nouvelles ethnopolitiques du Nordeste

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nouvelles ethnopolitiques du Nordeste

Les peuples indigènes du Nordeste échappent au récit d’extinction qui les frappaient autant d’indivisibilité que les pratiques coloniales européennes les avaient autrefois fragilisés et acculturés avec violence. Aujourd’hui, forts d’une reconquête démographique et politique de leur territoire, ils inventent de nouvelles pratiques culturelles et de nouveaux modes d’être qui défient les effets des systèmes de domination occidentale.

en parcourant les territoires indigènes du Nordeste

C’est une puissance incommensurable que celle de la vitalité culturelle, politique et environnementale des peuples indigènes du Nordeste. Ce sont plus de 230 000 « combattants et combattantes », selon les données officielles, qui, du littoral au sertão (arrière-pays semi-aride du Nordeste), marquent leur présence par leurs « avancées ». Bien qu’ils forment un ensemble extrêmement hétérogène, ces peuples ont en commun d’être situés dans l’espace que les Européens ont historiquement colonisé en premier. La longue histoire de contacts qui en résulte, marquée par oppressions et résistances, inscrit les Indiens du Nordeste dans un contexte particulier d’inégalités qui les distinguent à la fois des non indigènes et des autres peuples indigènes. Leur invisibilité est particulièrement extrême puisque leur existence est méconnue d’un grand nombre, y compris dans les milieux universitaires. Les indigènes du Nordeste sont en effet dits « éteints » selon une rhétorique efficace qui augmente leurs difficultés à lutter pour la construction de nouvelles formes de vie et de culture dans un pays où les alternatives à un modèle de développement qui détruit l’environnement et accroît les oppressions semblent souvent limitées.

Selon un récit historiquement construit, les Européens auraient civilisé ces Indiens de façon irréversible. Les processus colonisateurs auraient acculturé les communautés indigènes, produisant ce qu’il convient d’appeler « les peuples métissés ». Le récit de l’extinction s’est ensuite développé au XIXe siècle, quand, entre 1850 et 1870, l’État brésilien a officiellement déclaré éteints et détruits la majorité des campements indigènes des provinces du Nordeste.

João Pacheco de Oliveira [1] note que la science a joué un rôle significatif dans la consolidation de ce récit officiel ; les lacunes ethnographiques et les silences de l’historiographie corroborant largement la perspective de l’« extinction ». Au moins jusque dans les années 1930, les recherches sur ces peuples se fondèrent sur des récits anciens (du XVe au XIXe siècle) pour décrire un état antérieur et expliquer quels éléments d’une identité indigène passée avaient « survécu ». On peut affirmer que la construction du savoir sur les indigènes du Nordeste et les relations de pouvoir qui traversent ces populations dans la contemporanéité sont interconnectés. On peut également assurer qu’il y a coproduction des connaissances de leurs formes de vie et des tentatives — continues — de colonisation de ces peuples. Le paradigme d’acculturation constitue ce qu’on pourrait appeler avec Foucault un « dispositif » de délégitimation des multiples territorialités Tupinambá, Pataxós, Pankararu, Karapotô Plaki-ô, Kariri-Xocó, Xocó, etc. Néanmoins, l’apparition de conflits dans le cadre de la demande de démarcation des terres indigènes met en échec les approches anthropologiques classiques, fondées sur un dualisme entre Indiens et Blancs, et attire l’attention sur des formes de mobilisation politique fondées sur l’identification ethnique.

Selon Goldman [2], il faut ainsi remettre en cause l’homogénéisation comme unique horizon de tout processus d’interaction entre deux groupes, lequel aboutirait soit à la fusion en un troisième qui n’existait pas auparavant, soit à la destruction de l’un d’eux — le dominé — au nom de l’autre — le dominant. Dans le cas particulier des indigènes du Nordeste, le « contact » peut être envisagé comme produisant de multiples visions de soi, de l’autre et des territoires habités.

À titre d’exemple, on peut citer la franche expansion démographique des populations indigènes du Nordeste depuis 1991, date à laquelle l’Institut brésilien de géographie et de statistiques (IBGE) a adopté la méthodologie d’auto-reconnaissance pour identifier les caractéristiques ethniques de la population. Le nombre d’indigènes du Nordeste a ainsi cru de 63,8 % : 170 000 personnes qui ne se reconnaissaient pas comme indigènes dans le recensement de 1991, l’ont fait vingt ans plus tard. Les données relevées en 2013 montreront sans doute une nouvelle augmentation. Ces données attestent de l’éclosion et de l’amplification des luttes fondées sur de nouvelles ethnopolitiques.

de l’invention de la culture

Roy Wagner [3] soutient que toute l’analyse anthropologique est traversée par le contact de la culture de l’anthropologue avec la culture des sujets étudiés. Cela implique nécessairement une modification — qui cependant n’homogénéise pas — tant de la vision de l’anthropologue que de celle des sujets étudiés. Ce processus constitue ce que l’auteur appelle « invention de la culture ».

