Actualités

Chère Marine, cher Emmanuel Paroles en campagne, une chronique en épisodes de la Présidentielle 2017 / Deuxième épisode

par

A la suite du deuxième débat, celui à cinq guichets fermés, petit bilan d’étape et d’horizon des éloquence oratoire, technique argumentative, et ressorts de l’imaginaire politique.

Chère Marine, Cher Emmanuel

Chère Marine est en baisse. Cher Emmanuel est en baisse. Il y a des tribunes qui descendent et des tribunes qui montent. Ces deux-là descendent. Aujourd’hui, donc, on parlera des tribunes qui descendent, qui se transforment en grands toboggans et qui semblent parfois désirer nous faire glisser jusqu’en bas, tout, tout en bas, là où des grands rochers pointus pointent, là aussi où tout devient mou, incertain, vert, très vert, et aussi avec de grands feuillages aux reflets argent. Mais pour comprendre les tribunes qui descendent, il faut comprendre les tribunes qui montent. Dans toutes les péripéties qui agitent notre vie politique, ces dernières semaines, il y a des pics et des fossés qui se redessinent entre tribunes ascensionnelles et tribunes décadentes. L’autre soir, lors du premier débat groupé des élections présidentielles 2017, lundi 20 mars, quelque chose s’est confirmé, dans les hausses et dans les descentes de tribune.

Les tribunes qui montent

Cher Alain, Cher Jean-Luc, après Cher François H et Cher Alain, ont la tribune qui monte. S’il n’était question d’ascension présidentielles et si les enjeux n’étaient pas si sérieux que ça, on pourrait même sérieusement dire qu’ils ont la tribune qui trique. Qu’est-ce qu’une tribune qui trique aujourd’hui ? C’est bien simple, ça trique, quand c’est dehors.

Cher Alain

On a pu parler de « moment libertaire » pour Cher Alain. Le discours de résignation de Cher François H était déjà pas mal. Enfin, on prenait au sérieux François H : au moment où il dit qu’il part, il y a du steak, enfin. Quand Cher part, Cher trique. Sa tribune monte. Cher devient crédible. Plus de soupçon, enfin. Il s’en va. C’est donc peut-être, finalement, autre chose qu’un vendu ? Autre chose qu’un carriériste ? Autre chose qu’un ancien condamné ? Autre chose qu’un homme du système ? La dégradation du paysage politique est telle dans notre pays qu’il suffit de prendre un ton solennel pour dire qu’on s’en va pour se refaire une jeunesse et avoir la tribune qui monte aussitôt. Cher Alain, dans cet exercice, a été d’une perfection frisant le délire oratoire. Il ne s’est pas roulé par terre comme Napoléon avalant une solution d’opium éventée à Saint-Cloud pour ne pas faire face à la défaite. Il n’a pas dit au revoir d’un ton pincé comme Cher Valéry. Non, il a eu la tribune qui monte parfaite. Sans doute, la tribune qui monte, quand elle sort, est-elle proportionnelle à la possibilité de gagner si elle était restée dedans ? D’où la perfection du moment oratoire de Cher Alain. Cher Alain a même parlé d’écologie. La tribune qui sort et qui monte, aujourd’hui, c’est l’équivalent du suicide à la romaine hier. Au moins, une décision est prise par celui qui se sait, sinon, condamné dans un nouveau monde à errer parmi les ombres. Autant être un vrai mort que rester une ombre éternelle. A la mort de son fils, alors que la Révolution de 48 approchait à grands pas, celui qui avait été responsable de toutes les restrictions des libertés publiques, liberté de la presse, liberté des théâtre, liberté des associations, celui qui organisait la corruption, celui-là, Guizot, a eu tout de même un petit moment de tribune qui monte. Son fils venait de mourir. On ne pouvait plus le soupçonner de quoi que se soit, au moins le temps d’une captatio de discours. Cher Manuel, Cher Nicolas, cela a moins marché. Normal. De fausses sorties, ça s’appelle. Des sorties imposées. La tribune est encore à moitié dedans. Et elle va s’y ré-engouffrer plus tard. C’est de la tribune ré-entrante téléphonée. Zéro noblesse, donc. Rien. On n’y croit pas. Cher Manuel et Cher Nicolas ne sont pas des morts. Ils sont seulement des zombies de tribune. On joue le mort mais en fait on zombifie tout. C’est vrai, parfois, il arrive que même les morts reviennent. Alors, ils sont des fantômes. Cher François H est devenu notre bon fantôme à tous. Il grésille dans les coins, dans les placards. Il fait entendre sa petite voix, parfois. C’est notre président à la tribune qui grésille doucement en attendant de s’éteindre tout à fait.

