avant-propos

par

Allons, ne faites pas cette tête. Oui, vous vous êtes fait avoir. Et alors ? Vous avez acheté Vacarme pour sa couverture. Vous savouriez d’avance un numéro d’été tout
entier voué au corps - le vôtre. Vous découvrez, perplexe, un dossier sur les Directions Départementales des Affaires Sanitaires et Sociales...

Si vous poussiez la curiosité un peu plus loin - et si vous aviez lu jusqu’au bout le dernier numéro de Multitudes, cette autre revue de vacances -, vous verriez pourtant qu’il y a un rapport entre votre « vie nue » écrasée sous le soleil et cette drôle d’administration de la « vie qualifiée » [1] : les DDASS, c’est la biopolitique près de chez vous. Vous goûteriez alors notre plongée dans le détail, ordinairement négligé, des machines
du pouvoir : vous savez d’expérience qu’il faut lire très attentivement la notice d’un lait bronzant, caresser sa texture, sentir son parfum, et ne pas se contenter de son
indice - vous savez d’expérience que le savoir dont nous avons besoin est un savoir d’usage. Vous entendriez alors, fondues au ressac, les clameurs lointaines d’une nouvelle politique, dont vous pressentez qu’elle est, dans une étrange mesure, la vôtre : une politique d’usagers, dont les administrés extrêmement divers des institutions sanitaires et sociales (usagers de drogue, RMIstes, malades du sida, candidats à l’adoption, etc.) sont en train d’inventer les formes.

En vérité, pour apprécier vraiment ce dossier, il faudrait que vous le lisiez sans rien changer à votre position estivale : les paupières closes, face au ciel (ce qui est une gageure, certes). Il faudrait que vous vous laissiez aller aux scintillements pigmentaires, à la légère fièvre et aux songes inquiétants qui adviennent sur une serviette de bain. Que vous vous livriez tout entier, pour en finir, à cette espèce de tropisme d’Etat, dont la santé publique, prise elle aussi dans la lumière verticale du pouvoir, ne parvient pas à s’extraire.

« Étendu tout pantelant sur son lit, on s’aperçoit petit à petit, comme l’oeil qui s’habitue à la pénombre commence à distinguer peu à peu les contours des objets, qu’il y a, provoquant ce gonflement, ces élancements sourds, quelque chose, un corps étranger qui est là, fiché au coeur de l’angoisse, comme l’épine enfoncée dans la chair tuméfiée, sous l’abcès qui couve. Il faut extirper cela absolument, le sortir le plus vite possible pour faire cesser le malaise, la douleur, il faut chercher, creuser, comme on fouille la chair impitoyablement avec la pointe d’une aiguille pour en extraire l’écharde » [2].

Le temps s’assombrit, non ?

Notes

[1« Biopolitique et biopouvoir », Multitudes, n°1, mars 2000.

[2Nathalie Sarraute, Portrait d’un inconnu.