En valorisant des aspects de la vie indigène qui ne sont pas privilégiés par les études anthropologiques, les Indiens déplacent ainsi la position centrale de discours qui avait jusque-là autorité sur leur vie. Ils adaptent notamment leurs pratiques de lutte et d’action directe à la nécessaire constitution d’un lieu propre, comme le faisaient jadis les narrateurs de leurs cultures. En cela, ils déforment le processus d’« invention de la culture » pour la (re)production de nouvelles ethnopolitiques.

Pour Joel Braz Pataxó, leader de l’extrême sud de l’État de Bahia : « Les peuples indigènes du Nordeste ont une tradition de lutte. » Il poursuit : « J’analyse toujours les formes de résistances qu’ont développé mes ancêtres et l’effort qu’ils ont fait pour maintenir leurs coutumes, leurs langues, leurs danses, leurs manières de s’alimenter, la nécessité de chasser, de manger des fruits de mer, du poisson ; toutes ces coutumes font parties intégrantes des formes de résistances de la vie d’un Indien. » Ainsi n’est-il pas possible de séparer les enjeux politiques des relations ethniques ou de la production de la culture.

Vivre la culture est un acte politique et réélaborer son passé autant qu’identifier ses valeurs présentes font partie de cette construction. Pour résumer en citant Escobar, les indiens du Nordeste produisent une « ontologie politique » [4].

En témoigne une réunion où des chercheurs furent appelés par les indigènes du village de Serra do Padeiro sur le territoire Tupinambá d’Olivença à soumettre leurs travaux ; ou l’ouverture du champ académique de l’anthropologie à des indigènes, qui loin de travailler à partir d’une disjonction entre activisme et recherche, approfondissent au contraire leur imbrication avec le mouvement indigène. C’est une manière pour eux de s’affirmer comme indigènes anthropologues plutôt qu’anthropologues indigènes. Un autre exemple pourrait être le site d’ethnojournalisme Indians online, qui est une des références décisives d’un cyberespace produit par les indigènes. Intégrer les indigènes à des postes de professeurs d’enseignement primaire et secondaire, comme piliers d’une éducation différenciée dans les écoles de village, est également un enjeu important. À Pataxós, à l’extrême sud de Bahia, exemple patent de la connexion entre langage, culture et lutte politique, on ne parle plus la langue traditionnelle, mais une nouvelle langue, appellée langue du guerrier, et dont la spécificité consiste à combiner les langues usitées par plusieurs ethnies qui habitent leur territoire.

La vie des peuples indigènes du Nordeste avance donc vers la production d’une nouvelle ethnopolitique. Autrement dit, il existe un processus d’expansion croissant de la production d’« autres Indiens » qui n’entretiennent aucun lien avec la vison idyllique du « bon sauvage », de la pureté raciale et culturelle, de l’isolement ou de l’acculturation. Ce sont d’autres récits dont on fait ici l’éloge, ceux selon lesquels les indigènes de la région n’ont pas disparu mais restèrent plutôt sur la terre comme des semences qui se « terrent » pendant l’incendie, attendant que les flammes se transforment en engrais pour pouvoir germer plus vigoureusement encore.

Les peuples indigènes du Nordeste ont une tradition de lutte.

Pour le mouvement indigène, la tactique primordiale est la « reconquête » c’est à dire la réappropriation de ce dont ils estiment avoir été spoliés. Les reconquêtes sont des manifestations d’auto-démarcation qui s’expriment principalement par l’occupation des terres des grands fazendeiros (grands exploitants agricoles). Entre autres objectifs, ces stratégies visent à faire pression sur le gouvernement pour obtenir l’authentification des terres indigènes afin, non seulement de récupérer les terres cédées par l’État pour la création d’aires de protection de la biodiversité, mais encore de s’opposer au pouvoir des grands propriétaires terriens, les fameux latifundiaires. Imbriqué dans le processus de redistribution des terres et la création de conditions matérielles de (re)production de la vie indigène [5], il s’agit d’un processus d’affirmation de la présence indigène dans la région qui s’exprime par le double biais des conditions matérielles et de la production d’une subjectivité.