Cher Jean-Luc

Cher Jean-Luc. Cher Jean-Luc, lui, monte bien aussi. Un festival hier soir au cours de ce premier débat groupé des présidentielles. En maintenant sa candidature, il a réussi à mourir tout en restant bien vivant. Beau coup qui permet d’occuper la place oratoire parfaite. Tribune pétillante. Rien à perdre, tout est déjà perdu. Il l’a dit à un moment. « J’ai 65 ans, on ne peut pas me suspecter de chercher carrière. » Contrairement à tous les autres. LA dernière phrase était en sous-texte. Les autres Chers le regardaient avec amitié hier soir. Ils en profitaient comme nous de sa tribune montante pétillante qui peut dire tout ce qu’elle veut, qui peut dénoncer « les pudeurs de gazelle » quand on parle des affaires avec deux corrompus dans le cercle de paroles qui regardent leurs pieds, qui peut même se payer le luxe de dire merde à la guerre, de promouvoir la paix dans le monde. Comment s’opposer à la paix dans le monde ? Comment contredire la détestation de la guerre ? Cher Jean-Luc, sa tribune qui monte, ça s’appelait au XIXe siècle, « parler par la fenêtre ». Parler du dehors pour le dehors. Parler au-dessus. Cela s’appelait aussi de l’éloquence humanitariste. Aujourd’hui, on dirait de l’éloquence sociale, de l’éloquence de société civile. A l’époque, c’était l’abolition de l’esclavage, de la peine de mort, les enfants trouvés. Les prisons. On est encore entre 1830 et 1848. Et c’était Lamartine qui faisait de la tribune idéale, lyrique, qui monte, qui monte comme ça. Tout le monde l’admirait. Personne n’y croyait. Cher Jean-Luc, hier soir, c’était cela. Celle qui le regardait en souriant le plus, avec beaucoup d’affection, c’était Chère Marine. Dans une autre vie, elle l’aurait aimé, Cher Jean-Luc. Dernier dinosaure de l’éloquence idéaliste perdue. Romantisme des derniers temps, celui sans doute que professait aussi son père, dans ses grands moments oratoires, mais à l’autre bout de l’échiquier, autre combat perdu, du côté obscur de l’idéal, de l’idéal noir, Algérie française, honneur, la France et tout le reste. En regardant le débat, je me suis dit qu’on avait beaucoup de chance d’avoir ce mort qui pétille pour nous, qui pétille pour la vie malgré tout au milieu de toutes ces ombres, mais que c’est triste de savoir que cette tribune qui monte est seulement une tribune qui monte parce qu’elle est déjà dehors. Triste ? Si elle n’était pas dehors, déjà, cette tribune qui monte, peut-être aurait-on été plus attentif aux incohérences, aux professions de foi un peu larges, à l’amateurisme visible dans les dons oratoires de Cher Jean-Luc ? On n’a plus qu’à attendre le dernier discours de Cher Jean-Luc maintenant. Il arrivera un jour. On espère qu’il sera à la hauteur de cette éloquence qui s’est invitée comme cela, dans le cercle des ombres qui vivotent pour avoir la lumière, toute la lumière, pour nous rappeler une dernière fois que si on vote, c’est aussi par idéal.

