Vacarme 14 / tramscape

L’échappée belle entretien avec Christian Bernard

« Le tramway c’est un budget d’un milliard sept, dont neuf millions pour la commande publique. Cinq viennent de l’Etat (quatre millions viennent du ministère de la culture de la délégation aux arts plastiques commandes publiques, et un million vient de Ia direction de l’architecture et du patrimoine) et quatre de la communauté urbaine. » Christian Bernard, fondateur du Manco de Genève, a animé le comité d’experts chargé de l’accompagnement artistique de la ligne B du tramway. Il retrace ici l’histoire et les enjeux de la commande publique. Visite guidée.

La réimplantation d’un tramway à Strasbourg a correspondu à un projet global, holistique, de ressaisie et de développement de la ville. Il s’agit de retenir le plus possible les voitures à la périphérie de l’agglomération, de limiter de façon draconienne le trafic automobile dans l’hypercentre, d’atténuer le clivage entre celui-ci et sa périphérie ainsi que de rapprocher les « banlieues » du centre. Le tram est développé en site propre et les rues où il passe sont traitées de façades à façades. Une très forte intervention paysagère accompagne ce processus. Le tram lui-même est un objet dont la dimension esthétique en fait un remarquable signe de la « beauté moderne » dans une ville de plus en plus muséifiée, transformée en icône passéiste par et pour le tourisme de masse. Par sa forme « futuriste » comme par son confort, le tram a retourné l’image ancienne de ce moyen de transport que la Ville avait enterré en grandes pompes au début des années 1960. « On n’arrête pas le progrès », pouvait-on lire alors sur les rames condamnées ! La réussite populaire et économique de ce tram a levé les antagonismes politiques qui avaient présidé à sa mise en oeuvre. Indubitablement, le visage de la ville en a été changé. Sa pratique aussi. L’appropriation rapide de ce nouveau moyen de transport par ses différents usagers a contribué à modifier la relation de l’extérieur à l’intérieur, du lointain au centre. Ce n’est pas pour rien que l’extrême-droite a propagé cette sordide lecture acronymique du signifiant tram : « Transport de ratons d’Auchan à la Meinau » (i.e. du quartier Ouest au quartier Est). Les flux sociologiques ont en effet évolué dans le sens d’un meilleur partage de la ville.

Depuis des décennies, Strasbourg n’avait aucune politique d’implantation d’oeuvres d’art dans l’espace public. Trois petites pièces du strasbourgeois Hans Arp et une sculpture d’Henry Moore, qui fit d’ailleurs grand scandale (!), résumaient tous ses efforts en la matière depuis les années soixante. Sous l’impulsion de la municipalité, la Communauté urbaine de Strasbourg (CUS), qui est le maître d’ouvrage du tram, a décidé d’un accompagnement artistique de l’implantation de la première ligne du tram (ligne A). Un comité d’experts présidé par Michel Krieger et animé par Jean-Christophe Amann (directeur du Museum für Moderne Kunst de Francfort) a proposé des oeuvres et interventions de Gérard Collin-Thiébaut, Jonathan Borofsky, Barbara Kruger, Mario Merz ainsi que de l’Oulipo (Ouvroir de littérature potentielle). Cette première opération s’est déroulée dans un délai très court et dans un contexte où l’inexpérience de la CUS imposait sans doute des choix plus classiques et plus limités. Cependant les interventions de l’Oulipo et de Collin-Thiébaut demeurent exemplaires. Collin-Thiébaut a ainsi utilisé le verso des titres de paiement pour y imprimer le panorama complet des façades longées par le tram ou bien des images tirées de l’iconographie historique de la ville (fêtes de corporations, hommes célèbres, sportifs mythiques, etc.) et proposer de la sorte des centaines de petites oeuvres collectionnables par les usagers. Quant aux écrivains de l’Oulipo, ils ont installé sur les colonnes (type colonnes Morris destinées à la vente de tickets, etc.) de chaque station divers textes à contraintes jouant notamment sur des homophonies impliquant l’accent alsacien... À l’opposé des autres propositions, celles-là ne relèvent pas du champ distingué/distinguant de l’art contemporain : elles ne disent pas « je suis de l’art » au passant ; leur propos, leur mode d’adresse supposent moins de médiation. Cela n’invalide pas pour autant les réalisations de Borofsky ou de Kruger. En revanche, celle de Mario Merz, des suites de Fibonacci en néon insérées entre les rails du tram, s’est avérée plus problématique à tous égards, et déjà du fait qu’elles n’ont jamais pu fonctionner correctement comme c’est aussi le cas pour une proposition très semblable à Barcelone. Ici se pose d’ailleurs la question de la responsabilité de l’artiste, notamment devant la faisabilité et la durabilité de son oeuvre publique.

