Vacarme 34 / manières

usagers de drogues : de l’irruption à l’invention

Le champ de l’usage de drogues se prête volontiers à deux caricatures symétriques : pour certains il serait le lieu obligé d’une intervention gouvernementale palliant, par la force de la loi ou la sollicitude de la médecine, l’incapacité des usagers de drogues à se conduire eux-mêmes ; pour d’autres il serait plutôt le lieu d’expression d’une marginalité à jamais hors-pouvoir, opposant une résistance farouche aux efforts pour la contenir. En bref, l’usager de drogues serait tantôt le gouverné par excellence, tantôt l’ingouvernable même.

Rompre avec cette simplification suppose d’abord de restituer au « gouvernement des drogues » son disparate et son incohérence : mobilisant une pluralité d’acteurs (ministres, médecins, policiers, comptables), mettant en œuvre selon les circonstances une pluralité de logiques, de l’interdit souverain aux restrictions économiques. L’histoire (retracée par Olivier Doubre) des politiques de substitution en France en témoigne : la parole des usagers y est contrainte de se frayer un chemin dans le désordre des discours, parcours d’autant plus compliqué que de ce désordre dépend leur simple capacité d’attention et de mobilisation, c’est-à-dire l’obtention des moyens à même de desserrer leur dépendance assez longtemps pour prendre la parole.

Reste, toutefois, à briser l’autre miroir : celui d’une parole d’usagers vouée à la fulgurance, héroïquement opposée au corps social. La métaphore révolutionnaire, mobilisée par les usagers de drogues, des « États généraux », est ici significative : des États généraux, on le sait, n’ont pas seulement pour but de briser un consensus, mais de permettre que les exclus participent avec d’autres à définir leurs rapports mutuels. Comment passer de l’irruption des personnes concernées, face à un pouvoir vertical, à l’invention de procédures horizontales ouvrant sur des décisions accordées ? Comme le montre Éric Labbé, sous le vocable de « démocratie participative » se rangent des cas assez différents d’engineering non-gouvernemental.