rigueur mon protocole scientifique et ai tenu compte des modifications apportées à mes données par accident, a été fort fertile qualitativement.

De fait le portrait de Big Bro s’enrichit : malgré certaines faiblesses sur un plan strictement cognitif, le sujet, contre toute attente, semble avoir une âme, du moins des émotions, et un sale caractère. Il se vexe assez facilement et se montre alors peu coopératif. Je me dois d’inclure cette donnée dans la suite de mon expérience...

A demain donc pour un nouveau défi et un nouvel objectif : des publicités pour parents de jeunes enfants. A vos couches et bavoirs ! BB, tu peux numéroter tes biberons...