des hommes dans le soleil
par Zoé Carle
On est au Caire, en pleine transition après la révolution du 25 janvier 2011. Dans un appartement transformé pour une soirée en cinéma, des militants projettent Les Dupes de Tawfik Saleh, une fiction amère sur le voyage impossible de trois Palestiniens, métaphore soutenue de l’exil loin de leur terre. Dans la rue égyptienne, les manifestants sortent dans la rue portés par l’espoir. Dans le film, les trois héros ne parviennent pas à rentrer, voués au désespoir et à la mort. Choc des trajectoires, des temps, et des regards. Retour sur un moment particulier.
En mai 2012, pour la commémoration de la Nakba, l’association Mosireen [1] a décidé de projeter deux films évoquant le douloureux exil des Palestiniens de 1948 et leur impossible retour. Un documentaire, sur le massacre du camp de réfugiés de Tel el-Zaatar en 1976 au Liban, et un film de fiction de Tawfiq Saleh, Les Dupes, tourné en 1973. C’est dans un vieil appartement du centre-ville du Caire, coincé entre une banque et une synagogue désaffectée, que l’association organise chaque mardi son ciné-club. Dans une Égypte en pleine « transition démocratique », Mosireen ne se contente pas de fournir du matériel vidéo pour les journalistes citoyens qui se sont découverts par milliers depuis le 25 janvier 2011, l’association entend bien aussi faire vivre un certain cinéma, loin des bruyantes comédies égyptiennes ou des block-busters américains. Ils projettent des films d’auteurs ou des classiques dans la rue, sur la place Tahrir, dans des quartiers excentrés où il est difficile d’entrer, où ils peuvent être accueillis avec des jets de pierre et dont ils doivent repartir en catastrophe. Mais pour ceux qui habitent le centre-ville, il y a toujours le ciné-club du mardi soir qui permet de revoir La bataille d’Alger, de découvrir des films d’auteurs arabes qu’on ne connaissait pas, ou même revoir La Haine.
L’appartement dont les militants disposent a été aménagé de façon à pouvoir projeter les films sur des murs blancs : les portes de communication ont été ouvertes et dans l’enfilade de pièces, des chaises de récupération ont été installées. En entrant, on se cogne à ce mobilier hétéroclite, on essaie de se faufiler dans un coin pour trouver une place plus ou moins confortable au sein de ce débarras de meubles et d’une foule de jeunes gens que l’on croit connaître de nom — les sérieux militants cairotes — ou que l’on reconnaît de séance en séance. Au milieu un fauteuil, où un très vieux monsieur, une main tachetée posée sur sa canne en bois, attend. Pour la première fois depuis que je fréquente le ciné-club, l’un des fondateurs de l’association fait un petit discours introductif, en son honneur. C’est Tawfik Saleh, le réalisateur. Un monument auquel la jeune génération qui a fait la révolution — et dont certains sont cinéastes aussi — souhaite rendre hommage en faisant entrer à son panthéon un film qui aurait dû être un classique mais n’a pas pu l’être à cause de la censure.
Le film commence sur l’image d’un homme hagard avançant péniblement dans le désert. Au premier plan, un squelette humain ; en fond sonore, la plainte du nay. À l’écran, en blanc sur le fond gris de l’image, une citation de Mahmoud Darwich s’affiche :