Mais alors que s’exprime le désir d’altérité radicale, cette aspiration à l’autonomie qui vaut en même temps comme processus de protection, les indigènes ne risquent-ils pas paradoxalement de devenir prisonniers de mécanismes d’appropriation de l’appareil étatique et, plus largement, du capitalisme contemporain ? Sans espérer résoudre un tel problème, quelques pistes semblent devoir être explorées. Notons par exemple que les nouveaux champs de parole et d’action qu’ont investis les Indiens en devenant anthropologues, avocats, députés, journalistes, gestionnaires d’ONG, de coopératives, etc., ne reproduisent pas les relations hiérarchiques que suscitent habituellement ces activités. Fabão Tupinambá explique ainsi que « ce n’est plus travailler pour l’État, ni travailler pour le marché, c’est travailler pour nous-mêmes. Ce n’est pas être patron, ni être employé, c’est comprendre que toute la valeur passe par nos mains. » Les nouvelles ethnopolitiques parviendraient à échapper aux tentatives de neutralisation des aspects « plus radicaux et/ou différents » de la vie indigène, même lorsqu’elles s’insèrent dans le contexte des pouvoirs constitués par la forme-État et le capitalisme contemporain. S’il ne s’agit pas d’opposer une cosmologie amérindienne originaire à une métaphysique occidentale prédatrice, il faut reconnaître que c’est dans le conflit continu qu’émerge la spirale vertueuse qui étend toujours davantage les limites d’un environnement propice à la reproduction de la vie indigène, anticipant alors les tentatives de saisie et de neutralisation politiques et culturelles. Conjurant aussi sans doute tant la séparation entre nature et culture, pierre angulaire de la domination de la nature par l’homme, que la domination de l’homme par l’homme qui lui est subséquente.

Marche Tupinamá en mémoire du massacre du Rio Cururupe.

macropolitique et nouvelles ethnopolitiques

S’il existe une telle puissance et créativité ethnopolitique des luttes des peuples indigènes du Nordeste, pourquoi sont-elles si peu étudiées et pourquoi ne sont-elles pas au cœur des agendas politiques ? Le paradigme de l’acculturation joue, certes, un rôle actif dans la production de cette invisibilité : les forces institutionnelles et sociales contre les mouvements indigènes dans le Nordeste utilisent les dénominations de « faux Indiens » ou d’« Indiens supposés » pour les délégitimer. À quoi s’ajoutent des tactiques de terreur (tortures, actes terroristes ou assassinats) qui visent les Indiens. L’État joue un rôle plus ou moins direct dans ces exactions soit en les ignorant, soit en réprimant le mouvement indigène, par des arrestations abusives de protagonistes accusés de formação de quadrilha (organisation criminelle) [6]. Pour ne donner qu’un exemple, en 2014, en raison de l’escalade considérable de la lutte du peuple Tupinambá dans le sud de Bahia, une série d’attaques furent perpétrées contre les Indiens. Des maisons furent brûlées, des autobus scolaires attaqués, des Indiens lynchés et assassinés. Sous prétexte de ramener la paix dans la région, le gouvernement brésilien [7] envoya l’armée. Pour les Indiens, il ne fait pas de doute que l’armée fut envoyée pour envahir leur territoire, soumettre la population, chasser les leaders indigènes et enrayer leur lutte.

Le rôle des grands propriétaires terriens, conservateurs dans leur écrasante majorité, est décisif dans la délégitimation du mouvement indigène. Ruralistes ou patrimonialistes, ils possèdent historiquement une influence directe sur la justice, la police, les médias, et les utilisent pour lutter contre les Indiens. Cependant, la croissance du mouvement indigène, en dépit de ces menaces, confirme sa puissance.

Ce sont, en fait, des raisons d’un autre ordre qui produisent l’invisibilité de ces populations et de leurs luttes. Elles sont liées à la politique institutionnelle menée à grande échelle par les gouvernements de « gauche ».

La création de nouvelles écologies par les indigènes dans le Nordeste rencontre peu de soutien y compris chez les plus progressistes, profondément attachés à un projet d’exportation agricole, et peu enclins à dépasser la dichotomie entre production et écologie.

