Qu’est-ce que la démocratie (participative) ?

Bagnolet, Quartier des Coutures

« J’ai rejoint le conseil de quartier lorsque le dispositif a été réintroduit à Bagnolet par la nouvelle équipe municipale, en 2014. Le conseil de quartier n’est pas décisionnaire, mais nous discutons et participons par exemple à l’élaboration du PLU dans le quartier des Coutures. Ce quartier forme le sud de Bagnolet, il est limitrophe avec Paris, ce qui produit des effets d’appartenance compliqués : on se déplace plus vite dans Paris qu’au nord de Bagnolet. C’est un quartier populaire qui attire depuis dix ans des familles des classes moyennes aisées. La reconstruction du groupe scolaire et les revendications des habitants d’une tour gérée par l’Office Public de l’Habitat (OPH) sont deux des plus gros dossiers que nous ayons régulièrement suivis. C’est aussi avec notre quartier que le Projet National de Requalification des Quartiers Anciens Dégradés (PNRQAD), le plan de rénovation de Bagnolet, a été ouvert sur la ville. Et puis il y a la vie courante du quartier, la propreté, les espaces verts, et le lancement cette année un peu timidement d’un budget participatif d’investissement. La mairie réalise, à hauteur de 30 000 euros, le projet qui a été voté en conseil de quartier, en l’occurrence pour cette première année, l’installation de jeux et une piste cyclable. Sept projets donc pour Bagnolet. C’est symbolique. Est-ce suffisant pour initier un autre rapport au pouvoir ?

Une nouvelle école va être construite sur le site de l’ancienne. À l’origine, le projet est né de l’insistance des parents plutôt que du conseil, mais il le suit. D’autant plus que je fais personnellement partie par ailleurs d’un groupe de travail initié sur le sujet avec la municipalité et les architectes. Cela peut aussi donner des idées aux autres quartiers.

« M’impliquer dans la politique de la ville m’a protégée jusqu’à un certain point du désespoir lié aux errements nationaux, mais les limites sont vites atteintes. »

Sur la rénovation de la tour gérée par l’OPH, nous avons dénoué une situation qui se dégradait depuis des années. Il y a environ 20 % de chômeurs dans le quartier des Coutures, mais il est bien plus important dans cette tour, et les intérêts ne sont pas forcément les mêmes au sein des résidents. L’OPH avait perdu en légitimité à force de promettre ce qu’il ne délivrait pas. La municipalité actuelle a été beaucoup plus active que la précédente, mais c’est aussi grâce au conseil de quartier que les habitants se sont exprimés en cercle ouvert. Depuis, on fait venir le directeur de l’OPH, les résidents et la municipalité pour permettre un dialogue qui a pu être très tendu. En faisant parler et en gagnant des choses, nous avons conquis une certaine légitimité. Et pourtant, les gens continuent pour la plupart de n’assister aux conseils de quartier qu’en fonction de l’ordre du jour et de leur intérêt individuel, ce qui produit à la fois un roulement important et une forte diversité des participants selon les thèmes abordés. Le tissu associatif est très actif à Bagnolet et les associations viennent donner leur point de vue à différentes occasions, expertes de leur question. Ce sont pourtant toujours les mêmes personnes qui constituent le noyau dur.

Nous avons été réactifs sur le PLU et sur un certain nombre de projets, et en capacité de proposition sur la rénovation urbaine et celles des écoles, sur des problèmes de voirie ou de circulation. Une critique récurrente souligne le manque d’infrastructures au regard des logements construits sur la commune de Bagnolet. Ce à quoi je réponds qu’en bordure de Paris il faut évidemment construire des logements, mais que nous engageons des combats pour obtenir des promoteurs, une crèche ou des commerces, pour que Bagnolet ne devienne pas une ville dortoir, et qu’idéalement cela crée des emplois. Les conseils de quartier sont consultés au sujet de l’usine Belin. Nous essayons de négocier des choses, par exemple à l’échelle du PLU, qui retarderaient le cas échéant certains promoteurs peu scrupuleux qui ne réfléchissent pas à l’échelle de la ville.

J’ai été militante à Act Up-Paris. J’y ai tout appris, l’engagement, l’art de modérer une réunion, les slogans et celui de décider d’une action. Les banderoles sont sorties dès le lendemain de l’élection du maire parce que le chantier école patinait par exemple. Nous gueulons d’un côté et nous travaillons avec eux de l’autre. Il ne s’agit pas pour autant de militantisme en ce sens qu’il n’y a ni vision d’ensemble, ni mouvement. Selon moi, il faudrait se présenter sur une liste citoyenne pour travailler à l’échelle de la ville.

J’ai appris comment fonctionne la ville, ce qui me semble important. L’inconvénient d’être élu.e serait d’être absorbé.e par des luttes politiques intestines, et le rôle de conseiller municipal, bien qu’intéressant, est aussi très prenant. S’impliquer dans la politique de la ville m’a protégée jusqu’à un certain point du désespoir lié aux errements nationaux, mais l’espoir que quelque chose pouvait repartir du local me paraît compromis dans une agglomération si dépendante de Paris, sur le point d’être bouleversée par le projet du Grand Paris. Les alliances sont difficiles à envisager.

Les limites sont vites atteintes, à la fois parce qu’il n’y a pas de réflexion sur la totalité de la ville et parce que l’engagement citoyen dépend des affinités individuelles. Nous avons créé un conseil des conseils qui réunit les quartiers, sans que cela ne fonctionne très bien. Le tissu des conseils de quartier est beaucoup trop fragile pour envisager peser à un échelon au-dessus de celui de l’agglomération de Bagnolet. En revanche, l’Union des conseils locaux (parents d’élèves) de Bagnolet s’est maintenant alliée à Montreuil pour tenter de peser à l’échelle du département. La FCPE est beaucoup moins représentée à la suite de l’introduction des rythmes scolaires. Il y a donc un risque de fragmentation des parents d’élèves, comme des listes citoyennes, au point que leur capacité d’influencer ou de gagner serait compromise ou impossible. Les conflits qui ont émergé au sein de l’Union des conseils locaux ne tenaient pas à des désaccords politiques sur des objectifs ou des intérêts, mais ils ont débouché sur l’auto-exclusion de personnalités combatives. La lutte des classes patinait dans un malaise pernicieux qui ne s’exprimait pas en termes d’intérêts politiques divergents, mais de différence d’aisance sociale, de facilité d’expression même. Finalement, il y a une homogénéité trop forte des parents d’élèves représentés et le risque est le même à l’échelle des conseils de quartier. »