Vacarme 24 / arsenal

La terre et les vaches ne mentent pas

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« La valeur thérapeutique des animaux est reconnue depuis longtemps. [...] L’animal ne nourrit pas d’attentes idéalisées envers le jeune et accepte ce dernier pour ce qu’il est, et non pour ce qu’il devrait être : cette acceptation inconditionnelle lui permet de se sentir valorisé et aimé en tout temps, ce qui est très important à l’adolescence. »
– Extrait du Projet Éducatif du centre éducatif fermé pour filles de Lusigny (Allier)

9 septembre 2002 La loi d’orientation et de programmation pour la justice crée des centres éducatifs fermés (CEF) où seront placés des mineurs en application d’un contrôle judiciaire ou d’un sursis avec mise à l’épreuve. Ils seront gérés par des associations habilitées par la Direction de la Protection Judiciaire de la Jeunesse (DPJJ), libres de l’embauche du personnel (en moyenne 25 adultes pour 8 mineurs) et recevant un double financement : Conseils Généraux et ministère de la Justice. Le ministère annonce un centre par département (juin 2003 : 4 centres).

30 septembre 2002 La DPJJ diffuse dans ses directions départementales le « Cahier des charges pour la création à titre expérimental de centres éducatifs fermés » : « Le placement a pour but de rendre possible le travail éducatif. [...] Une prise en charge éducative intensive et stricte implique [...] un contrôle permanent du mineur. [...] Le placement a pour objectif un travail sur la personnalité du mineur [...] et une modification de son rapport aux autres et à la société. » Son contenu sera précisé dans une circulaire DPJJ du 28 mars 2003.

Novembre 2002 Le Projet Éducatif d’Epivie (CEF pour filles de Lusigny, Allier). est transmis au ministère.

Fin 2002 Convention DPJJ/APLER (Association pour l’éducation renforcée) pour le CEF Epivie

17 mars 2003 Ouverture d’Epivie et du CEF de Sainte-Eulalie (Gironde).

21 mars 2003 Communiqué commun Syndicat de la Magistrature et SNPES/PJJ/FSU sur le Projet Éducatif d’Epivie.

Fin mai 2003 Le directeur de l’APLER est mis en examen pour « viols et agressions sexuelles » sur un membre du personnel d’Epivie.

Le Projet Éducatif d’Epivie s’articule autour de trois thèmes : la famille, le travail, la santé, au travers desquels il concrétise, en les tordant plus encore vers le répressif, les axes du ministère. Pour le directeur du Centre de Lusigny, le but est la « rectification des mineurs » (Le Progrès, 25 février 2003).

« Redonner une place à la famille, [...] prévenir la persistance et le renouvellement des comportements délinquants par le retrait du milieu social habituel des mineurs » (DPJJ) se traduit à l’APLER par « la présence de l’ensemble du personnel lors de l’accueil sous la forme d’un « mur humain » [qui] posera d’emblée un cadre et des repères structurants visant à instaurer un climat contenant et sécurisant ».

Les « activités de ré-apprentissage des savoirs fondamentaux » (DPJJ) se concrétisent à l’APLER en « activités techniques sur de nombreux supports (cuisine, jardinage, [...]) pour apporter aux jeunes des notions professionnelles et la satisfaction de la réalisation ». Une « ferme éducative thérapeutique » permettra de bénéficier du « potentiel de la médiation animale dans la structuration de la personnalité ».

Là où la DPJJ demande une « offre de santé pertinente », le Projet Éducatif de l’APLER entend : « besoin de s’identifier positivement à des rôles féminins ; [...] besoin d’une éducation à propos de la santé féminine donnant aux filles des opportunités de définir ce qu’est une sexualité saine, non pas vécue seulement (sic) en tant que victime ; [...] besoin d’établir une image positive du corps, l’apparence revêtant une grande importance pour les filles et contribuant à la formation de leur identité personnelle et sociale en tant que femme ».

On touche le fond avec les exigences du dossier d’admission, que les jeunes filles doivent signer : test de grossesse (retiré devant le tollé général), obligation de parler français, tour de poitrine (l’APLER expliquera qu’il faut bien vêtir ces malheureuses qui arrivent nues ou presque). Dans le dossier : « Les attitudes équivoques ne sont pas admises, les revues à caractère licencieux me sont interdites. »

Fermons les centres sociaux, créons les centres fermés. À Sainte-Eulalie, deux fugueurs : à l’un d’eux, multirécidiviste de 15 ans, Dominique Perben a promis la prison s’il est rattrapé ; et le maire vient de réclamer la fermeture du Centre, pour la tranquillité de ses administrés. L’existence d’un « noyau dur » de jeunes portant la responsabilité de l’explosion de la délinquance, l’acharnement à traiter le symptôme et à agir dans l’urgence, Charles Pasqua les martelait déjà en 1992, et le « sentiment d’insécurité » nous a été révélé par le rapport Peyreffitte de 1979. L’inquiétante nouveauté, c’est cette « alternative » douteuse à l’incarcération, cette contention sans ceinture ni barreaux, sous les verrous de l’ordre moral.