Cela s’explique par les quatre piliers qui ont structuré les actions des partis de la gauche institutionnelle au Brésil de Lula da Silva à Dilma Rousseff. Si les gouvernements de gauche annoncent vouloir créer les conditions pour diminuer les inégalités économiques et sociales, ils maintiennent pourtant des structures de pouvoir, obstacles majeurs à la (re)production d’autres modes de vie, au-delà même du capital (qu’il soit financier, de services ou industriel). Ces piliers reposent sur un consensus relatif des progressistes aux conservateurs autour de la nécessité de ce qu’on appela neodesenvolvimentismo [néo-développementisme]. Si cette approche a généré des espaces efficaces de diminution des inégalités économiques, même à l’apogée de son fonctionnement, elle n’a pas tenu compte des nouvelles ethnopolitiques — et ceci bien que les Indiens aient bénéficié de ces programmes sociaux.

L’un des quatre piliers du lulisme consiste, pour permettre le financement de politiques sociales, à privilégier un accord entre le gouvernement et l’agro-industrie ou les grandes entreprises. En quatorze ans de gouvernement pétiste [du Parti des travailleurs], le Brésil est devenu le premier exportateur de viande bovine, avec un mode de production coûteux pour l’environnement. Cette production intensive de viande bovine va de pair avec l’augmentation exponentielle des zones de production de soja transgénique dont la principale caractéristique est sa résistance aux herbicides utilisés en grosses quantités dans les plantations. Dès 2008, la Société Brésilienne Agricole du gouvernement fédéral a publié un rapport qui préconisait la réduction des territoires indigènes des aires protégées, les considérant comme une « entrave au développement » ou à la vocation nationale d’expansion « illimitée » de la frontière agricole, de l’élevage et de l’exploitation minière. La série de grands travaux, stades et parcs pour les mégaévénements — la Coupe du monde et les Jeux olympiques offre un autre exemple de la collusion de la gauche gouvernementale avec des intérêts privés. Ils ont été entachés par d’importants scandales de corruption, bénéficiant pour une grande partie aux campagnes électorales. Quel est le prix « nécessaire » du financement des politiques sociales progressistes ? Peut-on imaginer un terrain d’entente entre les nouvelles ethnopolitiques et ce type de macropolitique ? On est en droit de s’interroger.

Les indigènes risquent-ils de devenir prisonniers de mécanismes d’appropriation de l’appareil étatique ?

La croyance au plein emploi comme solution viable à l’amélioration de la qualité de vie de la population est le second pilier sur lequel s’appuie le PT. Ce point de vue justifie les grands travaux d’infrastructure, chantiers navals et ports installés dans la région du Nordeste. Cette perspective suppose évidemment une logique d’insertion de tous dans la relation de travail capitaliste impliquant le binôme employeur/employé. Les indigènes du Nordeste tentent, eux, de penser à partir des nouvelles ethnopolitiques un autre horizon de production et d’accès aux revenus.

Le troisième pilier de ces politiques progressistes concerne les politiques de crédits — tant pour les riches que pour les pauvres. En témoignent les prêts de plusieurs milliards subventionnés par la Banque nationale du développement (BNDES) à la grande agro-industrie et le Programme national pour le renforcement de l’agriculture familiale (PRONAF), qui a offert des prêts à faibles taux d’intérêt aux agriculteurs propriétaires de petites exploitations agricoles par le biais de banques locales. En témoigne également le programme Minha casa minha vida (« ma maison ma vie »), qui a été surnommé Minha casa minha dívida (« Ma maison ma dette »), grâce auquel le gouvernement offrait un crédit pour la construction de logements à loyer modéré ou pour l’achat de petites maisons dans des lotissements standardisés selon des accords avec les grandes entreprises. Enfin les politiques économiques anticycliques aux « faibles » taux d’intérêt ont permis à la population à « faibles revenus » d’acheter, à partir de prêts et de plans bancaires, des biens de consommation. Ces politiques, en particulier celles qui visent les plus pauvres telles que le PRONAF et Minha Casa Minha Vida, ont indéniablement permis l’inclusion d’individus « exclus » dans les espaces du capital qui leur étaient auparavant fermés. Ces politiques économiques n’allaient pas sans conditions. Ainsi, les prêts concédés par le PRONAF, par exemple, ont été accordés moyennant la régularisation de la propriété foncière et la promesse d’un haut degré de productivité. Cela a ainsi stimulé l’adhésion à un mode de production particulièrement néfaste pour l’environnement, mais également pour les petits producteurs et agriculteurs familiaux. En outre, ce programme, comme les politiques de logement et de consommation, font de la dette le moteur de la qualité de vie avec son pendant, le risque de surendettement et de précarisation.