C’est d’ailleurs l’échec de cette intervention qui a failli hypothéquer la reconduction d’un accompagnement artistique de la ligne B du tram. Pourtant, la détermination de M. Krieger, mais aussi celle des services techniques de la CUS, a permis d’emporter l’adhésion de principe des élus responsables. Un nouveau comité d’experts a été désigné que l’on m’a proposé d’animer. J’ai ainsi travaillé en étroite collaboration avec M. Krieger (président du comité), Paul-Hervé Parsy (directeur du Musée d’art moderne et contemporain de la Ville), Jean-Yves Bainier (Conseiller pour les arts plastiques de la Direction régionale des Affaires culturelles) et Caroline Cros (Inspectrice de la création artistique à la Délégation aux arts plastiques, ministère de la Culture) mais aussi avec les responsables de différents services de la Ville ou de la CUS, notamment André van der Marck. La présence de deux représentants de l’État s’explique ici par le fait que le financement de ces commandes publiques se fait sur la base d’une parité entre l’État et la CUS.

Nous sommes partis d’une analyse critique de l’expérience de la ligne A. Il convient déjà d’indiquer que nous avons pu intervenir beaucoup plus en amont que nos prédécesseurs et dans un climat général très positif. Pourtant, l’horizon était assez différent, en particulier parce que la ligne B dessert cette fois quatre communes, et de quatre sensibilités politiques différentes : Strasbourg (PS), Schiltigheim (centre gauche), Bischheim (RPR) et Hoenheim (UDF). Le tram ne les divisait plus, l’accompagnement artistique aurait pu être l’occasion de marquer des antagonismes comme c’est assez souvent le cas. Et il faut bien constater qu’il existe au sein de cette communauté urbaine une forme de culture démocratique, capable d’épargner aux propositions artistiques une instrumentalisation politique. De même, le fait que Catherine Trautmann ne fût plus maire de Strasbourg, et donc présidente de la CUS, n’a nullement conduit son successeur Roland Ries à renoncer à un projet qui n’était pas le sien au départ. Ceux qui ont affaire à des élus dans des projets culturels sont bien placés pour savoir quelles difficultés byzantines ou carrément ubuesques ils ont trop souvent à connaître. Le cas de Strasbourg est assez rare pour ne pas être souligné.

L’histoire de l’art contemporain dans l’espace public est non seulement très courte et très erratique, mais c’est pour l’essentiel la chronique d’un échec annoncé. Par définition, l’art contemporain ne peut avoir qu’un horizon d’attente restreint. Cela tient autant à sa « nature » (proposer quelque chose qui reste de l’ordre du « nouveau », de l’imprédictible) qu’à l’implacable réalité sociologique (diversité et séparation des capitaux culturels des différents publics et non-publics). Les politiques volontaristes qui se sont développées depuis une vingtaine d’années en faveur de l’art contemporain reposaient toutes peu ou prou sur ce postulat pédagogique que si le supposé public ne venait pas à l’art, il fallait que l’art - mais lequel, mais pour quoi, mais pour qui ? - aille au public, c’est-à-dire au non-public, autrement dit, plus banalement, dans l’espace public. L’espace public ne signifie ici que la rue et ses extensions : places, parcs et jardins. C’est en tout cas théoriquement l’espace de tous, donc de personne, même si chacun peut être conduit à le vivre parfois comme le sien, notamment en s’estimant fondé à y faire valoir « son » jugement esthétique, ce qui n’est ni un faux ni un mince problème. Peu importe que le commerce et la publicité aient littéralement privatisé l’espace public, c’est toujours l’art, et surtout l’art contemporain, qui y est perçu comme une privatisation excessive, comme l’effraction d’une subjectivité sans sens et sans légitimité dans l’espace public - que beaucoup aimeraient voir esthétiquement assorti à leur sphère privée.

