Vacarme 75 / Cahier

feuilleton-carte

Traversée des Balkans, troisième partie

par

« Le sud de la Serbie envahi par des migrants en route vers l’UE » [1], « La Serbie et la République de Macédoine ploient sous le poids des migrants » [2], « La Macédoine débordée par le flux de migrants affluant vers l’UE » [3]… peut-on lire régulièrement dans les grands journaux nationaux et européens depuis juin 2015. Choquants par le vocabulaire qu’ils emploient, simplifiants par les analyses qu’ils livrent, déshumanisants par cette obsession du comptage, ces choix lexicaux reflètent comment des milliers d’individus en exil se voient, une fois de plus, réduits à un simple flux statistique, à un phénomène de grande ampleur croissant et invasif, à un « fardeau » — selon le terme officiellement en vigueur dans la novlangue de l’Union européenne — pour les pays de « transit » comme pour ceux de « destination ».

Depuis des mois, sur la route dite « des Balkans », les frontières s’ouvrent, se ferment et se rouvrent. Des clôtures, des grillages, des barbelés se multiplient et se doublent. Une route encadrée, sécurisée et contrôlée se met en place. Elle entend protéger les populations et faciliter le mouvement. Un corridor pour tous, au départ. La possibilité, enfin, d’échapper aux expulsions et aux refoulements illégaux, aux mauvais traitements de la police aux frontières, à l’exploitation financière des passeurs, aux attaques de groupes criminels. La possibilité, aussi, de recevoir des soins médicaux, de se nourrir, de se vêtir chaudement, tout au long de la route, jusqu’à destination.

Puis, le corridor se transforme en monstre, excluant et discriminatoire. Depuis le 18 novembre 2015 il était réservé aux Syrien.ne.s, aux Irakien.ne.s et aux Afghan-e-s — les « SIA », selon le jargon des multiples acteurs sur place. Depuis le 22 février 2016, les Afghan·e·s en sont exclu-e-s, et viennent ainsi s’ajouter à la longue liste des autres nationalités qui en sont écartées, bannies, éloignées, rejetées, proscrites. Matérialisation socio-spatiale d’une entrave grave aux droits humains, et qui pourtant se banalise et presque, n’étonne plus. Traduction visible d’une incapacité à répondre à un état d’urgence migratoire, tant humanitaire que politique, tant local que global.

Malgré leurs efforts langagiers, les gouvernements européens peineront à nous convaincre du contraire. Créer des « hotspots » en Grèce pour « enregistrer », « identifier » et permettre le « traitement plus rapide des dossiers » de milliers d’individus en exil ? Faire intervenir un groupement naval de l’OTAN pour « aider à la lutte contre le trafic humain » orchestré par les passeurs ? Vraiment ? L’alibi « sécuritaire » et « protecteur » ne fait plus illusion : 6 500 personnes sont aujourd’hui bloquées à Idomeni (frontière gréco-macédonienne), plusieurs sont mortes de froid, les cadavres dans la mer Egée ne se comptent plus, et à toutes les frontières, la surveillance se renforce et les violences policières se multiplient...

Pour des raisons scientifiques, méthodologiques, éthiques et déontologiques liées à mon travail de thèse, le troisième épisode de ce feuilleton-carte se détourne un instant de la Bosnie-Herzégovine, et propose de placer son regard sur les parcours de trois jeunes hommes rencontrés sur les routes en Serbie et en Macédoine.

Cartographie Lucie Bacon
Cartographie Lucie Bacon

Post-scriptum

Lucie Bacon est doctorante en géographie (laboratoire Migrinter, Université de Poitiers). Les données de ce feuilleton-carte sont issues d’un récent terrain de recherche réalisé en Serbie, en Macédoine et en Allemagne, de décembre 2015 à février 2016.

Notes

[1L’Express, 18 juillet 2015.

[2Euronews, 7 juillet 2015.

[3RFI, 25 juin 2015.