Les tribunes qui descendent

Cher François F

D’abord, honneur aux vaincus, parlons de la tribune qui a touché le fond. Autre plaisir. Celui-là n’est pas un romain. Ou alors c’est un très mauvais romain. Virtu manqué. Horatius Coclès se serait enfui en courant. Le pont d’Arcole pas franchi. Aujourd’hui, on dirait « erreur de casting ». Même pas la grandeur du traitre Fouché hier soir. Pitié de tous pour lui. On tire pas sur un homme à terre. « J’ai commis parfois des erreurs. J’ai des défauts. Qui n’en a pas ? » Cette petite phrase qui aurait dû être le signal d’une tribune remontante n’a été prononcée qu’au bout de trois heures de débat. À la toute fin. Bien ficelée. Seule condescendance de l’ombre au monde des vivants. Alors, lui, Cher François F, c’est clair, il refuse de mourir. Il préfère se maintenir dans les cercles inférieurs de la vie politique et de l’honnêteté plutôt que de renoncer à sa part de gâteau. Trente années de vie dans le système, ça abîme les petits récepteurs de la décence, les petits tuyaux du bon sens. Cher François a la tribune qui est en bas. Maquillé soleil hier, il fleure bon la tombe mais refuse la tombe. Un petit garçon malheureux qui a reçu un mauvais point et qui attend que ça s’oublie. La tribune en bas, elle a quelques restes face au monstre dévorant qu’est Cher Marine. Quand même, quand ça raconte n’importe quoi, Cher François F l’a ouvert, un peu, sa bouche. À part ça, quoi ? L’ombre regarde les autres ombres. Il sourit à Cher Jean-Luc. Il évite Cher Emmanuel. La tribune en bas n’a plus de voix. Elle est une machine sans âme. Étonnant de constater que c’est vrai, on ne tire pas sur un homme à terre même entre ombres vivotantes et déchirantes, ces gens-là ont donc une éthique ? Il y avait quelque chose de pitoyable autour de François F et le plaisir, très vite, a cédé devant l’indifférence et la pitié. Que ce soit ce dernier ressort-là qui reste aux LR, c’est drôle. Quel paysage, n’est-ce pas ?

Chère Marine

Autre tribune qui baisse. Chère Marine. Chère Marine a la tribune qui baisse bruyante et surtout radotante. Hier soir, c’était un peu la puissance fragile. Je crie. Je crie. Je crie toujours la même chose. Les Français. Nom. Adjectif. Heureusement qu’il n’y a pas de verbe parce que sinon on serait mort étouffé par la France de Chère Marine qui n’a que ce mot à la bouche. Elle devrait s’économiser de la salive avec une petite pancarte avec écrit dessus Français et ensuite passer le reste de sa vie à l’agiter, elle ferait des économies de langue. Sa langue doit être râpée aux mêmes endroits à force de prononcer toute la sainte journée les quatre-cinq mots qui constituent son vocabulaire politique. Une langue racornie dans du gros sel du populisme, ça s’appelle. Et en plus, elle use de props ! D’accessoires. C’est interdit aux États-Unis dans les débats politiques car eux en savent un peu plus que nous sur le populisme oratoire. Chère Marine brandit un pauvre petit graphique à un moment, éloquence pour les pauvres en éloquence, moment démagogique, cela s’appelle. Malheureusement, avec Cher Jean-Luc en face et toutes les ombres, tout à coup, la pauvreté de ce discours est ressortie dans la lumière. D’habitude, je trouve qu’il fonctionne très bien mais là, c’était grippé. Elle fait toujours le même tour des peurs, des angoisses. La question internationale pour Marine, c’est quoi ? Le pouvoir d’achat des familles militaires françaises. Le remède pour le chômage, c’est quoi ? Une petite phrase pour les chômeurs français. La pauvreté aussi est française. Les enfants sont français. Le ciel est français. Tout est français. Mais « français », Chère Marine, ce n’est pas un argument, c’est seulement une couleur et, à la longue, des seaux de même couleur sur tout le réel, ça le noie. Et donc la tribune descend. Ce qui reste alors ? Les vociférations. Des espèces de rires ironiques disgracieux genre « ah la bonne blague » quand les autres parlent. Elle se retourne même pour rires avec ses petits copains, les armoires à glace qui font peur assises derrière elle. Pauvre petite. Tu sens que ta langue est courte, alors tu cherches du soutien auprès de tes idéologues derrière, ces marchands de peurs et d’illusions. C’est vrai que remédier au problème du chômage en agitant le chiffon du djihadisme, c’est compliqué comme exercice oratoire. Il faudrait agrandir la gamme, les gars. Là, ça bégaie maintenant. Là où la tribune se maintient, c’est dans l’art de Chère Marine à s’adresser à un peuple, français, toujours français, segmenté en secteurs de marketing. Le peuple français de Marine, c’est un ensemble de public-cibles pour lesquels elle réserve à chaque fois quelques phrases. Un fondement de l’éloquence populaire inventée aussi dans les années 1830-48 : populaire, cela veut dire qui s’adresse au peuple mais ce peuple est toujours stratifié. La police. Les agriculteurs. Les chômeurs. C’est du sociologisme démocratique appliqué à la tribune. Ca marche bien. C’est une façon aussi de parler par les fenêtres, mais à la différence de Lamartine, cette éloquence du dehors nécessite chez elle, toujours, de designer des victimes, ceux qui n’ont pas droit à cette couleur de France dont elle est si généreuse, si généreuse en fait pour montrer avec ostentation comment elle n’en arrose pas les autres, ceux dont elle veut la perte. Cher Marine a essayé de mordre Cher Emmanuel et Cher Emmanuel l’a mordue salement en retour. Et la tribune a baissé, encore. Ca va être difficile contre Cher Emmanuel, Chère Marine, tu vas rencontrer des petites difficultés maintenant. On ne te souhaite pas bon courage.