C’est dans l’horizon de ce genre de constats que nous avons d’abord défini six principes de base auxquels nous voulions nous tenir le plus possible. Premièrement, préférer la notion d’intervention artistique à celle d’implantation d’oeuvres d’art. Deuxièmement, rechercher des interventions qui ne présupposent pas nécessairement la notion d’art (et a fortiori la catégorie d’art contemporain) dans l’esprit du spectateur. Troisièmement, faire fonds des fonctions et usages préexistants pour trouver des points d’appui ou d’articulation aux interventions. Quatrièmement, privilégier la périphérie par rapport au centre. Cinquièmement, favoriser des projets affectant la ligne dans sa continuité. Sixièmement, analyser les sites potentiels de multiples points de vue, de manière à formuler une commande motivée par un ensemble de données historiques, urbanistiques, sociologiques, etc., mises à la disposition des artistes. En un mot, nous souhaitions proposer un projet réellement in situ, indissociable des sites choisis et clairement adressé à ceux-ci. Autrement dit, un programme d’art dans l’usage public, inscrit dans la mémoire, l’histoire, la topographie, la mythologie et les pratiques urbaines contemporaines.

Nous avons donc conçu cette opération comme un ensemble cohérent à multiples facettes. Sept artistes (Siah Armajani - Américain d’origine iranienne -, Nicolas Faure - Suisse -, Zaha Hadid - Irakienne -, Jean-Marie Krauth - « strasbourgeois » -, Alain Séchas - Français -, Bert Theis - Luxembourgeois établi à Milan - et Jean-Luc Vilmouth - Français), un musicien (Rodolphe Burger), huit écrivains de divers « genres » (Pierre Ahnne, Didier Daeninckx, Michel Deutsch, Max Genève, Dominique Muller, Jacques Roubaud, Jacques Vallet et Roland Wagner - dont les nouvelles furent illustrées par autant d’élèves de l’École des Arts décoratifs), le Laboratoire de tourisme expérimental (Latourex) de Joël Henry ainsi que deux philosophes (Philippe Lacoue-Labarthe et Jean-Luc Nancy) ont été associés à l’accompagnement artistique de la ligne B. Le choix des principaux sites s’est rapidement imposé : d’abord les trois extrémités de la ligne (qui est en Y), puis l’entrée dans l’ellipse insulaire où se situe l’hypercentre historique et l’entrée dans la nouvelle ville allemande (Neue Stadt, 1870-1918).

