« les lycéens sont dans la rue »

petite machine combinatoire

par

  1. Les mouvements lycéens sont imprévisibles.
  2. Les mouvements lycéens sont apparus en mai 68.
    Variante érudite : les mouvements lycéens sont apparus en 1971 (affaire Guyot).
  3. Le projet de loi contre lequel ils manifestent est un prétexte.
  4. Les lycéens font grève sans savoir pourquoi.
  5. Leurs révoltes leur ressemblent : elles sont adolescentes.
  6. C’est toujours la même chose, les mêmes manifestations, les mêmes slogans.
  7. Les lycéens sont réactifs, inquiets, à fleur de peau.
  8. Variante psy : leur adulescence est anxiogène (citer Tony Anatrella).
  9. Variante allusive : ils jouent à la play-station et leurs parents ont pratiqué
    la garde alternée.
  10. Les lycéens ont un goût pour la justice sociale qui est apparu avec la puberté.
    Ne dure pas.
  11. Leurs manifestations sont joyeuses. Corollaire de gauche : ce n’est pas sérieux. Corollaire de droite : ils sont manipulés.
  12. Les porte-parole des mouvements lycéens entreront au PS dans quelques années. Donner une liste. Si Julien Dray et Isabelle Thomas n’y figurent pas, recommencer.

Mode d’emploi

Il est possible à partir de ces dix énoncés, en les combinant de façon aléatoire, de construire un nombre infini d’articles sur le mouvement lycéen, couvrant un vaste spectre éditorial et politique.

Plus le degré d’expertise auquel prétend l’auteur est élevé, plus grand doit être le nombre d’énoncés combinés. Un article descriptif ne nécessite pas plus de deux éléments. Un article d’analyse, en revanche, appelle une combinaison à quatre éléments. Toutes les formes sont possibles (rebonds, dépêche, lettre ouverte, entretien avec le ministre), à condition de respecter le contenu des énoncés.

exemples (2005)

