quel temps pour l’apprentissage ?

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quel temps pour l’apprentissage ?

De quels milliers de désirs secrets filant sous la peau tendue du temps scolaire sont faites les années d’apprentissage ?

Un lapsus de lecture ce matin me réveille, je lis dans une phrase « temps scolaire » à la place de « temps solaire »…

Longtemps il n’y eut ni promptitude ni retard, longtemps les marque-temps restèrent pris dans l’amplitude solaire, les journées étrécissant ou s’élargissant selon les saisons. Puis vinrent la découpe indexée à l’ombre portée des premiers cadrans solaires, la mesure exacte des clepsydres et des horloges à eau, et les heures régulières découpant le jour au rythme scandé des prières.

Le sablier du corps ployé.

Qu’est ce que le temps scolaire ?

Aux journées étirées de l’été et à celles plus sombres et resserrées de l’hiver, s’est superposé ce temps nouveau de l’exacte mesure, la même pour tous, où le scolaire a sa place. Le jour de la rentrée, l’emploi du temps, l’heure de cours, de colle ou d’exclusion, la minute de retard, le temps des vacances, le cycle qui reprend, le grand cadran des années d’études. Et l’absence qui avale parfois toutes les mesures, décroche, d’un jour à la semaine ou à l’année entière. Échappée de l’appel.

Je découvre que toute l’horlogerie moderne s’appuie à l’échappement, qu’il s’agit d’un mécanisme placé entre le rouage et le balancier de la plupart des instruments destinés à mesurer le temps, une roue dentée qui tourne dans le sens des aiguilles d’une montre.

Nous n’en entendons qu’un bruit qui nous semble uniforme, alors qu’en réalité, les précis de mécanique expliquent qu’il se compose d’une série de chocs, chutes, impulsions et dégagements… Comme les milliers d’extraits de films montés par Christian Marclay pour son œuvre de 24 heures The Clock.

De quels milliers de désirs secrets filant sous la peau tendue du temps scolaire sont faites les années d’apprentissage ? Sous le temps chronologique de l’horloge auquel l’école s’appuie, court le temps de chaque élève fait de ces chocs et de ces chutes, de ces rencontres fortuites, de ces mots qui viennent tout à coup rencontrer une percussion ancienne inscrite dans le corps, ce temps logique du sujet que la psychanalyse avec Lacan éclaire comme une boussole.

Peut-on risquer de dire qu’il est un autre échappement ? Comment l’aiguille de la boussole peut-elle traverser la roue dentée de l’horloge ? Les temps chronologique et logique ne s’accrochent pas au même savoir, aux mêmes apprentissages et c’est souvent ce dont l’école ne sait que faire. Le temps logique n’est pas celui de la durée, c’est un temps discontinu, scandé. Il se conjugue en instant de voir, temps pour comprendre, moment de conclure, qui réveillent le sujet là où quelque chose le convoque. Il perfore la circularité du cadran par le nord vibrant qui tend sa flèche. Il ouvre un discord par où l’indomptable du désir et les conflits qu’il chevauche, se faufile.

Apprendre, désir ou dressage était l’intitulé des Journées d’automne de l’École de la cause freudienne (25-26 novembre 2017). Proposition pariant que ses termes se dialectisent plus qu’ils ne s’opposent, pour que s’y explore « la discordance fondamentale entre nos désirs et nos actes, les modèles qu’on nous impose ou que nous nous choisissons et la marque première de la jouissance qui marqua notre corps parlant pour faire répétition, et peut-être destin » écrit Virginie Leblanc, qui les a dirigées avec Fabian Fajnwaks (voir http://desiroudressage.com/2017/07/...).

C’est ce que restituent les brefs entretiens menés dans ce cadre pour le site Lacan-tv.fr. Pas d’uniformité dans l’apprentissage, ni dans l’enseignement, la façon dont a joué et joue encore le temps logique, pour ceux que nous avons rencontrés, s’y laisse lire dans l’après-coup des trajets, des rencontres et des contingences qui les ont infléchis.

En tendant l’oreille à chacun, on entend comme il bat sa mesure.