Pour prendre un premier exemple de notre méthode et de nos propositions, évoquons le terminal Sud de la ligne. Il se trouve dans un quartier bien particulier : un de ces quartiers défavorisés où les tensions sont régulières. L’Elsau a pourtant été une grande utopie de la démocratie-chrétienne alsacienne (Pierre Pflimlin, etc.) - les tours remplaçaient les bidonvilles. Aujourd’hui, le quartier est partagé entre ces HLM, une zone pavillonnaire antagoniste et la prison - évidemment vécue comme une blessure supplémentaire. L’Elsau est surtout une enclave cernée continûment par l’autoroute, la rivière ou la digue du chemin de fer. On y accède par deux passages sous la voie ferrée. On dit que la police apprécie la commodité de ces deux seules issues. Il semble que les habitants du quartier le vivent tantôt comme un ghetto, tantôt comme une retraite protégée. Ce qui est sûr, c’est qu’ils revendiquent le respect de leur dignité. C’est ainsi qu’ils ont refusé l’extension, sur le rond-point de l’entrée du quartier, des jardins familiaux (on ne dit plus jardins ouvriers, devinez pourquoi...) installés le long de la digue du train. Pourtant, la liste d’attente est longue pour obtenir un jardin. Notre première hypothèse concernait un lieu de mémoire oublié (!) : à quelques centaines de mètres de ce quartier se trouve, le long de la rivière, le site de l’atelier de Gutenberg qui a travaillé à Strasbourg à la mise au point de l’imprimerie. Il pouvait être intéressant de le remémorer. Mais l’urgence du présent nous a semblé incontournable. De nos enquêtes, il ressortait que le quartier attendait aussi du tram une revalorisation de ses espaces et de son image. Un signal urbain fort identifiant ce nouveau cours pouvait contribuer à répondre à cette attente. De même, les jardins familiaux sont-ils le théâtre d’une convivialité plus évidente qu’ailleurs. Nous avons demandé à Siah Armajani, qui se définit comme un artiste public depuis le milieu des années 1960, d’imaginer un objet qui prenne en compte ces deux facteurs. Sa réponse est un gazebo, sorte de belvédère ou de folie, situé justement sur le rond-point engazonné et arboré qui marque l’entrée principale du quartier. Ce gazebo se présente comme une tour carrée d’environ treize mètres de haut et surmontée d’un fanal vert qui s’allume et s’éteint avec l’éclairage public, proposant ainsi une lampe veillant à l’entrée du site. Cette tour est réalisée en métal. Une référence constante du travail d’Armajani est l’architecture de fer du XIXe siècle et notamment Eiffel. Sous cette tour ajourée est installée une table constituée de sept tables juxtaposées les unes aux autres, un peu comme si chacun avait apporté la sienne pour faire une grande table commune. Trente à quarante personnes peuvent s’y asseoir. Cette table offre aussi une scène que pourront s’approprier les habitants (groupes de hip-hop, etc.). Des bancs à dossiers sont ajoutés autour de la table, délimitant quatre espaces de rencontre annexes. Aux alentours sont installés quatre barbecues. Les grilles qui permettent de s’en servir seront confiées aux associations du quartier pour en garantir un usage compatible avec les interdits religieux. Par ailleurs, sur les quatre faces de la tour seront accrochés des panneaux où figureront des textes poétiques écrits par les élèves du collège voisin. Ces textes sont écrits dans les différentes langues parlées dans le quartier. Les panneaux seront régulièrement renouvelés, proposant d’autres messages, d’autres compositions visuelles. Le collège en assume librement l’élaboration et la mémoire. Le gazebo d’Armajani répond ainsi au double projet de doter l’Elsau d’un signal urbain vertical et d’une scène de convivialité démocratique horizontale.

Un autre projet concerne un site tout à fait différent de l’Elsau. Il s’agit de la place de la République. Dans l’esprit des urbanistes allemands, cette place carrée, comportant un parc circulaire en son centre, devait constituer le nouveau centre de la ville reconquise. Son dispositif est intéressant à décrire. Elle distribue un ensemble d’édifices publics hautement symboliques : le palais de l’empereur (aujourd’hui la Drac), le ministère des Finances (aujourd’hui la Trésorerie), le ministère de l’Intérieur (aujourd’hui la Préfecture), la bibliothèque universitaire et le palais du Parlement régional (aujourd’hui le Théâtre national de Strasbourg et le Conservatoire). Sur son quatrième côté coule le canal des Faux-Remparts, ancienne limite des fortifications de la ville. Le long de ce canal, le dos du théâtre (aujourd’hui l’opéra). Au centre de la place, la statue équestre du Kayser (aujourd’hui le monument aux morts). Ce monument aux morts est une belle pietà qui pleure deux fils. L’un est tourné vers l’Ouest (la France), l’autre vers l’Est (l’Allemagne). On doit rappeler que la place s’est successivement appelée Kayserplatz, place de la République, Hitlerplatz et, à nouveau, place de la République... Un pont permet d’y accéder depuis l’ancienne ville ainsi qu’une passerelle piétonne nommée Passerelle des Juifs. Elle se trouve à la sortie de l’ancienne Porte des Juifs, porte par laquelle les juifs ont longtemps dû quitter chaque soir la ville... Dans le jardin central figurent quatre immenses ginkobilobas qui auraient été offerts par l’empereur du Japon à l’empereur d’Allemagne ainsi qu’une allée de magnolias dont la floraison est le signe du printemps pour les Strasbourgeois qui s’y pressent chaque année. La bibliothèque est ici importante à plusieurs égards. Les Allemands l’ont construite pour tenter de compenser le désastre mondial qu’a représenté la destruction de la bibliothèque de Strasbourg lors du siège de 1870. Cette bibliothèque était en effet l’une des plus importantes au monde, notamment par la richesse exceptionnelle de ses manuscrits et incunables médiévaux et renaissants (des sermons de Maître Eckhardt au fabuleux Hortus deliciarum...). S. Settis a en outre démontré que l’historien de l’art Warburg, qui y a travaillé à sa thèse sur Botticelli, y a trouvé le modèle de sa fameuse bibliothèque - ultime exemple de bibliothèque encyclopédique privée, classée selon des logiques thématiques complexes (aujourd’hui le fameux Warburg Institute de Londres). Les Strasbourgeois se gaussaient de l’ordonnancement symétrique de la place où ils voyaient une preuve du manque d’imagination des Allemands et de leur incompréhension du génie propre à l’organicité historique de la ville de Strasbourg. C’est ainsi que nous avons demandé à Bert Theis d’imaginer un point de dissymétrie sur cette place réputée aujourd’hui intouchable et où la ligne B du tram se sépare en deux branches qui vont l’une vers le Nord et l’autre vers l’Est. Sa réponse prend la forme d’un banc en spirale ascendante, réalisé en lattes de bois laqué blanc. Cette spirale, forme organique et dissymétrique, se développe sur une douzaine de mètres de long et monte en pente douce jusqu’à un mètre vingt. Au sommet, se trouve une placette circulaire d’environ six mètres de diamètre au centre de laquelle est planté un bananier japonais qui offre cette particularité de mourir et de renaître chauqe année - nouvelle horloge naturelle. L’oeuvre est dénommée « Monument aux vivants. Spirale Warburg ». Elle est implantée au point de divergence de la ligne du tram, sur un espace vert où les urbanistes allemands avaient prévu d’implanter des sculptures, et à mi-distance de la Passerelle des Juifs et du Monument aux morts, à l’emplacement duquel, dit-on, se trouvaient un cimetière juif...

