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Vandalisme d’État : il était une fois un banc…

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Vandalisme d’État : il était une fois un banc…

Ce matin-là, c’était hier, Anne Hidalgo s’extasiait sur France Inter : « Paris est une ville refuge. » Au même moment, sous nos fenêtres, un banc était scié. Nous faudra-t-il donc nous battre banc-par-banc pour notre politique d’accueil, qui rejoint la simple hospitalité ?

« dans un square sur un banc / il y a un homme qui vous appelle quand on passe »

C’est au Préfet de police, le Baron Haussmann, qu’on doit une des grandes innovations de l’histoire parisienne, inséparable de l’imaginaire et de l’aura de cette ville, et inchangée depuis, à savoir un banc, le banc emblématique des rues de Paris, vert et à dossier unique, prévu pour trois places assises de chaque côté, dessiné dans les années 1860 par l’équipe du célèbre architecte Jean-Charles Alphand et Gabriel Davioud. Et c’est aux services municipaux version 2017 que nous devons la destruction de ce patrimoine. Car il y avait un banc, au milieu de cette petite place dans le XVIIIe arrondissement au croisement des rues Pajol, Philippe de Girard et Département qui tracent depuis des siècles des circulations du sud au nord, du nord au sud, et d’est en ouest. Il a sa place depuis très longtemps, et il n’est plus. Et quelques minutes, ses pieds ont été sciés et avec lui, un pan de l’histoire parisienne jetée dans la benne. C’est ainsi qu’agit un État qui n’a pas d’autres solutions aux mobilités contemporaines que de dilapider ce qui appartient à nous tous : l’espace public et la lente conquête de la ville comme possibilité du vivre ensemble.

Aujourd’hui cette possibilité est de plus en plus menacée. Ce banc a été le point de ralliement depuis plusieurs mois d’une action solidaire et conviviale qui consistait à distribuer des boissons chaudes et de la nourriture à des personnes « dans la migration » qui ne trouvent pour l’instant d’autre solution en France que la rue. Tous les jours, cet hiver, nous avons pu mesurer en direct la diversité et la complexité des situations de vie dont ce quartier est le cadre. Nous avons pu orienter ceux démunis de tout et surtout d’un minimum de cadre d’échange et de soutien pour commencer à se poser, et encourager d’autres déjà un peu avancés dans un apprentissage de la vie parisienne et du français. Et nous avons appris à mieux nous connaître aussi entre riverains, parents des écoles, salariés du quartier et simples passants qui se sont arrêtés pour dire un mot de soutien, ou contribuer à notre collecte. Or la destruction du banc au milieu de cette place intervient alors que le conseil du quartier a annoncé, le 13 mars, une volonté d’interdire cette action.

Ce n’est qu’un banc, vous me diriez, et il y en a d’autres, modernisés, plus faciles à nettoyer peut-être, moins propices à l’endormissement… Et je vous répondrais que non, c’est Flaubert et Aragon, c’est le répit dans la ville, c’est la possibilité de parler aux inconnus – « ils parlent, ils parlent, le crépuscule tombe », écrivait Michel Butor d’une rencontre sur un banc près de la Bastille. C’est s’attarder dehors avec quelqu’un qu’on aime ; c’est se rendre compte aussi qu’il y en a qui auraient vraiment besoin de coup de main – « dans un square sur un banc / il y a un homme qui vous appelle quand on passe » écrivait Prévert en 1945… C’est bien plus qu’un élément de mobilier urbain, et s’il faut remercier le Baron de l’impulsion majeure qu’il a donné à la « rue parisienne », il faut déplorer le vandalisme d’État qui piétine ce qu’il y a eu de meilleur dans son héritage, les bancs, et le partage de l’espace dans la ville.