Le dernier pilier est la gouvernance de coalition. La devise du PT avant qu’il ne soit élu pour la première fois en 2002 était : Brasil um pais de todos (« Brésil, le pays de tous »), promesse d’un gouvernement capable de procurer des bénéfices à la fois aux riches et aux pauvres. Dans la rhétorique luliste qui a imprégné les mandats de Dilma Rousseff, les accords et les avantages cédés à des hommes politiques du centre et d’une bonne partie de la droite étaient nécessaires pour répondre aux besoins des plus pauvres. Les deux vice-présidents des gouvernements de Lula da Silva à Dilma Rousseff en sont le meilleur exemple. Cette présence forte, mais non assumée, des secteurs conservateurs de la politique institutionnelle dans les gouvernements du PT, n’a pas été sans problème. Si l’on a pu considérer les gouvernements du PT comme des « otages » du coronelismo (colonélisme [8]), on a pu aussi conclure des faits récents que plutôt que son « bourreau », le colonélisme faisait partie intégrante du pétisme. Il semble en fait que ce qui s’est réalisé de positif sous le lulisme ne l’a été que depuis les brêches laissées entrouvertes par un gouvernement (majoritairement de droite) qui ignorait ou méprisait ces préoccupations. Ce que montre la comparaison entre le budget dédié aux politiques de pluralisation de la vie et de la nature, et le montant des ressources affectées au financement de grandes affaires commerciales ou de grands travaux.

ethnopolitiques contre néo-développementisme

Certaines pratiques et formes de lutte des Indigènes dans le Nordeste semblent se situer au-delà et aller contre les contradictions de la macropolitique brésilienne et les menaces que le néo-développementisme fait peser sur leur mode de vie. Les Karapotô Plaki-ô, situés dans l’Alagoas, occupèrent par exemple le chantier d’une des routes principales du pays (BR-101) qui traverse son territoire ; les Pankararu dans le Pernambouc campèrent sous les tours de lignes à haute tension qui passent dans leurs villages et menacèrent de les brûler ; les Potiguara dans le Rio Grande do Norte résistèrent à l’arrivée de la monoculture de canne à sucre dans une région presque entièrement dédiée à la production d’alcool ; les Tupinambá luttent encore pour fermer une carrière de sable, utilisée dans la construction civile, etc. D’autres formes d’actions peuvent être envisagées liées à la dimension culturelle des ethnopolitiques, où les Indiens sont acteurs de la production de leur quotidien et de la (re)constitution de leurs traditions. « Plus subjectives » et souvent inaperçues — même auprès de la gauche moins orthodoxe ou de celle qui ne participe pas à la macropolitique brésilienne — ces luttes n’en sont pas moins essentielles.

Sur le territoire Xocó, situé dans l’État de Sergipe, au bord du fleuve São Francisco, il s’agit d’une véritable libération physique et symbolique. Les Indiens de cette région ont combattu de nombreuses années les grands agriculteurs de la région, pour qui ils travaillaient dans les plantations de coton et de riz dans des conditions de semi-esclavage. Depuis les années 1970, les Xokó sont passés par un processus intense de conflits dans la lutte pour leur territoire, dont un jalon important est la reconquête de l’île de São Pedro, île fluviale au milieu du São Francisco, considérée par les Xokó comme la terre de leurs ancêtres. Après la reconquête, au lieu d’occuper les maisons de leurs anciens oppresseurs, les Xokó démontèrent la maison des grands propriétaires, « brique par brique » et détachèrent tous les animaux qui appartenaient à leurs anciens maîtres. Ainsi, les zones symboliques du pouvoir des grands propriétaires ne sont aujourd’hui que des ruines habitées par des animaux en liberté. Les matériaux récupérés furent utilisés pour construire les nouvelles maisons pour les Indiens. Les manières d’habiter et de produire des grands propriétaires furent abandonnées, et la zone qui autrefois était clôturée est aujourd’hui ouverte. Chez les Pataxó du village Barra Velha dans l’État de Bahia, l’artisanat est une culture ancestrale, mais également un moyen de résister. Au-delà de l’importance rituelle et décorative héritée de leurs ancêtres, la vente de produits artisanaux est désormais essentielle à la soutenabilité économique de la communauté en même temps qu’elle participe d’une politique d’affirmation de leur ethnicité. Le collier et la coiffure sont aussi essentiels que l’arc et la flèche dans la lutte pour les droits. Ils déterminent la façon qu’ont les indigènes de se lier au monde, en particulier à la forêt, où ils collectent les matériaux pour leur travail. L’artisanat de Barra Velha préserve un réseau complexe d’échanges avec d’autres villages et ethnies, renforçant les alliances, y compris dans la lutte pour les droits.