Vous aurez noté que du Gazebo de l’Elsau au Monument aux vivants de la place de la République court le motif du banc. On le retrouve également sur la Passerelle Simmel dessinée par Armajani pour la station Marc Bloch à Bischheim, aussi bien que dans l’Allée de sculptures conçue par Jean-Marie Krauth pour l’avenue du général de Gaulle. Si le tram est voué à favoriser les flux, les interventions artistiques s’emploient au contraire à inviter à la pause. Ce n’est pas celle de la contemplation « religieuse » des oeuvres, mais plutôt, pour reprendre une formule de Theis, une « pause lafarguienne », une invitation à la paresse et à la libre disposition de son temps... C’est dans un esprit voisin que se situe le Bar à plantes de Jean-Luc Vilmouth, en fait un kiosque pour fleuriste qui est aussi une fontaine et également une lampe accueillant le tram à l’entrée de la vieille ville. C’était encore notre visée quand nous avons demandé à Zaha Hadid de traiter l’ensemble du terminal Nord (parking et gare multimodale) pour en qualifier tout le site et en faire une nouvelle forme d’entrée de ville...

Il faudrait aussi évoquer les projets affectant l’ensemble de la ligne B : les dessins d’Alain Séchas dans les caissons lumineux des colonnes des stations, les boussoles de Jean-Marie Krauth incrustées dans le sol des vingt-quatre stations et le traitement de l’ambiance sonore des rames par Rodolphe Burger. Ce dernier projet nous importait d’autant plus que nous ne voulions pas nous cantonner à des interventions plastiques. Les jingles musicaux habituels et les voix standardisées qui forment l’affligeant paysage sonore des espaces publics - et les rames du tram en sont un - en disent long sur le peu de sensibilité des technocrates à l’égard de l’environnement qu’ils nous imposent. Rodolphe Burger a conçu ou choisi des éléments musicaux spécifiques à chaque station. Pour les différentes annonces, il a enregistré avec Philippe Poirier des dizaines de voix d’habitants de l’agglomération : hommes et femmes, jeunes ou vieux, bourgeois ou loubards, célèbres ou anonymes, citoyens ou hôtes de passage, etc., en sorte que la même station n’est jamais annoncée par la même voix deux fois de suite. Vox populi est le titre de ce travail. Il dit assez qu’ici ce sont les usagers eux-mêmes qui énoncent les messages qui les concernent, qui s’adressent les uns aux autres et que ce tram se veut celui de tous. Cela contribue à modifier l’atmosphère sociale des rames : même anonymes, ces voix signent des sujets singuliers, des personnes non interchangeables, des événements de micro communication impromptue. La diversité du tissu social s’y reflète et s’y noue en un patchwork vivant à l’image du devenir des cités contemporaines...