Cher Emmanuel

Et il reste le dernier. Cher Emmanuel. Les premiers seront les derniers. Les derniers seront-ils les premiers ? Le petit Kennedy à la gueule de Boris Vian, au strabisme légèrement divergent, à la mèche blonde sur le côté, fatigue. Dans le cercle des ombres, il pâlit. Jésus ne croyait pas en lui. Il croyait en Dieu le père. Cher Emmanuel, tu dois aussi croire en quelque chose à part toi, tu ne penses pas ? L’égo, c’est un bon carburant au début, cela crée très vite un ethos solide mais comme la France pour Chère Marine, c’est aussi un carburant qui s’épuise vite en tribune. Et la tribune, alors, descend. On ne peut pas ad vitam parler que de soi. À la fin, Lamartine, sous la IIe République, dans les années 1849-50, quand il dit "Je", tout le monde hurle de rire à la Chambre. Je. Je. Je. Je, ça ne fait pas un discours. Ça ne fait pas un projet. C’est insuffisant. Narcisse faiblit, donc. Il fait du coupé-collé. Le romanesque de Cher Emmanuel est un épique aussi petit que celui de la France dans la bouche de Chère Marine. L’ombre guette déjà. On se dit qu’il est jeune. Il faut qu’il travaille. Et puis aussi, il était visiblement tendu, aussi tendu que Chère Marine, forcément, comme on disait plus haut, ce sont les deux orateurs qui sont le plus dedans, le moins dehors. Pour eux, les enjeux sont gros, très gros. Dans ce pays, quand tu es dedans, tu descends. Difficile aussi de savoir à qui parler quand on est Cher Emmanuel. Devenir millionnaire, ce n’est pas un rêve à la portée de tout le monde. Aujourd’hui, on a le choix entre devenir millionnaire dans une Europe du libre-échange radical ou rester Français en boutant dehors tous ceux qui n’ont pas droit à l’épithète. Deux langues courtes qui se sont entre-mordues gravement. Moment polémique. Bataille oratoire. Narcisse femme qui aime les Français et Narcisse homme qui aime l’argent. Heureusement, c’est un débat politique. Tout seul, ils nous donneraient envie de mourir avec Cher Jean-Luc et Cher Alain, mais comme il s’entre-mordent, on se dit qu’il y a encore de la vraie vie possible avec ce petit sang court qui coule. Alors il restera donc que Cher Emmanuel pour lutter contre Chère Marine ? Il ne le fait pas mal, il se défend bien. Chère Marine, étrangement, lui permet d’acquérir de l’épaisseur, de se souvenir de l’idéal, lui- aussi. Contre elle, il se souvient dans sa colère qu’il y a aussi autre chose que le renouvellement financier et argentier de la France. Comme l’argent n’a pas de couleur, il veut bien défendre aussi ceux qui ne méritent pas l’épithète de français. C’est une bonne nouvelle. Contre le « patriotisme économique » de Chère Marine, il reste la liberté de prendre, de circuler, de commercer, de gagner, de s’enrichir, qui reste à tous, comme quoi le libéralisme a encore de beaux jours devant lui, dernier rempart qu’il semble être en tribune au racisme, à la haine, aux angoisses.

Je sais. Je n’ai pas parlé de Cher Benoit. L’angle oratoire est difficile avec Cher Benoit. Il y a quelque chose qui n’accroche pas, mais je cherche.