La lutte contre la discrimination et les autres formes de violences symboliques est une autre voie qui mène aussi à des environnements favorables à la vie indigène. Les Kariri-Xocó, dans les environs de la ville de Porto Real do Colégio dans l’Alagoas, ont une relation amicale avec les non-Indiens de la région. Cette paix, selon Nhenety, leader local, est le résultat d’un processus actif de rupture systématique des préjugés, mené pendant des années. À cette fin, les Kariri-Xocó cherchent constamment à générer des espaces de bien-être entre les Indiens et les non-Indiens. Dans le processus de négociation de la délimitation du territoire, par exemple, les Kariri-Xocó tinrent à laisser le bourg et d’autres petites agglomérations dans les environs hors de leur démarcation afin d’éviter de nouveaux conflits avec la population non indigène de la région. Depuis lors, les indigènes se sont consacrés à créer un environnement de coopération avec la ville. Aujourd’hui, le football est l’un des principaux vecteurs de paix dans la région. Le village Kariri-Xocó, bien que relativement petit, compte trois équipes importantes à l’échelle locale. Le football favorise les échanges avec la population des alentours grâce aux très populaires championnats. Le chamanisme est lui aussi source d’échange avec les non indiens, et joue également un rôle important dans la lutte. Les indiens diffusent leur culture en répondant à la demande de ceux, nombreux, qui recherchent les indigènes pour des actes de guérison, et pour des enseignements spirituels .

Ces nombreux exemples témoignent donc de la grande multiplicité des nouvelles ethnopolitiques [9]. C’est à travers leurs pratiques quotidiennes et leurs actions politiques directes que les indigènes s’affirment, ouvrant de nouveaux sentiers, de nouvelles territorialités, qui alimentent la création d’autres modes de vie et d’autres écologies capables de transformer leurs réalités.

Post-scriptum

Traduit du portugais par Eudora Berniolles & Cécile Bourgade.

Bruno Tarin est doctorant à l’École de Communication de l’Université de Rio de Janeiro. Membre du comité éditorial des revues Lugar Comum et Global Brasil, il a coordonné le livre Copyright : Pirataria & Cultura Livre.

Jaborandy Tupinambá est coordinateur et leader de luttes indigènes. Depuis 2006, il encourage l’usage et l’appropriation des technologies de l’information et de la communication par les communautés indigènes.

Laila Sandroni est doctorante en sciences sociales, développement, agriculture et société (CPDA/UFRJ). Elle participe également à de nombreuses recherches et activités militantes qui touchent en particulier la question de la conservation de la biodiversité en relation avec les peuples et les communautés traditionnelles.

Notes

[1João Pacheco de Oliveira, « Uma etnologia dos “índios misturados” ? Situação Colonial, territorialização e fluxos culturais », Mana Vol 4, no. 1 p. 47-77, 1998.

[2Marcio Goldman, « Quinhentos anos de contato : por uma teoria etnográfica da (contra)mestiçagem », Mana vol. 21, no. 3, 2015.

[3Roy Wagner, A invenção da Cultura, Cosac Naify, 2010.

[4Arturo Escobar, « Territórios da diferença : a ontologia política dos “direitos ao território” », Desenvolvimento e Meio Ambiente, Vol. 35, 2015.

[5Une question souvent posée entre indigènes exprime bien ce point de vue : « Existe t-il un indien sans terre ? »

[6Dans ce sens, la Cacique Jamopoty Tupinambá, qui, soit dit en passant, a déjà été arrêtée, exprime bien cette question en expliquant que l’État exige que les Indiens s’organisent pour pouvoir mener les négociations pour leurs demandes, mais dès que les indigènes s’organisent, l’État se met à agir comme une force de répression de ces mouvements.

[7À cette époque, tant le gouvernement national que celui de l’État fédéré de Bahia étaient aux mains du Parti des travailleurs (PT).

[8Pour maintenir le pouvoir de l’État, la Garde nationale crée dans les premières années de la république brésilienne octroyait le grade de coronel à des propriétaires terriens, afin qu’ils constituent leurs propres milices et fassent respecter la loi au niveau local. Dans les faits, les coronels étaient des chefs locaux qui bénéficiaient de l’exercice légal de la violence.

[9« Routes cartographiques : Mouvements autochtones dans le Nord » est disponible à l’adresse http://www.exodo.net/percursoscarto....