« Un mouvement lycéen ou étudiant peut démarrer n’importe où et de manière complètement irrationnelle » Luc Ferry, ancien ministre, Libération, 11 février. « Je ne parlerai pas de “mouvement” mais d’“explosion” lycéenne. Ça démarre on ne sait pas trop comment, ça s’arrête on ne sait pas trop pourquoi » François Dubet, Le Monde, 15 février. « Les lycéens, c’est comme le dentifrice : quand ils sont sortis du tube, on ne peut plus les faire rentrer » Jack Lang et Luc Ferry, Libération, 11 février. « Les lycéens, c’est beaucoup plus difficile qu’avec les adultes dans la mesure où leur représentation est beaucoup moins crédible, moins responsable » Luc Ferry, philosophe, dans Libération, 11 février. « Jamais un mouvement lycéen ne s’arrête parce que ses revendications sont prises en compte, ce sont des mouvements qui s’épuisent : négocier avec les lycéens, ce n’est pas comme négocier avec la CGT » François Dubet, Libération, 15 février. « Lorsque les enseignants sont dans la rue, c’est pas très agréable mais on sait où on va. » Luc Ferry, ancien ministre, Libération, 11 février. « À chaque réforme, de droite comme de gauche, les jeunes se manifestent. En ce sens, il n’y a rien de nouveau. Cela traduit la nécessité de se montrer et de se faire entendre, d’être présents. L’objet de la contestation est presque un prétexte. » Anne Muxel, Le Nouvel Observateur, 3-9 mars. « Les lycéens, aujourd’hui comme hier, se précipitent dans les “manifs” parce qu’elles sont des occasions d’être, inespérées et festives, parce qu’on peut s’y “éclater” et vivre, entre deux slogans braillés dans l’enthousiasme aveugle des mouvements de masse, une solidarité factice qui ne survivra pas — et ils le devinent — au quotidien retrouvé et aux années adultes. » Christian Jeanbrau, ancien inspecteur pédagogique régional, Le Monde, 22 février. « Manifester, une tradition lycéenne » La Croix, le 10 février. « C’est l’âge de l’adolescence avec sa joie de manifester et son goût prononcé pour la justice, ses conforts et ses colères vives. » Le Monde, 22 février. « On est obligé de constater une certaine répétition du même type de manifestation dans des contextes identiques : chaque présentation de réforme depuis vingt ans a fait descendre les lycéens dans la rue, parfois sur des mots d’ordre totalement opposés à ceux des mouvements précédents. » François Dubet, Libération, 15 février. « [Ils appartiennent] à cette génération des enfants du désir, ces enfants désirés et oubliés, ces enfants adulés et jetés, confiés aux crèches, aux nounous, à la garde alternée, à la rue, aux psys, aux grands-parents, aux copains. Aux autres, quoi. » Le Monde, 22 février. « Toi qui n’as pas 20 ans et qui manifestes dans la rue, quelle France veux-tu ? As-tu réfléchi un instant à ton métier, à ta destinée ? Tu es contre l’élitisme, dis-tu, mais l’exigence de la perfection est nécessaire pour inventer, découvrir, produire. Ariane s’est envolée dans les cieux, victoire des ingénieurs et des chercheurs. Crois-tu que cette perfection a été donnée à tous sans efforts ? L’Airbus géant va bientôt décoller, victoire de la technologie. Te sens-tu capable de participer à toutes ces victoires ? Ou veux-tu simplement t’éclater dans une rave-partie, jouer sur une console vidéo à tuer le plus possible d’ennemis virtuels ? » « Lettre à un jeune manifestant », Bernard Debré, Le Figaro, 16 février. « C’est l’adulescence, selon le néologisme forgé par le prêtre et psychanalyste Tony Anatrella. Une adulescence anxiogène. Il y a tant de choses à faire : grandir, s’aguerrir, apprendre, se former, se cultiver, s’indigner, se révolter, aimer. C’est l’âge tendre. » Le Monde, 22 février. « Chaque fois, les mouvements sont portés par de l’inquiétude, mais sont en même temps, et ce n’est pas péjoratif dans ma bouche, devenus des formes d’initiation à la vie collective et à la vie politique. » François Dubet, Libération, 15 février. « On s’inquiète sur le thème : que sera demain ? Justement : les lycéens se le demandent bien. Ils flottent, ils rêvent, ils s’angoissent » Le Monde, 22 février. « Julien Dray, Michel Field, David Assouline, Isabelle Thomas, Loubna Méliane ont un point commun : avoir été leader d’un mouvement lycéen ou étudiant et avoir, ensuite, embrassé une carrière dans les médias ou la politique. » « Ces anciens porte-parole reconvertis en politique », Le Monde, 8 mars. « Depuis 1973, sous la houlette de Julien Dray, les leaders lycéens, les Michel Field, David Assouline, Isabelle Thomas, Malek Boutih, Loubna Méliane ont fait reculer les pouvoirs. » « Les enfants de “Juju”. Génération lycée », Le Nouvel Observateur, 17-23 février. « Malgré les souvenirs de manifestations altermondialistes auxquelles certains ont participé avec leurs parents, ils persistent à se déclarer “apolitiques”. » Le Figaro, 22 avril. « Toi qui n’as pas 20 ans, tu es une proie facile pour les syndicats politisés. », « Lettre à un jeune manifestant », Bernard Debré, Le Figaro, 16 février. « Certains enseignants montent leurs élèves contre la réforme », « Rumeurs et manipulations agitent les lycéens », Le Figaro, 9 février. « Il suffit de parler un peu avec les étudiants d’aujourd’hui et ils vous disent : “Quand on manifestait au lycée, c’était parce que les profs nous disaient d’y aller.” » Claude Allègre, Libération, 11 février. « Mais je constate que, quand des lycéens manifestent contre la “marchandisation” de l’école ou la régionalisation du bac, ils ont été au minimum mal informés. » François Fillon, Libération, 9 février. « Ils disent que le contrôle continu au bac va créer des différences entre les diplômes. Vous croyez qu’ils ont inventé ça tout seuls ? » Claude Allègre, Libération, le 11 février.

et pour mémoire

« Ce sont les enfants du rock débile, les écoliers de la vulgarité pédagogique, les béats de Coluche et de Renaud, et somme toute, les produits de la culture Lang. Ils sont ivres d’une générosité au degré zéro qui ressemble à de l’amour mais se retourne contre tout exemple ou projet d’ordre. L’ensemble des mesures que prend la société pour ne pas achever de se dissoudre : sélection, promotion de l’effort personnel et de la responsabilité individuelle, Code de la nationalité, lutte contre la drogue, etc. les hérisse. Ils ont peur de manquer de mœurs avachies. Voilà tout leur sentiment révolutionnaire. C’est une jeunesse atteinte d’un sida mental. Elle a perdu ses immunités naturelles ; tous les virus décomposants l’atteignent. » « Le monôme des zombies », éditorial de Louis Pauwels, Le Figaro magazine, 6 décembre 1986.