un enterrement politique

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Dammarie, lieu de mémoire. Celle, cuisante, des non-lieux (affaire Bouziane). Celle, méfiante, de la désinformation, d’où l’enjeu de l’image (collectif POIS). Celle du deuil, familière jusqu’au rituel (Xavier Dem, un enterrement politique).

Une dizaine de jours après sa mort, Xavier Dem était enterré dans le petit cimetière de Vosves, un hameau rattaché à la commune de Dammarie-lès-Lys. Quelques jours plus tôt, la famille avait fait déposer des tracts au local de Bouge qui Bouge : «  Nous rendrons un dernier hommage à Xavier mort sous les balles de la police le mardi 21 mai, au cimetière de Vosves, le lundi 3 juin à 14 heures. Conformément à son mode de vie, les obsèques de Xavier se dérouleront selon le rite rasta ».

Au jour dit, la famille Berrichi est réunie avec ses amis devant le local du Bas-Moulin, offrant du lait et des dattes, comme le veut pour un décès la tradition musulmane. Tous rejoignent ensuite le cimetière, où se trouvent déjà la famille et les proches de Xavier. Ces derniers forment un long arc de cercle s’étirant entre les tombes ; les deux prêtres rastafaris entourent le cercueil placé au milieu ; les proches forment un groupe plus dense, à quelques pas du cercueil. Sur fond de musique rasta, un cousin lit, la gorge nouée, l’oraison funèbre. Elle débute en remerciant, au nom de la famille, la présence nombreuse des jeunes, notamment du Bas-Moulin et de la Plaine-du-Lys. Le tir mortel du policier n’est évoqué qu’une seule fois, presque furtivement. A l’heure de l’enterrement, c’est la vie du défunt que l’oraison veut honorer. Dictée par la colère, elle accuse les « ragots » de la presse à l’égard de Xavier Dem [1] ; refuse l’appellation de « toxicomane » ; dénonce l’allégation de violence à l’encontre de son grand-père, qui se tient là parmi ses proches. Elle déplore l’abandon, enfin, d’un jeune homme dont la vie est décrite comme passée « au fond du trou ». « Il ne méritait pas la mort, il aurait plutôt mérité qu’on l’aide ».

Les circonstances de sa mort sont à peine évoquées : pas de constat, pas d’analyse. Seules la douleur des proches et la colère s’expriment. Le discours s’achève par les remerciements de la famille, qui demande qu’on la laisse seule pour l’inhumation. L’orateur, enfin, conclut sur un voeu de la mère de Xavier : « La Mam a dit : pas de bazar en ville, ça ne sert à rien ». Ce n’est pas le tir policier qui a dépouillé Xavier Dem de sa dignité, mais les « ragots », contre lesquels l’oraison veut, elle seule, faire justice. Une à une, les personnes présentes déposent sur le cercueil aux couleurs rasta les fleurs séchées rouges, jaunes et vertes qui leur ont été distribuées. Une jeune femme s’évanouit devant le cercueil. Elle est soutenue par des amis jusqu’à la sortie du cimetière. De la mort de Xavier Dem, il ne reste alors que le silence, que l’oraison funèbre avait voulu rompre un instant.

Notes

[1Au lendemain de la mort de Xavier Dem, la presse, notamment locale, le présentait comme un « toxicomane très agité », venu agresser son grand-père pour de l’argent. Quelques jours plus tard, on saura que son état d’agitation était dû à un conflit avec des jeunes d’une ville voisine, d’où sa venue pour chercher la carabine. De cette information, les médias ne se feront pas l’écho. Le jour de son enterrement la presse ne parlait déjà plus de lui. L’enquête judiciaire était classée, le Parquet ayant conclu que le policier avait agi en état de légitime défense.