Introduction

par

« Les friches ne se réfèrent à rien qui périsse. En leur lit, les espèces s’adonnent à l’invention. La promenade en friche est une perpétuelle remise en question, car tout y est fait pour que soient déjouées les plus aventureuses spéculations. »

Gilles Clément

“Home sweet home” plaisantait Philippe Bourgois en parcourant avec nous la rue d’Aubervilliers. L’ethnologue américain faisait alors allusion au ghetto d’East Harlem et semblait lui-même surpris de ressentir une telle familiarité avec ce paysage urbain. Jamais il n’en avait goûté de semblable lors de ses longs séjours à Paris, entre Pigalle et la Goutte d’Or.

Claquemurer : enfermer (ou s’enfermer) entre quatre murs, au propre comme au figuré, dans un lieu comme dans une idée. Étymologiquement, il s’agit même d’être à claque murs, de se jeter contre eux. Phonétiquement... la claque et le mur, rien de plus.

Friche : terre vierge ou (le plus souvent) laissée à l’abandon. Au figuré, domaine inexploré ou négligé.

Stalingrad, bien connu, rarement traversé, est une ombre forte de la fantasmagorie parisienne. La peur, de la drogue et de ses usagers, comme une façade condamnée, suffit souvent à dissuader de pénétrer plus avant des rues où le sordide le dispute au scandaleux. Le crack, par la visibilité des comportements qu’il engendre chez ses consommateurs en errance, focalise l’attention, régale les télévisions et voile ce que Paris a permis d’abandon en son sein.

Pour nous, qui travaillons depuis un an au sein de l’association Stalingrad Quartier Libre, il s’agissait de restituer notre perception d’un lieu engoncé dans la ville, aux confins intérieurs de trois arrondissements, claquemuré dans le délabrement et dans le silence. Mais il s’agissait peut-être surtout d’ouvrir ce paysage à l’exubérance de la friche, du terrain neuf et riche d’invention politique.